Si les manifestants antiracisme qui ont arpenté les rues américaines ces dernières semaines n'ont pas manqué d'imagination au niveau des chants et des slogans, un son en particulier s'est fait entendre : celui de la musique noire engagée, des vieux classiques aux jeunes générations. Le rappeur californien YG, déjà connu pour son hymne anti-Donald Trump sorti en 2016, a publié un nouveau morceau, FTP (Fuck The Police), qui a résonné dans les rues de Los Angeles au moment où des milliers de manifestants demandaient une réforme des forces de police américaines après la mort de George Floyd. Pour l'occasion, et alors que de nombreuses grosses entreprises ont ouvertement embrassé la cause anti-raciste, Spotify a créé une playlist «Black Lives Matter» de 66 titres compilant des morceaux engagés d'artistes, allant de James Brown à Beyoncé, en passant par Nina Simone et N.W.A. Et dans sa compilation des morceaux les plus écoutés du moment, son Viral 50, des classiques de la contestation, comme The Revolution Will not be televised, de Gil Scott Heron, ont fait leur apparition. Les héritiers de Prince, originaire de Minneapolis, où a été tué George Floyd, ont, eux, sorti un clip du morceau Baltimore, écrit par feu la star de la pop et de la funk en 2015, à l'occasion de la mort d'un Noir américain, Freddie Gray, aux mains de la police. Le chanteur de soul et de folk Leon Bridges a, lui, publié Sweeter, une méditation sur le racisme. «La mort de George Floyd a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase», a-t-il expliqué sur les réseaux sociaux. «Cela fait trop longtemps que je suis anesthésié, insensible aux questions des brutalités policières.» «C'était la première fois que je pleurais un homme que je n'ai jamais rencontré. Je suis George Floyd, mes frères sont George Floyd, mes sœurs sont George Floyd. Nous ne pouvons plus supporter le silence», a-t-il ajouté.
«Son de l'Amérique» Pour Fredara Hadley, professeure d'ethnomusicologie à la Juilliard School, célèbre école de spectacle de New York, la musique noire a toujours nourri les mouvements de contestation, comme dans les années 1960 quand la soul et le rhythm'n' blues ont accompagné le mouvement des droits civiques. Cette musique, explique-t-elle, «était admise dans des endroits où la population noire ne pouvait pas aller. Elle jouait un rôle d'ambassadeur et de représentant de la culture noire». Kendrick Scott, un batteur de jazz de New York, a récemment composé une piste instrumentale où s'entrechoquent l'enregistrement des derniers mots suppliants de George Floyd et la voix de manifestants indignés scandant son nom. Lorsqu'il l'a composée, il s'imaginait jouant de la batterie en tête de cortège pendant les manifestations, devant la police, avec «tout le monde derrière (lui) chantant son nom». Incorporer les dernières paroles de Floyd, capturées par une vidéo qui a fait le tour du monde, était douloureux, raconte-t-il. Mais l'artiste voulait «que les auditeurs aient une réaction viscérale et le sentent vraiment, plutôt que de juste l'imaginer». «Je voulais utiliser mon instrument et ma voix, ce que j'ai de mieux, pour faire changer les choses.» Cette possibilité de toucher immédiatement son public sur des questions brûlantes, raconte Fredara Hadley, on la doit au numérique. «On a ce dialogue continu où l'on comprend qu'il n'y a plus de distance entre les musiciens noirs et les communautés noires», explique-t-elle. «Ils peuvent être nos porte-voix, nos chroniqueurs, nous aider à nous souvenir de ce que nous avons perdu.» Un avis partagé par Kendrick Scott, qui rappelle que la musique noire est l'un des produits culturels américains qui s'exportent le mieux. «Je fais le tour du monde et j'entends de la musique afro-américaine partout, dit-il. C'est le son de l'Amérique.»