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La pandémie a aggravé une situation déjà alarmante
SECTEUR DES ASSURANCES ET REASSURANCES
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 12 - 2020

Les effets induits par la pandémie de coronavirus, si tout le monde, sans distinction, les endure en attendant les chiffres plus ou moins proches de l'étendue de l'impact global, il est des secteurs et branches d'activité qui ont subi et subissent encore plus que d'autres des affres qui menacent jusqu'à l'existence de dizaines d'entreprises de plusieurs secteurs qui, il faut le dire, n'ont pas attendu le Covid-19 pour entrer dans une zone de turbulences, comme c'est le cas du secteur des assurances qui, pourtant, était jusqu'à il y a quelques années en pleine expansion.
Les avis de tempête sur le secteur des assurances n'ont pourtant pas manqué depuis trois, quatre ans. Rien qu'en prenant pour exemple le premier semestre de cette année, les sinistres déclarés ont enregistré un montant de 28,1 milliards de DA contre 39,2 milliards de DA à la même période en 2019, soit une régression de 28,1%, alors que le total des indemnisations s'était établi à 23,9 milliards de DA à la fin du premier semestre 2020, enregistrant une effarante chute estimée à plus de 41,4% comparée au premier semestre 2019. Que dire alors du stock des créances sur clientèle de l'ensemble des compagnies algériennes ? Au 31 août dernier, celui-ci atteignait 68,5 milliards de dinars, soit une hausse de 10% quand on la compare à la même période en 2019. A la fin décembre 2019, la commission de supervision des assurances au ministère des Finances établissait le niveau de créances, toutes sociétés d'assurances confondues, à 48 milliards de dinars. Il faut souligner que cet état de fait n'a pas attendu que la pandémie se déclare. Les créances sur clientèle sont en effet passées de 39,6 milliards de dinars en 2016 à 44 milliards de dinars en 2017 et 46,9 milliards de dinars en 2018. De quoi tirer bruyamment la sonnette d'alarme, le fait pouvant mener irrémédiablement à des déséquilibres financiers à même de mettre en péril la vie des compagnies d'assurances.
Un sujet, en tous les cas, parmi d'autres sur lesquels le P-dg d'Alliance Assurances, Hassen Khelifati, a accepté d'évoquer dans l'entretien qui suit.
Azedine Maktour
Hassen Khelifati (P-DG d'Alliance Assurances) :
«Un plan de sauvetage doit être engagé sans délai»
Le Soir d'Algérie : Des chiffres annonçaient un chiffre d'affaires en baisse de 10% au premier trimestre de cette année, puis, à la fin du premier semestre, il atteignait 12,5%. Peu après, à la fin du mois d'août, on annonce un niveau des créances sur la clientèle, toutes sociétés d'assurances confondues, évalué à 68,5 milliards de dinars. Des chiffres qui en disent long sur l'état des lieux du secteur des assurances.
Hassen Khelifati : La lecture objective de ces chiffres indique que la situation est non seulement inquiétante mais alarmante car jusqu'à maintenant, il n'y a pas un plan de sauvetage cohérent que ce soit sous la conduite de la tutelle ou même au sein de l'UAR (l'Union algérienne des sociétés d'assurance et réassurance). Nous avons déjà adressé un plan d'accompagnement du secteur pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire déjà au mois de mai sous le titre « Plan pour l'atténuation des effets de la crise Covid sur le secteur des assurances ». Proposition qui comportait certaines mesures à prendre nécessaires pour sauvegarder la viabilité technique et financière des compagnies d'assurances. Bien que nous ayons obtenu certaines avancées notables sur les revendications du secteur, notamment l'annulation de la taxe due à la pollution dans le projet de la loi de finances 2021, la libération du protocole d'accord sur le marché de limitation des remises automobiles à 50% sans aucune exception ainsi que la clarification de l'article 17 de la loi 95/07 et son interprétation légale de la part de la tutelle et vis-à-vis de la loi. Après, il y a l'augmentation exponentielle, au mépris de la loi, des stocks de créances auprès des assurés qui met en danger le patrimoine assuré des entreprises. Ce que dit la loi et l'article 17 et clarifié par la tutelle, un contrat d'assurances doit être payé à la souscription et ne produira ses effets et la garantie ainsi que la couverture ne sera acquise que si le paiement est réalisé et