Par Ahmed Cheniki Parler de la place des �lites en temps de crise dans un pays comme le n�tre pose de s�rieux probl�mes. D�j�, les termes, en eux-m�mes, sont complexes, flasques et � consonance plurielle. Est-il op�ratoire d�user du terme d��lite dans des soci�t�s caract�ris�es par une situation anomique depuis de longs si�cles ? Est-il utile de reprendre la d�finition g�n�rale d�riv�e du latin qui voudrait qu�on soit en pr�sence d�un groupe d��lus, mais ici se poserait la question de l�arbitraire caract�risant l���lection � de ces personnes puis�es souvent dans l�univers des espaces dominants (notabilit�s�) ou reprendre la cat�gorisation propos�e par Platon dans la R�publique en faisant des philosophes l��lite pensante d�une soci�t� ath�nienne fonci�rement in�galitaire et fortement hi�rarchis�e, contrairement au discours dominant ? Dans ce cas, l��lite est le lieu d�une tragique aporie, une sorte d�espace �loign� des lieux populaires et une instance peu encline aux jeux d�mocratiques, assurant une direction ou une certaine influence sur les lieux du pouvoir politique. M�me l��lite, d�sormais au pluriel, n�est en fait que l�expression d�un groupe dominant ou influent. Souvent, l��lite est r�duite � la fonction politique et intellectuelle, occultant les autres espaces �conomiques, religieux ou administratifs. L���lite� est pr�sent�e comme un tout homog�ne alors qu�elle est l�assemblage d��l�ments h�t�rog�nes ob�issant � des consid�rations tactiques. Qu�est-ce qu�une ��lite� intellectuelle ? Peut-elle d�velopper un discours unique, homog�ne, dou� de coh�rence ou serait-elle le lieu tout simplement de l�articulation d�attitudes individuelles ? La dynamique groupale semble trop peu op�ratoire sauf dans des situations exceptionnelles, du moins pour ce qu�on appelle commun�ment l��lite dite intellectuelle qui est souvent assimil�e � une sorte d�intellectuel collectif, id�e trop abstraite, mythique. A partir de cette interrogation centrale, nous paraissant n�cessaire, il est possible d�interroger la place et la fonction des lettr�s et des �intellectuels � dans les situations de crise v�cue par l�Alg�rie connaissant depuis tr�s longtemps des postures tragiquement anomiques o� les attitudes ethnicistes, r�gionalistes, autonomistes prennent de plus en plus le dessus sur une vision nationale mettant ainsi encore une fois sur la sellette l�id�e de Ferhat Abbas et de Maurice Thorez sur le th�me de la �nation alg�rienne� encore en formation ou peu visible. Est-il op�ratoire de parler de la situation des �lettr�s� et des �intellectuels � d�aujourd�hui en �vitant une plong�e diachronique, sans aller trop loin dans l�Histoire, c�est-�-dire les diff�rentes occupations connues par notre pays, nous attardant quelque peu sur la p�riode ottomane, marqu�e souvent, pour des raisons id�ologiques, du sceau d�une positivit� illusoire et erron�e, et sur la tragique colonisation fran�aise. Il est aujourd�hui peu possible d�interroger la psychologie du lettr� alg�rien sans questionner les conditions d��mergence des formes de repr�sentation de type europ�en qui ont permis la mise en �uvre d�un nouveau discours, un autre langage et une autre mani�re d�interpeller le pr�sent. Les stigmates de l�adoption de ces formes au d�but du XXe si�cle sont toujours pr�gnants dans une soci�t� an�mi�e, partag�e, double, vivant une grave distorsion schizophr�nique. Kateb Yacine fait dire judicieusement � Lakhdar dans Nedjma que chaque mot fran�ais qu�il apprenait l��loignait davantage de sa m�re. Aujourd�hui, le foss� est grand entre les �lites (usons provisoirement de ce mot) et la soci�t� profonde gagn�e depuis fort longtemps par un regard trop ambigu par rapport aux hommes et aux femmes du savoir. Kateb Yacine fait dire judicieusement � Lakhdar dans Nedjma que chaque mot fran�ais qu�il apprenait l��loignait davantage de sa m�re. Aujourd�hui, le foss� est grand entre les �lites (usons provisoirement de ce mot) et la soci�t� profonde gagn�e depuis fort longtemps par un regard trop ambigu par rapport aux hommes et aux femmes du savoir. Nous parlons ici, bien entendu, des lettr�s de langue arabe, davantage ali�n�s par la relation m�diatis�e avec la France (par le biais de leur rencontre avec le Machreq extr�mement fascin� par la culture fran�aise) et ceux d�expression fran�aise. Le ph�nom�ne de transculturation (que nous