Par Arezki Metref [email protected] La crique ? C�est entre Coral�s et la plage Bomo, sur la corniche oranaise. Sauvage, d�chiquet�e, encore � l��tat de nature. C'est �a, le d�cor. Une vue plongeante sur l'ile plane et, quand la brume d�cide de lever le voile, sur les �les Habibas, l'ile des amis. Souvenirs. Le premier de la vague se rattache justement aux Habibas. Ann�es 1980. A Alg�rie-Actualit�, il y avait une rubrique attachante qui s'intitulait simplement Lieu-dit. Le concept consistait � dresser le portrait d'un lieu plut�t que d'une personne. C'est dans cette rubrique qui valorisait les qualit�s litt�raires que fut publi� le reportage effectu� par Tahar Djaout aux iles Habibas. Il y racontait comment, � l�approche de cet archipel, les dauphins sont venus escorter l�embarcation comme des motards le v�hicule d�un chef. Il d�crivait surtout la stup�fiante beaut� de ces �les qui sont depuis un peu plus d�une ann�e plac�es sous la protection �cologique de la fondation Ushuaia. Nicolas Hulot himself serait venu l� il y a quelque temps. Comme quoi, il suffit parfois d�une visite comme celle-l� pour sortir de la d�che ! Cal� sur un si�ge en face de la mer frissonnant sous le vent d�est, en surplomb d�une plage en ce vendredi bond�e comme un bus � une heure de pointe, je repense � ce que Djaout racontait de ce voyage aux Habibas qu�il n�a pas �crit. On appellerait �a un making off. Pour rallier les iles plant�es � ras d�eau � quarante- cinq minutes de navigation, il fallait une embarcation. El�mentaire ! Un p�cheur s�est propos�. Comme la barque �tait plut�t du genre fragile, il a �t� n�cessaire de temporiser, l��il riv� sur la m�t�o. Quand le temps redevint au beau fixe, le bateau vogua vers les iles. L�histoire est �videmment plus longue mais il faut avoir le talent de Djaout pour faire de simples pr�paratifs d�une vir�e en mer un d�but de roman. Oral. Il n�a jamais �crit tout �a, se contentant, en journaliste consciencieux empruntant parfois sa plume au po�te qu�il �tait avant tout, de partager les sensations de solitude et de beaut� que lui inspira l�accostage aux �les Habibas. N� � Oulkhou, en face de la mer, et ayant grandi � Alger, en face de la m�me mer, dans une osmose avec ses l�gendes, Tahar Djaout avait tout de ces �crivains de la mer dont l�encrier est rempli d�iode et de sel. Sel de la terre ? La mer est partout dans son univers litt�raire, r�gularit� tenace de la vague cinglant la falaise. Puisqu�on parle de la mer et de ses �crivains, il n�est pas possible de ne pas saluer chapeau bien bas le premier et le plus talentueux d�entre eux, l�ami Merzag Bagtache. Personnellement, et depuis tr�s longtemps, je suis un de ses lecteurs les plus fid�les, pr�cis�ment parce qu�il sait restituer, notamment dans quelques-unes de ses nouvelles, cette atmosph�re vierge, jamais d�peinte, des p�cheurs et des marins alg�rois. Un monde clos, et effac� comme s�il n�avait jamais exist�. Si Alger ne boude pas la mer comme le ferait Oran vu par Camus, les Alg�rois, eux, lui tournent ostensiblement le dos. Dans quel port peut-on encore voir ces p�cheurs vivant de, dans et pour la mer comme les d�crit Bagtache ? Pas vu ! En lisant fin juillet un texte path�tique publi� par El Watan pour comm�morer l�attentat dont il a �t� l�objet durant la d�cennie 1990, Merzag Bagtache �tant une de ces victimes pudiques du terrorisme qui ont heureusement r�chapp�, j�ai appris que son p�re avait sillonn� les oc�ans. On peut comprendre l�attrait des ondes sur lui. Juste pour dire � Merzag Bagtache que nous sommes tr�s nombreux, j�en suis persuad�, � �tre sensibles � son talent d�arpenteur des flots et des cultures et � sa pudeur cultiv�e. Un autre souvenir de la corniche oranaise qui me