constaté. Au sens de la loi, un contrat non payé n'a pas plus de valeur que l'encre et le papier sur lequel il est imprimé, alors le patrimoine se retrouve en danger et l'assureur peut s'opposer à ce texte et ne s'engage pas pour rembourser le sinistre. Nous sommes le seul marché qui a autorisé et cultivé cette pratique néfaste et dangereuse de vente à crédit des contrats d'assurances professionnels, qui nuit énormément aux équilibres financiers et techniques des compagnies. La pratique internationale et les meilleures pratiques (best practices) au niveau international proscrivent cette pratique, elle est dangereuse à court et moyen terme. Pour résumer, nous avons pu obtenir certaines avancées notables avec la tutelle en tant que corporation, comme la suppression de l'obligation de collecte de la taxe sur la pollution, le visa pour l'application de l'accord multilatéral, marché des tarifs planchers à 50% pour l'automobile ainsi que la note sur la gestion des créances. Il reste toutefois beaucoup de points en attente de concrétisation suivant la demande du marché sous la couverture de l'UAR et qui sont très importants pour la sauvegarde du secteur et de ses équilibres. Pour la précision, ce ne sont pas des demandes d'aide financière de la part du secteur plutôt certains aménagements réglementaires temporaires afin d'aider les compagnies à sauvegarder leurs équilibres financiers et techniques. Nous avons bon espoir d'avoir l'écoute et l'accompagnement de la tutelle pour dépasser cette phase délicate.
Comment expliquez-vous que les sociétés d'assurance trouvent du mal à maîtriser les créances sur clientèle alors que la situation a commencé à prendre une tournure alarmante il y a trois, quatre ans bien avant que la pandémie de coronavirus s'installe ?
La pratique néfaste et dangereuse de la vente à crédit des contrats d'assurance au détriment des bonnes pratiques et de la loi s'est installée depuis des années. Elle est même devenue un argument concurrentiel utilisé dans une grande ampleur par les assurés qui ont trouvé là une manière de financer leurs cycles d'exploitation à moindre frais et même se faire rembourser les sinistres sans avoir payé la police d'assurance et en violation de la loi. Tout le monde est perdant, la compagnie d'assurances, ses intermédiaires AGA et courtiers qui sont payés à l'encaissement, le Trésor public pour non perception des taxes et notamment la TVA, et comme la réassurance est payée sur les fonds propres des compagnies, celles-ci ont moins de capacité financière pour les placements sur le marché financier et le financement du cycle économique à moyen et à long terme à travers les bons du Trésor. Les créances douteuses deviennent une charge à provisionner qui diminuent le résultat de la compagnie qui, ainsi, payera moins d'IBS et plus d'affaires contentieuses auprès des tribunaux. Le seul gagnant est l'assuré qui a été couvert avec le moins d'engagement possible et une mauvaise interprétation de l'article 17 de la loi 95/07 qui oblige les compagnies à rembourser des sinistres envers les tiers ou envers l'assuré même si son contrat est impayé. Avec la dernière décision de la tutelle pour clarifier le contenu et le sens légal de cet article, tout contrat qui n'est pas payé à sa souscription ne produit pas ses effets et la couverture n'est acquise ni pour l'assuré ni pour les tiers en responsabilité civile. Les créances sont à un niveau plus qu'alarmant, il risque de mettre en faillite le secteur surtout suite aux difficultés financières et de trésorerie que vivent les entreprises à cause de la crise financière et des effets de la crise sanitaire.
Maintenant que nous sommes dos au mur, il convient d'une action commune et solidaire des acteurs du marché avec un accompagnement ferme de la tutelle pour mettre en pratique les décisions prises afin de mettre un terme aux pratiques néfastes qui détruisent le secteur à très court terme. Il est temps de prendre toutes les mesures contre ceux qui continuent dans leur fuite en avant pour réaliser des chiffres d'affaires sans tenir leurs engagements et qui mettent en danger non seulement leurs compagnies mais aussi et surtout tout un secteur névralgique pour notre économie.
On ne le dit peut-être pas beaucoup, mais les assurances souffrent, selon des connaisseurs du secteur, d'une espèce de guerre qui ne dit pas son nom. Concurrence déloyale, dumping...