pr�f�rons � acculturation ou d�culturation, trop discutables), cher au Cubain Fernando Ortiz, a permis � tous les pays colonis�s d��pouser les formes artistiques et litt�raires europ�ennes non sans m�fiance. Le sociologue tunisien, Mohamed Aziza, parle � ce propos d��hypoth�que originelle �. La colonisation, �vacuant toute possibilit� d�expression nationale, fut � l�origine de la d�couverte de ces structures par les colonis�s qui les adopt�rent par n�cessit� historique. Ainsi, l��cole va �tre le lieu central qui permettra la d�couverte d�un autre monde, de nouvelles attitudes et d�un nouveau discours. Des Alg�riens, nourris de la culture fran�aise, allaient retourner les valeurs dites r�publicaines contre les colonisateurs qui ignoraient totalement la fameuse d�claration des droits de l�homme, faite uniquement pour �tre c�l�br�e ou affich�e dans les administrations publiques. Certes, dans tout ce chambardement politique et intellectuel, se trouvaient des tendances nationalistes ou assimilationnistes se recrutant dans les deux versants des �lites de langues arabe et fran�aise. Les plus farouches nationalistes provenaient essentiellement du monde ouvrier et de la CGT fran�aise. Ainsi, retrouvons-nous les protagonistes de La Temp�te de Shakespeare. Si l�Etoile nord-africaine parlait d�ind�pendance nationale, la F�d�ration des �lus r�clamait l�assimilation. Ces deux discours politiques allaient avoir de s�rieuses incidences sur la production culturelle. Le th��tre, par exemple, fut lui aussi lieu et enjeu des pratiques politiques de l��poque. Mahieddine Bachetarzi reprenait souvent dans ses pi�ces les th�ses d�fendues par la F�d�ration des �lus, organisation tr�s proche de la bourgeoisie des grandes villes, alors que Errazi soutenait une attitude ind�pendantiste. Dans les textes de Tahar Ali Ch�rif, l�empreinte r�formiste est �vidente alors que les romans de Zenati, Djamila Debbeche, Ould Cheikh et Hadj Hamou, les lieux de l�assimilation sont tr�s pr�sents. Le discours des Oulama, proche du courant r�formiste de Abdouh et d�El Afghani, reproduisait �galement certaines valeurs puis�es dans le giron culturel fran�ais. Sa�d Boulifa (�crivant en fran�ais) et Moubarak El Mili par exemple adh�raient � une mani�re �moderniste� d��crire l�Histoire. Le discours assimilationniste �tait pris en charge par des lettr�s en arabe et en fran�ais, comme d�ailleurs l�espace nationaliste. Si les lettr�s (en fran�ais) entretenaient une relation directe et souvent critique, pour certains d�entre eux, ceux de langue arabe retrouvaient les valeurs fran�aises, d�ailleurs les plus r�trogrades, travers le discours du Machrek trop marqu� par une excessive fascination de la France. serait int�ressant de questionner les textes litt�raires ou sociologiques (et dans les autres disciplines des sciences sociales) produits par les lettr�s (en arabe) pour se rendre compte de l�extraordinaire impact du discours culturel fran�ais sur ces travaux. Les traces intertextuelles sont tr�s fr�quentes et investissent s�rieusement le discours id�ologique de ces textes. Les relations entre le Moyen-Orient et le Maghreb, souvent � sens unique, ont toujours �t� fortes, permettant au Machreq de distiller la culture fran�aise acquise surtout apr�s l�entreprise de francisation appel�e commun�ment �Nahda�. Il faudrait savoir que les neuf �historiques �taient essentiellement de culture fran�aise, retournant leurs fusils, � l�image de Caliban et de Prosp�eo, contre la puissance coloniale. Le discours arabiste actuel est ainsi marqu� par un �vident d�ni historique et ontologique. Une culture embryonnaire marqu�e par les soubresauts politiques de l��poque et les emprunts de traits �vidents d�une autre soci�t�, industrialis�e et �moderne� soutenue par �un effort de survie biologique� commen�ait � voir le jour � partir des premi�res ann�es du XXe si�cle, au fur et � mesure que s��puisaient et devenaient caducs des pans entiers du patrimoine culturel jalousement pr�serv�, mais contenant sa propre scl�rose. De nouveaux types de lettr�s voient le jour, d�veloppant un discours nouveau, souvent ambivalent, presque n�vrotique. Nous �tions en pr�sence de plusieurs formations discursives. Les nationalistes, les assimilationnistes c�toyaient les Oulama, les communistes et les zaou�as. Si les lettr�s (en fran�ais) entretenaient une relation