Plusieurs détenus d'opinion ont pu retrouver hier vendredi la liberté. Après une longue journée d'attente, les noms de Khaled Drareni, Rachid Nekkaz s'ajoutent à la liste des personnes libérées. La foule, rassemblée depuis les premières heures de la matinée, n'y croyait plus, la famille de Khaled Drareni et ses avocats non plus, mais la bonne nouvelle a fini par tomber. Il est 19h30 lorsque des avocats annoncent qu'une réunion des chambres pénale et d'accusation de la Cour d'Alger vient de prendre fin. Des procédures ont finalisé les dossiers de Drareni et de Rachid Nekkaz sur lesquels devait se pencher cette semaine la Cour suprême. Les noms sont transmis sans tarder à la prison de Koléa et d'El-Bayadh, les deux hommes sont enfin libres. Des sentiments diffus où s'entremêlent espoir et anxiété règnent ce vendredi matin aux abords de pas moins de vingt-sept prisons du pays. Parents, proches, voisins, amis, avocats et comités de soutien, pour certains, sont sur le qui-vive depuis jeudi soir. Une annonce inattendue vient alors d'être faite par le président de la République lors d'une allocution télévisée. Il fait savoir qu'une soixantaine de détenus d'opinion allaient être libérés. «Une trentaine seront libérés ce soir ou demain, d'autres suivront, ils sont une soixantaine en tout.» Une cascade de réactions suit. Dans les cafés et lieux de restauration autorisés à rouvrir leurs portes depuis quelques jours à peine, les propriétaires des lieux augmentent le volume des téléviseurs. Dans une pizzeria de Bordj-el-Kiffan, le patron n'hésite pas à interrompre la diffusion de recommandations, rappelant l'obligation de se soumettre aux règles sanitaires pour annoncer la nouvelle. Les réseaux sociaux sont saturés de réactions. La nouvelle est accueillie avec soulagement et beaucoup l'interprètent comme étant une mesure d'apaisement et une victoire du combat inlassable mené depuis deux années pour la libération des détenus d'opinion. Au sein des familles des détenus, une longue nuit commence. A l'espoir suscité par cette annonce, succède une longue série d'interrogations. «Une grâce» ? Une «amnistie» ? «Qui est concerné et qui pourrait ne pas l'être» ? Les avocats sont submergés d'appels, mais avouent ne pas détenir de réponse. «C'est une grâce amnistiante», formulent les plus prudents, sans pour autant pouvoir se prononcer sur les cas les « plus sensibles ». Le doute concerne en particulier les détenus n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation définitive, seule condition à même de bénéficier d'une grâce. La formule utilisée par Abdelmadjid Tebboune est, cependant, interprétée comme étant «large» et « ouverte à toutes les possibilités, du moment qu'il s'agit d'une décision politique». L'espoir pousse certains à effectuer un déplacement rapide aux prisons. Les familles comptent sur de jeunes voisins pour tenter d'arracher des informations à El-Harrach, mais les déplacements s'avèrent vains. Rendez-vous est pris pour le lendemain matin. Il est bientôt neuf heures. Familles, proches et amis des détenus se trouvent déjà aux abords des pénitenciers. Selon un bilan publié la matinée par le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), 68 prisonniers sont répartis dans des prisons à travers vingt-sept wilayas du pays. La même source fait savoir que 61 d'entre eux sont poursuivis en pénal, et que les sept autres relèvent de la criminelle. Rachid Nekkaz figure parmi cette liste. Condamné à deux ans de prison durant un procès en appel, son affaire a été programmée le 25 février devant la Cour suprême. On apprend également que 27 détenus répartis à travers 25 wilayas ont fait l'objet de sentences définitives, alors que 26 autres sont sous le coup de verdicts prononcés en première instance et que 15 autres sont en attente de procès. Ces différences sèment le doute et alimentent l'inquiétude des familles. Des images poignantes sont diffusées tout au long de la journée sur les réseaux sociaux. Celle de la mère de Dalila Touat retient particulièrement l'attention. Sa fille, enseignante à Mascara, a récemment été condamnée à dix-huit mois de prison pour un post sur Facebook jugé attentatoire à l'ordre public. Blottie sur le siège arrière d'une voiture, elle attend... Le premier détenu est libéré à Bordj-Bou-Arréridj. Cette wilaya compte le nombre le plus élevé (douze) de prisonniers d'opinion. Les portes des prisons s'ouvrent aussi à ce moment à Tébessa, Saïda, M'sila, Chlef, Tamanrasset, Oued Souf, Ouargla, Skikda, Tlemcen, Blida, Sidi-Bel-Abbès. Naïli Mohamed, 72 ans, est accueilli par son fils et ses petits-enfants à Tébessa. A 15h, douze personnes ont déjà été libérées, annonce le CNLD. Aux abords de la prison de Koléa, une centaine de personnes attend au même moment des nouvelles de Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison ferme en appel. Il y a une semaine, la Cour suprême avait annoncé que son dossier allait être étudié le 25 février prochain après la cassation introduite par ses avocats. Des slogans appelant à sa libération immédiate fusent depuis la matinée. Espoir, doutes... Des avocats rappellent que seules les personnes définitivement condamnées peuvent avoir droit à une libération immédiate. Ils affirment que les autres feront l'objet d'une procédure accélérée qui leur permettra de recouvrer leur liberté, puisque le président de la République a fait état d'une soixantaine de libérations. Certains ne sont pas de cet avis : «Une décision politique peut surpasser tout cela.» Les rumeurs ajoutent à la confusion et l'incertitude qui règnent sur les lieux. «Il n'y a pas de liste, les noms sont transmis progressivement», font aussi savoir des avocats. La famille et les amis de Ali Ghediri se trouvent aussi sur les lieux. Le dossier du général-major à la retraite et ancien candidat à la présidentielle de 2019 a fait l'objet d'une cassation acceptée par la Cour suprême. La chambre d'accusation d'Alger a annoncé qu'elle rendra son verdict ce dimanche 22 février. Il est 17h. Le premier détenu d'Alger est libéré. L'attente s'annonce encore longue devant les prisons. L'attente s'annonce encore longue devant les prisons. A Koléa, elle prend fin vers 20h lorsque Khaled Drareni passe la porte du pénitencier. La joie est à son comble, tout comme à Mostaganem où l'on annonce, à la même heure, la libération de l'enseignante Dalila Touat. Abla Chérif Le communiqué du ministère de la Justice Trente-trois détenus dont 21 condamnés définitivement à des peines de prison ferme pour des actes liés à l'utilisation des réseaux sociaux ou commis lors de rassemblements, et 12 n'ayant pas écopé de peines définitives, mais impliqués dans des actes similaires ont été élargis, vendredi, dans le cadre des mesures de grâce décidées jeudi par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, indique un communiqué du ministère de la Justice. «A l'occasion de la Journée du chahid et du deuxième anniversaire du Hirak populaire béni, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a décrété des mesures de grâce présidentielle en faveur de 21 détenus condamnés définitivement à des peines de prison ferme pour des actes liés à l'utilisation des réseaux sociaux ou commis lors de rassemblements. Tous ces détenus ont été mis en liberté vendredi 19 février 2021», précise le communiqué du ministère. Les juridictions compétentes ont procédé «à partir de la date d'aujourd'hui à l'élargissement des détenus n'ayant pas écopé de peines définitives, impliqués dans des actes similaires. Le nombre global de détenus élargis, des deux catégories, s'élève, à l'heure de la rédaction de ce communiqué, à 33 détenus et les procédures de mise en liberté se poursuivent pour les autres», précise le document. APS