Les maux du secteur sont connus et reconnus et nous n'avons jamais cessé de les dénoncer et d'alerter. La guerre des prix, le dumping, la rallonge à l'infini des délais de remboursement faute de collecte de primes suffisantes pour y faire face, l'accumulation des stocks sinistres non réglés, la concurrence déloyale, le refus de liquidation des sinistres RC par certains faute de capacité financière suffisante, le stock créances qui devient dangereux et alarmant, la pratique de la discrimination public-privé dans la plupart des appels d'offres publics par des pratiques sournoises et vicieuses connus, etc. Le dumping et la guerre des prix sont devenus tellement graves qu'ils sont dénoncés par tous les acteurs et intermédiaires, mais nous n'arrivons pas à adhérer tout le monde pour une démarche engageante, professionnelle et sur l'honneur afin de respecter les tarifs et la parole donnée. Nous attendons un accompagnement de la tutelle en toute impartialité afin d'engager sans délai un plan de sauvetage du secteur et dans les plus brefs délais.
La baisse du chiffre d'affaires du secteur est alarmante et nous pensons que la jonction entre la baisse de celui-ci et la baisse de la valeur du dinar, il est très possible que nous clôturions l'année 2020 à moins de 1 milliard de dollars US. Nous peinons à améliorer cette performance qui est très en deçà du potentiel de notre marché, mais nos pratiques et notre fuite en avant nous obligent à détruire de la valeur chaque année, on s'autodétruit et on pénalise le Trésor public, l'économie et l'équilibre financier des entreprises. Et si nous ne prenons pas des mesures salutaires, les prochaines années risquent d'être encore plus difficiles et peut-être fatales pour tout le monde.
Dans l'immédiat, qu'y a-t-il à entreprendre concrètement, du côté des pouvoirs publics comme du côté des assureurs eux-mêmes ?
Nous avons déjà entrepris plusieurs actions avec les pouvoirs publics qui ont été attentifs à nos doléances. Ils ont répondu favorablement sur trois points fondamentaux, qui seront, de notre avis, structurants de notre secteur et de son sauvetage pour l'intérêt de notre économie et des emplois. Primo, il y a la suppression de la taxe sur la pollution automobile. Secundo, l'accord multilatéral sur le marché plafonnant les remises à 50% à partir du 1er janvier 2021 et tertio, l'interdiction des ventes des contrats d'assurance à crédit, tout contrat d'assurance ne produit ses garanties et ses effets qu'au lendemain du paiement de la prime.
Dorénavant, au sens de l'article 17 de la loi 95/07, l'élément essentiel et déclencheur des garanties et engagements de la compagnie d'assurances y compris vers les tiers et la RC est le paiement de la prime et si sinistre il y a avant paiement de la prime, le contrat n'aura aucun effet et le bien n'est pas assuré au sens de la loi. Cette nouvelle situation sera valable dorénavant et les chefs d'entreprises doivent être vigilants sur ce point et savoir les risques encourus pour la protection de leur patrimoine ainsi que leurs responsabilités envers les tiers qu'ils risquent de payer de leurs poches si le contrat est déclaré nul faute de paiement de prime à la souscription. C'est un changement radical dans notre marché et nous allons réunir tous les responsables du secteur pour un engagement ferme sur une application stricte sur le futur et aussi accompagner nos assurés pour assainir les créances antérieures au plus tôt afin de ne pas perdre le droit à l'indemnisation. Nous sommes en contact permanent avec la tutelle qui montre sa disponibilité pour un accompagnement dynamique et sans faille pour mettre un terme aux mauvaises pratiques et dès lors remettre le secteur sur un chemin vertueux et corriger ensemble toutes les défaillances passées.
Une rencontre au sommet est prévue avant la fin de l'année afin de mettre en place les mécanismes nécessaires pour exécuter ce qui est déjà acté et engager les compagnies dans un mouvement de redressement salvateur pour le secteur et pour l'économie nationale. La responsabilité des premiers managers est primordiale et l'histoire retiendra les actions de tout un chacun pour stabiliser le secteur et engager un redressement salutaire. Avec l'engagement de la tutelle et des compagnies, nous sommes optimistes pour réaliser le redressement nécessaire et sauver notre secteur du naufrage. Ce n'est ni une vue de l'esprit ni un cri d'alarme sans fondement, tous les acteurs le savent, c'est la réalité du terrain.
A. M.


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