directe et souvent critique, pour certains d�entre eux, ceux de langue arabe retrouvaient les valeurs fran�aises, d�ailleurs les plus r�trogrades, � travers le discours du Machrek trop marqu� par une excessive fascination de la France. C�est vers les ann�es vingt que les instituteurs alg�riens furent nomm�s dans les �coles. Ils reproduisaient le savoir qu�ils avaient acquis au cours de leurs �tudes. Souvent issus de milieux populaires, form�s � l��cole normale par les intellectuels de la troisi�me r�publique, ils croyaient �norm�ment en la R�volution fran�aise et aux principes de 1789. Leur journal L a voix des humbles d�fendait et diffusait leurs id�es. Pour la revue Ettaqadoumdu 15 juin 1923, de tendance nationaliste : �Ils recherchent le lien de la masse en dehors d�elle et souvent contre elle, ils font la conqu�te morale des gens des douars o� ils exercent et travaillent modestement � l�expansion fran�aise.� Cette tendance est repr�sent�e par Mouloud Feraoun qui, apr�s une p�riode na�ve de qu�te d�une rencontre avec l�autre, va vivre une s�rieuse d�sillusion, bien transcrite dans son journal. Apr�s l�exp�rience de Fouroulou qui voit sa qu�te aboutir, c�est le d�senchantement. La m�me id�e est exprim�e par Ferhat Abbas, de formation fran�aise : �L�Alg�rie croit en la France, du moins en une certaine France, celle des philosophes du XVIIIe si�cle, celle des principes de 1789, celle des Fran�ais qui ont �t� du c�t� des indig�nes et que les intellectuels ne songent nullement � poignarder.� Ce discours cherchait � faire ainsi la distinction entre les valeurs des �philosophes des Lumi�res� et les autorit�s coloniales. C�est un discours ambivalent, ambigu, qui semble trop �loign� des id�es d�fendues par les militants et les responsables de l��toile nord-africaine qui ne se faisaient aucune illusion sur la France coloniale. Les Oulama vivaient une certaine ambigu�t�, surtout apr�s la mort d�Abdelhamid Ben Badis. Les communistes connaissaient un s�rieux d�chirement d� essentiellement � la pr�sence d�une composante mixte. Quelques romans virent le jour. Ecrits dans un style simple, scolaire, ces ouvrages �taient en quelque sorte un appel � l�assimilation ; la colonisation n�est jamais contest�e. Elle devient un mod�le, le lieu d�une possible rencontre et d�un dialogue consid�r� comme n�cessaire. Chez Dib, Djebar, Kr�a et Kateb, les espaces th�matiques donnant � voir deux cercles conflictuels, celui de la contradiction int�rieure (l�univers des colonis�s) et celui de la contradiction fondamentale (colonis�scolonisateurs). Les premiers romanciers, nourris de culture fran�aise et coup�s de leur peuple, tr�s proches sur le plan politique des �lus musulmans, n�arrivaient pas � poser les probl�mes de leur soci�t�. Leur qu�te �tait d�ordre int�grationniste. A aucun moment ils ne d�nonc�rent les m�faits de l�ordre colonial gr�ce auquel ils acquirent leur statut de privil�gi�s dans un monde de mis�re et de pauvret�. Des autochtones, issus de familles de notables, se mirent � �crire des textes de fiction que les lecteurs de langue fran�aise � tr�s peu nombreux � cette �poque �lisaient souvent avec admiration ou avec r�volte et r�pulsion. Nous pouvons citer quelques titres r�v�lateurs de la th�matique abord�e par ces �crivains : Ahmed Ben Mostefa goumier (1920) de Laid Ben Cherif ; Zohra, la fille du mineur (1925) de Abdelkader Hadj Hamou ; Khadra, danseuse des Ouled Na�l (1910) ; de Slimane Ben Brahim (avec E.Dinet) ; El Eulj, captif des barbareques(1929) de Choukri Khodja ; Myriam dans les palmes de Mohamed Ould Cheikh. Certains �crivains des ann�es cinquante, quelque peu �cartel�s entre deux logiques � l��poque, ne cessaient de convoquer l�institution scolaire, t�moignant d�une possible issue cantonn�e dans le discours scolaire. Fouroulou r�ussit � devenir instituteur. Ce qui n�est pas le cas de Omar chez Dib qui exprimerait ainsi les mis�res de la r�pression coloniale et les regards discriminatoires, mettant en relief une certaine lutte de classes contenue d�j� dans le d�but de La grande maisonet bien mise en lumi�re par Kateb Yacine dans La poudre d�intelligence, des outils de l�exploitation sociale, s�insurgeant contre les diff�rents appareils id�ologiques repr�sent�s par le mufti, le cadi et le marchand. Chez Dib, Djebar, Kr�a et Kateb, les espaces th�matiques donnant � voir deux cercles