Le second conflit armé qui oppose le Front Polisario au Maroc se déroule dans des conditions exceptionnelles. Les opérations militaires, marquées par un bombardement quotidien du mur de séparation, ont lieu en l'absence totale des médias. Cette guerre hybride risque d'avoir des effets catastrophiques sur l'économie marocaine, déjà mise à mal par la pandémie de Covid-19. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - La guerre a repris au Sahara Occidental depuis le vendredi 13 novembre. Ce second conflit entre le Front Polisario et le Maroc, qui intervient après une période de cessez-le-feu qui aura duré 29 ans, se concentre essentiellement sur le mur marocain. L'Armée populaire de libération sahraouie (APLS) focalise ses frappes sur les positions des Forces armées royales (FAR) dans cette ligne de défense faite de remblais de sable et de pierres. À titre indicatif, jeudi et vendredi, l'artillerie sahraouie a ciblé plusieurs bases et cantonnements des FAR situés le long de ce mur de 2700 kilomètres : Oum Degan dans le secteur de Bagari, Al-Fayine dans le secteur de Farsia, Rous-Audei, Oum Roukba, Rous-Sabti, Chaidmia et Oum Lagta dans le secteur de Mahbas, Rous-Fadrat et Tamat dans le secteur de Hawza ainsi que Glaibat et El-Agaya dans le secteur d'Aousserd. «Non-communication» SPS, l'agence de presse officielle sahraouie qui rapporte quotidiennement ces informations sur la base de communiqués du ministère sahraoui de la Défense nationale, indique que «les attaques ont causé des pertes humaines et matérielles dans les rangs de l'armée d'occupation marocaine». Il faut dire que cette guerre se caractérise par un phénomène de «non-communication», les deux parties ayant choisi de ne pas présenter d'images des opérations militaires. Une situation rarissime dans l'histoire des conflits depuis la Seconde Guerre mondiale. Surtout à l'ère des smartphones et des réseaux sociaux. Le Maroc agit comme si cette guerre n'existait pas, ses médias ont reçu des instructions fermes de ne pas aborder les événements qui se produisent au Sahara Occidental. Dimanche 15 novembre, Maghreb Arabe Presse (MAP), l'agence officielle marocaine, avait publié une dépêche faisant état de tirs «des forces sahraouies le long du mur de sable marocain depuis le 13 novembre sans causer de dégâts humains ni matériels contre les Forces armées royales (FAR)». Mais cette dépêche a finalement été supprimée dès le lendemain. Une disparition constatée lundi 16 novembre par l'APS. De son côté, le Front Polisario semble avoir fait de la «non-communication» un axe de sa stratégie militaire. «Nous avons de nombreuses demandes de couverture des principaux médias internationaux, mais nous estimons que le moment n'est pas opportun. Nous préférons nous concentrer sur la destruction des objectifs militaires. Nous n'avons rien à prouver. C'est celui qui subit des pertes qui doit montrer au monde ce qu'il endure. Mais il est évident qu'il a des choses à cacher», souligne un haut responsable sahraoui joint hier au téléphone. Territoires inaccessibles En fait, il est très difficile — voire impossible — pour un média d'atteindre les zones de combats sans être accompagné par une des deux parties. Nous sommes loin des conflits du Moyen-Orient, de Libye ou encore d'Afghanistan où il est possible d'accéder au plus près de certaines zones en prenant les services d'un fixer. Au nord du mur de séparation, dans les territoires occupés, les journalistes doivent obtenir l'accord des FAR. Au sud du mur, les territoires sahraouis libérés sont inaccessibles sans l'aval du Front Polisario. Cette zone désertique est sous contrôle des combattants de l'APLS et il est donc impossible de s'y déplacer sans un sauf-conduit. Organiser une mission médiatique à partir de la Mauritanie serait également suicidaire. L'armée sahraouie détruirait, sans nul doute, tout véhicule non-identifié. Impossible également de travailler à partir de la zone de Guerguerat, longtemps unique passage commercial, qui permettait de se rendre des territoires occupés vers la Mauritanie via la zone-tampon et une zone placée sous autorité du Front Polisario. Guerguerat, lieu où l'armée marocaine est intervenue contre des manifestants pacifistes, a été fermée côté mauritanien, mercredi 18 novembre. Une décision prise par Nouakchott suite à la déclaration de «guerre ouverte» annoncée le jour même par les autorités sahraouies dont les forces avaient d'ailleurs bombardé, deux nuits de suite, le passage. En effet, le gouvernement sahraoui avait lancé «un message urgent à tous les pays du monde et aux autorités publiques et privées de s'abstenir de mener tous types d'activité sur le territoire sahraoui actuellement en situation de guerre ouverte». Contrecoups économiques La fermeture de Guerguerat, qui est pourtant démentie par Rabat, a plongé plusieurs secteurs économiques marocains dans une véritable crise. C'est le cas notamment du secteur de l'agroalimentaire qui exporte de grandes quantités de produits vers la Mauritanie et les pays d'Afrique de l'Ouest. Le Maroc, à l'instar de tous les pays de la planète, subit déjà les contrecoups d'une crise économique aiguë provoquée par le Covid-19. À l'avenir, il devra également puiser dans ses réserves pour financer l'effort de guerre. De plus, le royaume se verra privé des revenus du trafic de résine de cannabis, dont il est le premier producteur au monde. La production automnale de kif sera difficilement exportable vers le Moyen-Orient et l'Asie via les routes du Sahel. En effet, durant des années, et grâce aux militaires marocains stationnés dans les bases du mur de séparation, des tonnes de drogue étaient transportées par des passeurs subsahariens à travers les territoires sahraouis. Le Front Polisario a dédié des unités entières de son armée pour lutter contre ce trafic. Désormais, avec le début de la guerre, même les plus téméraires chauffeurs de «Station» n'oseront pas s'approcher des zones de combats du Sahara Occidental. T. H.