vient alors que je fixe les flots en train de rougeoyer sous la r�verb�ration finale du coucher de soleil � partir de ce balcon de Coral�s. Dans la deuxi�me moiti� de la d�cennie 1980 (�tait-ce en 1987 ou en 1988 ?), le chef de da�ra d�A�n Turck avait organis� un festival de po�sie. L�ami Brahim Hadj Slimane �tait charg� de la liste des invit�s et des programmes. Nous �tions une bonne cinquantaine peut-�tre � loger dans un �tablissement scolaire de la ville et � nous retrouver dans une salle des f�tes pour d�clamer et �couter des po�sies dans les trois langues en usage dans notre pays. Le berb�re, l�arabe et le fran�ais cohabitaient sans probl�me et sans complexe dans le creux de la main de muses cousines. Evoquant cette rencontre sans une aide autre que celle d�une m�moire en d�but de d�faillance (j�aurais volontiers demand� le secours, de celle, pr�cise, de l�ami Nadjib Stambouli mais, si ma m�moire est bonne, il n��tait pas de la partie), j�oublierais beaucoup de noms dans cette tentative de rem�moration. Je revois l�impatience passionn�e, fac�tieuse et provocatrice de Djamel Benmerad dont la po�sie poss�de le tragique et la l�g�ret� d�un �clat de rire et de voix. Comment oublier la silhouette diaphane de Youcef Sebti, le po�te martyr, allant d�un pas de vieux sage pr�t � combler de son �rudition prolixe les d�rat�s d�un programme flexible. Si un conf�rencier est absent, on appelait Youcef Sebti et il avait toujours trente-six mille choses passionnantes � dire sur un sujet qu�il n�avait pas du tout pr�par�. Pour l�anecdote, je crois que c�est pour se rendre � ce festival de A�n Turck que Youcef Sebti a, comme il l�a racont� dans je ne sais plus quel texte, voyag� avec un billet destin� initialement � un type qui �crit en arabe et dont je n�ai pas envie de citer le nom. Indice : celui qui a insult� Tahar Djaout, assassin�, un homme � qui il n�arrive pas � la cheville. Bon, pas la peine de parler de ces choses-l�. Passons aux gens s�rieux ! Il y avait aussi M�hamed Aoun. Ce cher M�hamed, lui aussi, un torrent d��rudition, bouillonnant de culture, d�id�es, de projets ! Je revois Amin Kh�ne, po�te raffin�, mesur�. Mohamed Isma�l Abdoun, jamais rassasi� de d�bats, m�lait Michaux et Kateb Yacine dans la m�me faconde belle et claire comme un po�me de S�nac. Les po�tes du groupe de Tazmalt, qui me pardonneront comme les autres de ne pas les citer nomm�ment, �crivaient indiff�remment en arabe, en berb�re et en fran�ais. Si le passage des po�tes berb�res a soulev� quelques cris d�intol�rance, c��tait le fait d�excit�s ou de z�l�s fonctionnaires. �Les autorit�s locales�, comme on disait alors dans le jargon institutionnel, autant que je m�en souvienne, assumaient cette reconnaissance avant l�heure de la langue la plus ancienne sur le sol d�Alg�rie. Souvenir aussi de baignades mais surtout d�une hom�rique sortie en mer avec Djamel Benmerad et le c�l�bre com�dien oranais Sirat Boumediene. Retour au balcon de Coral�s d�o� je contemple, � pr�sent que le tapis d�eau s�embrume, le phare de Paloma, aff�t� comme une lame, d�chirer la nuit claire pos�e sur la mer. Je me dis que les �crivains et les po�tes, et les gens de mer qui voient dans le balancement une m�taphore de la vie enseignent, de cette simple transposition, l�essentiel. Ce qui est remarquable dans la m�canique des vagues, c�est qu�elle est semblable depuis toujours et pourtant chaque fois diff�rente. Le m�me mouvement, jamais la m�me configuration. On avait pens� avec Fouad, Larbi, Mohammed et les autres amis qui m�ont si gentiment re�u, faire un tour aux �les Habibas. La m�t�o est dissuasive. Mais une autre vague viendra chasser la premi�re et ainsi de suite jusqu�� ce que la route soit plane pour l��le aux amis.