conflictuels, celui de la contradiction int�rieure (l�univers des colonis�s) et celui de la contradiction fondamentale (colonis�s-colonisateurs). L�engagement militant des Lacheraf, Kaddache et Sahli les poussa � s�attaquer avec virulence � La colline oubli�e de Mouloud Mammeri, traitant de tous les noms l�auteur soup�onn� de froideur par rapport � la cause de ses compatriotes. C��tait un trop s�v�re r�quisitoire, r�duisant la production romanesque � un acte militant. La rencontre avec la culture �occidentale� fut v�cue comme une sorte de n�cessit� tragique d'autant plus que ce contact fut paradoxalement l�gitim� par les lettr�s moyen-orientaux qui entretenaient une correspondance �pistolaire r�guli�re avec les Alg�riens, notamment l�Emir Khaled, directeur de l� Ikdamet qui organisaient des tourn�es th��trales en Alg�rie. D�j�, tout avait commenc� par une sorte d'hypoth�que originelle et une n�cessaire appropriation du discours de l'autre. Ainsi, les Alg�riens d�couvraient tragiquement une alt�rit� paradoxale, triadique. Blessure du nom propre et c�sure tragique qui va encore �largir davantage le foss� entre les �lites et la soci�t� profonde. Chez les lettr�s de langue fran�aise et de langue arabe, l�ali�nation est le lieu le mieux partag�. Chacun d�veloppait un discours pr�cis en fonction de sa formation et de ses accointances id�ologiques. Avant le d�clenchement de la guerre de Lib�ration, subsistaient de nombreux discours dans le paysage politique et intellectuel, avec des situations conflictuelles tues et de pesants silences qui vont se retrouver apr�s l�ind�pendance. Des groupes diversifi�s investissaient la culture de l�ordinaire. La pr�sence coloniale engendrait un sentiment f�d�rateur dissimulant ainsi les multiples fractures h�rit�es des soubresauts de l'histoire et nourrissant l�illusion d�une unit� nationale sans faille. Aujourd�hui, tous les conflits ayant travers� le mouvement national �mergent risquent de remettre dangereusement en cause l�id�e de nation. La r�action du MAK de Ferhat Mehenni qui n�est pas la premi�re tentative (l'histoire du PPK et de la �crise� berb�riste de 1949) dans l'histoire de notre pays est symptomatique d�une grave crise que les gouvernants en place n�arrivent pas � circonscrire, usant d�artifices peu op�ratoires, mobilisant leurs ��lites� (Gramsci parlerait d��intellectuels traditionnels �) et leur client�le dans une entreprise de repl�trage langagier. Le dernier livre de Sa�d Sadi sur Amirouche et une propension � opposer �h�ros kabyles� aux autres (Boussouf, Boumediene, Kafi, tous non kabyles) a fait r�agir d�anciens moudjahidine et d�historiens comme Harbi et Daho Djerbal d�sarm�s devant des attitudes et des conflits d�passant souvent le cadre d�un d�bat rationnel sur l'histoire de la guerre de Lib�ration. Les d�rives et les man�uvres qui ont pr�sid� et suivi le congr�s de la Soummam ont mis fin � la promesse faite aux partis, en 1954/1955 de retrouver leur structure une fois l�Alg�rie ind�pendante. C�est l�effacement de toute forme explicite d�organisation et la stigmatisation de tout discours diff�rent, favorisant ainsi un fonctionnement clandestin et opaque, privil�giant la mise en �uvre d�espaces consensuels tactiques. Les lettr�s �taient condamn�s � l��poque, pour des raisons �videntes du combat anticolonial, de taire leurs divergences et leurs d�saccords et de se trouver parfois en train de jouer le r�le de plumitifs de chefs parfois sans consistance intellectuelle. Les choses vont continuer, par la suite, avec la plateforme de la Soummam, les chartes d�Alger et nationale (les deux versions) rejetant toute parole diff�rente et tout d�bat pluriel, condamnant les �intellectuels� � fonctionner exclusivement comme des illustrateurs du discours officiel. Une bataille politique et id�ologique rang�e opposait diff�rentes tendances du mouvement nationaliste. Le coup d'Etat du 19 juin 1965 d�montrait la faiblesse de l'�lite intellectuelle. Le pouvoir ne lui appartenait pas. Elle faisait fonction de simple faire-valoir. Etre � la t�te des m�dias et des appareils culturels n'�tait nullement une garantie pour influer sur le cours des choses. Des scissions graves et des divisions caract�risaient le pouvoir issu du FLN-ALN. Les ann�es 1962-1963 ont connu des moments p�nibles. La zone autonome d'Alger a �t� d�capit�e. En Kabylie, A�t Ahmed a pris le maquis pour s'opposer � Ahmed Ben Bella. Les r�glements de comptes se succ�daient aux r�glements de comptes. L'enthousiasme des uns c�toyait les calculs mesquins des autres. Les intellectuels, � l'�poque, tentaient, par tous les moyens, de calmer les esprits. Ils ne savaient pas qu'ils �taient hors-jeu et que tout se d�cidait ailleurs. Mohamed Harbi expliquait dans un entretien accord� au sociologue Sami Nair dans Les Temps modernes (juillet-ao�t 1982) les am�res d�sillusions de ces intellectuels, impuissants et r�alisant que le vrai pouvoir se n�gociait dans les arcanes des clans et de la puissante arm�e dirig�e par le ministre de la d�fense, le colonel Houari Boumediene (et le fameux clan de l'EMG). Le coup d'Etat du 19 juin 1965 d�montrait la faiblesse de l'�lite intellectuelle. Le pouvoir ne lui appartenait pas. Elle faisait fonction de simple faire-valoir. Etre � la t�te des m�dias et des appareils culturels n'�tait nullement une garantie pour influer sur le cours des choses. Tout se d�cidait ailleurs, dans des cercles restreints. Le clanisme et le r�gionalisme �taient d�j� une tradition. Le balancement de la soci�t� entre la �modernit� et la �tradition � provoquait de nombreuses contradictions et engendraient d'inextricables malentendus. Ni le pouvoir ni les �intellectuels� n'avaient les moyens d'att�nuer les tensions perceptibles dans la soci�t� alg�rienne. La volont� de changer les choses dans le sens de la �modernit� se heurtait � la peur d'adopter des conduites et des attitudes �import�es�, �cosmopolites�, th�mes revenant sans cesse dans le discours de certains lettr�s islamisants ou arabistes qui exprimaient l'opinion d'une bonne partie du pouvoir. Les ann�es 1980 ont �t� un pr�cieux r�v�lateur de nombreuses situations anachroniques que charrie le pays depuis longtemps. Derri�re le d�ni identitaire des discours arabiste et berb�riste, subissant un glissement lexical, amazigh, se cachaient de s�rieuses revendications politiques et id�ologiques mettant en avant l�espace linguistique. On prit fait et cause pour la transcription latine, constituant un �vident marquage id�ologique, � un choix de caract�res arabes ou tifinagh, expression d�une distance avec la langue arabe. Le sociologue Ali El- Kenz a, lors d�un d�bat � Alg�rie News, os� donner un point de vue sur la question linguistique. Il a �t� lynch�, au m�me titre que le grand chanteur A�t Menguellet il y a quelques ann�es. Un d�bat sans trop grande passion, �vitant d�opposer deux langues nationales en pr�sence, compl�mentaires, le kabyle et l�arabe, est-il possible dans un contexte o� les langues sont les otages de discours trop exclusifs ? Il y eut m�me des m�dias fran�ais qui avaient, � l��poque, fait un rapide raccourci assimilant �berb�res� � �d�mocrates�, tentant de s�parer la r�gion de la Kabylie des autres. Il y eut m�me des m�dias fran�ais qui avaient, � l��poque, fait un rapide raccourci assimilant �berb�res� � �d�mocrates�, tentant de s�parer la r�gion de la Kabylie des autres. La d�nomination �berb�re� et �amazigh� est souvent r�duite � la Kabylie, � ce qui est un non-sens �, qui a �t�, il faut le dire, avec les Wilaya I et II, la zone qui a le plus souffert de la colonisation alors qu�il existe d�autres entit�s et variantes berb�rophones (chaoui, targui, mozabite�). Des groupes autonomistes voient le jour. Cette situation est explosive. l'histoire et la langue deviennent deux espaces d��vitement du d�bat politique et deux �l�ments id�ologiques pouvant provoquer de graves secousses. Les replis identitaires, dans le cas de tous les int�grismes, sont le r�sultat d�une impasse politique et id�ologique, qu�il est utile d�analyse en recourant � diff�rentes stratifications sociologiques. Les choses se passent comme si on cherchait � �luder ind�finiment le probl�me. Cette mani�re de faire provoque toujours des conflits graves. Crises latentes. Emergence de v�ritables bombes � retardement. On se souvient des manifestations d'Alger et de Tizi-Ouzou en 1980. On cria alors � la r�cup�ration alors que tous ceux qui sont plus ou moins familiers de la sociologie culturelle et politique savent que derri�re l'�l�ment identitaire se greffent souvent des espaces m�diateurs. Les uns exigeaient la prise en charge de la culture berb�re et les autres voulaient une arabisation rapide et acc�l�r�e. L'exclusion et le d�ni identitaire �taient le vecteur essentiel du d�bat. Au coin de la revendication, la r�pression. Comme si la matraque pouvait exclusivement r�gler les probl�mes politiques. On ne s'�tait pas rendu compte � l'�poque que pour d�samorcer ce type de bombe qu'on tra�ne d�j� depuis des si�cles, il fallait lib�rer l'expression et valoriser les �lites. Les valeurs fondatrices de l'�tre �taient parfois pr�sent�es comme dangereuses, sinon nocives. On n'osait m�me pas tenter d'esquisser une d�finition claire de la personnalit� alg�rienne, entreprise per�ue comme d�stabilisatrice et dangereuse. Tous les textes officiels, du programme de Tripoli � la charte nationale seconde mouture, occultaient d�lib�r�ment la question et proposaient des d�finitions extr�mement ambigu�s ; l'absence de rep�res culturels s�rieux ne pouvait que balancer le pays dans la violence et les �meutes. Ce qui advint en 1980, 1983, 1985, 1986 et 1988. La suite, on la vit toujours. Les choses sont de plus en plus complexes. Il y eut, certes, vers les premi�res ann�es de l'ind�pendance, les pr�mices d'un d�bat, timide, il faut le dire, mais les pesanteurs de l'histoire r�cente et du confort politique et id�ologique marqu� souvent par des consensus de fa�ade en ont d�cid� autrement. Les nombreux tabous h�rit�s du mouvement national dictaient toujours leurs lois. La d�route du langage et les ambigu�t�s du discours emp�chaient la manifestation de toute initiative porteuse d'un projet culturel global et clair et d�une parole libre. Les universitaires et les acteurs �culturels�, trop marqu�s par une flagrante m�diocrit�, reproducteurs privil�gi�s du discours officiel ou de parole dite oppositionnelle, salafiste, arabiste ou berb�riste, restent prisonniers d�un regard trop statique. Une lecture attentive de la presse et du discours politique des ann�es soixante fournirait une certaine id�e des tergiversations et des h�sitations qui ont marqu� cette �poque et qui continuent, jusqu'� ce jour, � caract�riser l'espace national trop sollicit� par les silences pervers et les hypoth�ques paradoxales. Des diplomates, d'anciens ministres se mettent � �crire aujourd'hui, une fois �cart�s des trav�es du pouvoir alors qu'ils pouvaient le faire bien avant au moment o� des intellectuels �taient exil�s, d'autres interdits de plume ou invit�s par le d�funt Boumediene � quitter leur propre pays en cas de d�saccord. Qu'est-il advenu des d�bats sur la culture, anim�s en 1963-1964 par des hommes comme Mohamed Boudia, Mustapha Kateb, Mostefa Lacheraf, Mourad Bourboune, Belhadj et bien d'autres ? Toute plong�e s�rieuse dans la culture d�range et g�ne les d�cideurs potentiels. Le savoir doit vivre dans la clandestinit�. En 1964, R�volution africaine, dirig� � l'�poque par Mohamed Harbi, arr�te brutalement un d�bat qui commen�ait � aller au fond des choses. Alg�rie-Actualit� refait la m�me chose, avec moins d'�l�gance et d'intelligence en 1982 en censurant d'excellentes contributions sur les intellectuels et la culture nationale. Le point de d�part fut donn� par un entretien accord� par le sociologue Abdelkader Djeghloul � un excellent journaliste (de formation sociologique) de l'hebdomadaire, Mohamed Balhi. Epoques diff�rentes, m�mes pratiques. Pendant ce temps, trop peu d'universitaires ou de cadres osaient �crire et faire conna�tre leurs positions. Un discours ambivalent, double, juxtaposant deux univers et deux cultures antith�tiques, caract�risait la culture des ��lites�. Tout retour aux sources est lui aussi dramatique, c�est-�-dire reniant un pr�sent, certes alambiqu�, mais � vivre, contrairement � un pass� d�j� r�volu. Les uns et les autres se cachaient derri�re une sorte de simulacre d'obligation de r�serve. Des diplomates, d'anciens ministres se mettent � �crire aujourd'hui, une fois �cart�s des trav�es du pouvoir alors qu'ils pouvaient le faire bien avant au moment o� des intellectuels �taient exil�s, d'autres interdits de plume ou invit�s par le d�funt Boumediene � quitter leur propre pays en cas de d�saccord. Certains, m�me parmi ces nouveaux d�mocrates, avaient confectionn� des listes de journalistes et d'intellectuels � bannir alors qu'ils pouvaient faire la pluie et le mauvais temps. D'autres comme Harbi, Bourboune, Boudjedra, Bennabi, Kateb et bien d'autres ont choisi d'�crire et de s'exprimer sans complaisance. Mais l'�l�ment culturel le plus important reste la ruralisation intensive qui a engendr� de s�rieux traumatismes sociaux et provoqu� une urbanisation sauvage et d�sordonn�e. Les diff�rentes migrations internes et les conditions de conqu�te du pouvoir ont �t� � l'origine de l'�mergence d'��lite� de texture rurale vivant de multiples contradictions et charriant des discours extr�mement ambigus. On a affaire � une culture de type syncr�tique paradoxale (dans le sens d�une sorte d�unit� d�sint�gr�e ou diss�min�e) qui s'expliquerait par l'adoption tardive et quelque peu anormale des formes de repr�sentation �occidentale �. Ce qui provoque une sorte de d�sorganisation schizophr�nique de l'esprit. Tant�t on se r�f�re � la �modernit�, sans en d�finir les contours, tant�t on porte les oripeaux d'un conservatisme rural n�gateur de toute �modernit�. Double attitude. Langage atrophi�. C'est � une exp�rience de type syncr�tique paradoxale, essentiellement n�e de l�hypoth�que originelle de l�adoption des formes europ�ennes sans interrogation (avions-nous les moyens et le pouvoir de le faire durant la p�riode coloniale ?) et d�une d�couverte impos�e de l�alt�rit� que nous avons affaire. Un discours ambivalent, double, juxtaposant deux univers et deux cultures antith�tiques, caract�risait la culture des ��lites�. Tout retour aux sources est lui aussi dramatique, c�est-�-dire reniant un pr�sent, certes alambiqu�, mais � vivre, contrairement � un pass� d�j� r�volu. La question du temps ne cesse d�engendrer des situations inextricables. Le temps est souvent �lastique, r�duit au pass� et au futur, accordant au mythe une extraordinaire place, excluant le pr�sent, d�ailleurs souvent lieu de d�sillusion et de d�senchantement. La rupture avec le pr�sent, un temps en crise, favorise les diff�rents espaces du pass� paradoxalement d�pouill� de sa valeur historique, donc citoyenne et investi d�oripeaux mythiques. Le futur ant�rieur enveloppe tous les discours officiels et marque profond�ment le discours social. Ces derni�res d�cennies, on avait fait l'�loge du fonctionnement groupal en Kabylie de structures qui organiseraient, � la mani�re traditionnelle, la vie de certains villages et rejetteraient ainsi l'id�e m�me d'Etat �moderne�. Avec l�aval et l�assentiment des dirigeants de l�Etat. Ce substitut � la puissance �tatique se permettait m�me de sanctionner �les �ventuels contrevenants� et � interdire �tout lien de mariage dans le territoire o� ce code est applicable �. Ainsi, l'Etat comme espace �moderne� commence � s'�roder sous la pression des �v�nements et du non-respect par les gouvernants de structures qu�ils sont cens�s prot�ger. Mais tout retour en arri�re est d�sormais impossible. Il est, selon nous, trop peu probable de faire revivre des structures d�sormais marginales. Cet �loge surann� d�une authenticit� biais�e n�est plus de mise. Les intellectuels, tout en les marginalisant, on veut faire d'eux des soldats de quelque cause perdue d'avance. Comme dans les ann�es 1970 o� des �intellectuels� et des artistes ont particip� � des campagnes d�explication du discours politique officiel (R�volution agraire, GSE�), r�pudiant ainsi la dimension critique. D'ailleurs, cette situation arrangerait beaucoup de monde qui a int�r�t � ce que le fonctionnement des structures �tatiques soit opaque et correspondrait aux d�terminations claniques, tribales et ethniques r�gissant la soci�t� profonde. Certes, des pratiques duales, associant des formes �modernes� et d�autres �traditionnelles� subsistent et constituent le lieu central du discours officiel et social. Les pratiques �rurbaines� ob�issent � une sorte d�entre-deux, � une ambivalence �nonciative et discursive. Le chef est drap� d�une double casquette, chef de zaou�a et responsable �moderne �. D�ailleurs, la configuration des partis correspond � cette dualit�. Le chef est ind�boulonnable. On lui doit une all�geance absolue. Faut-il d�sormais penser � une r�gionalisation, proche de l�exp�rience allemande ? Mais dans ce cas, qui profiterait de la rente p�troli�re ? Serait-elle distribu�e �quitablement entre les r�gions ? Ce serait une entreprise � forts risques. L�exp�rience des gouvernorats de l��poque n�a pas �t� poursuivie. Dans cet espace schizophr�nique, le discours intellectuel ou culturel est assimil� � une sorte d'h�r�sie et � une intervention absurde dans une soci�t� anomique. La r�sistance au savoir et � la connaissance n'est pas uniquement due � l'intol�rance des pouvoirs publics mais investit �galement les diff�rents espaces sociaux. L'expression artistique est, elle-m�me, conditionn�e par le discours social et politique. C'est dans ce contexte qu'�volue la repr�sentation culturelle alg�rienne trop marqu�e par les multiples carences caract�risant la soci�t� alg�rienne et l'absence d'un s�rieux travail d'exploration �pist�mologique et ontologique. L'alg�rianisation, appliqu�e apr�s les ann�es 1970, fut � l'origine de nombreux malentendus au niveau de l'universit�. L��intellectuel� est marginalis�, exclu. La corruption brise, chez de nombreux �lettr�s�, toute r�sistance. On ach�te, par le fait de poste et de redistribution de la rente, de nombreux cadres, des �crivains, des artistes� Les intellectuels, tout en les marginalisant, on veut faire d'eux des soldats de quelque cause perdue d'avance. Comme dans les ann�es 1970 o� des �intellectuels� et des artistes ont particip� � des campagnes d�explication du discours politique officiel (R�volution agraire, GSE�), r�pudiant ainsi la dimension critique. L'universitaire et l'�intellectuel� (notion dont il reste � d�finir les contours) sont rest�s prisonniers d'un rapport maladif au pouvoir politique qui se conjugue tant�t � la r�pulsion, tant�t � l'attraction. Ce qui r�duit sa marge de man�uvre. Ce qui pose �galement la question, toujours d'actualit�, de l'autonomie de l'intellectuel qui vit l'assujettissement ou la contestation comme illustration ou opposition au discours officiel et jouant en fin de compte sur le terrain du pouvoir politique qui fournit ainsi les �l�ments de la discussion pi�geant les diff�rents locuteurs et orientant leurs discours. Les chercheurs en sciences sociales focalisent le plus souvent leurs analyses autour du fonctionnement des appareils, des enjeux id�ologiques et des espaces politiques et occultent les mouvements sociaux et culturels. Ce n'est pas un hasard si les rares universitaires-chercheurs ne r�ussissent pas � cerner les diff�rentes secousses qui agitent la soci�t�. Il y a �galement la question des r�f�rences qui font du locuteur le producteur privil�gi� de la parole cit�e. On �plaque� souvent des grilles sans tenter de les interpr�ter et de les interroger alors que les soci�t�s fonctionnent de mani�re autonome et complexe, comportant un certain nombre de particularit�s. Les questions �pist�mologiques sont d'une actualit� br�lante. N'est-il pas temps de d�finir les termes utilis�s et de ne pas reproduire m�caniquement des r�alit�s et des notions consid�r�es comme �videntes mais ne pouvant l'�tre sans une s�rieuse interrogation ? Y a-t-il une place pour les �intellectuels� dans les jeux politiques et culturels dans la situation de crise permanente de l�gitimit� que vit le pays ? Sont-ils condamn�s � vivre leur posture de reproducteurs de discours pr�alablement envelopp�s comme une sorte de sacerdoce naturel ? Y a-t-il une place pour les �intellectuels� dans les jeux politiques et culturels dans la situation de crise permanente de l�gitimit� que vit le pays ? C�est vrai que la corruption fait des ravages dans un pays qui assiste, indiff�rent, au d�part de tr�s nombreux cadres � l��tranger, cherchant de meilleures conditions de vie et de travail. Mais au m�me moment, m�dias et gouvernants pr�f�rent continuer � d�valoriser les comp�tences r�sidant dans le pays, vivant de tragiques conditions et appel�s � fonctionner comme de simples faire-valoir du groupe dirigeant. Certes, de nombreux cadres acceptent cette humiliante situation, attendant, au coin d�une salle de cours, pr�bendes, indemnit�s ou postes tant promis. Dans ce fatras singulier de situations trop peu in�dites, les �intellectuels� des structures dominantes (Union des �crivains, associations, organes culturels) appartenant aux organismes gouvernementaux et proches des cercles dits de la �coalition� profitent des largesses gouvernementales. Comme d�ailleurs quelques �crivains, cin�astes ou artistes, trop officiels, tr�nant sur des festivals, participant sans fin � des jurys officiels, des entreprises renti�res� Peut-on parler de d�mission ou de silence ? Pas du tout. C�est toujours une minorit� agissante qui remue, les autres poursuivent leur boulot de reproducteur m�diocre du savoir.