Dans le contexte particulier que connaît le pays, il ne nous paraît pas opportun de polémiquer autour du procédé référendaire, supposé sans faille, ayant permis à une «charte» d'amnistier à tout-va les acteurs du terrorisme islamiste. Car, sans faire expressément référence aux surenchères des activistes de l'ex-AIS, devenus entretemps de prospères affairistes, l'on a remarqué cependant, parmi leurs leaders, certains qui trouvèrent à «redire» dans cette générosité politicienne en exigeant une relecture de la loi afin que soient effacés définitivement leurs casiers judiciaires et que soit rétabli leur droit d'exercer des activités militantes. Or, si la proposition pouvait être perçue sans risque a priori, elle marque néanmoins une première approche pour être dans la légalité lorsqu'on souhaitera ressusciter les partis d'antan et pourquoi pas postuler sous de semblables acronymes à des mandats qui, jusque-là, leur étaient interdits. C'est que cette charte telle qu'elle avait été rédigée était loin des vrais «blindages» de précaution. Une fragilité formelle dont l'ex-chef de l'Etat pouvait justement exploiter dans ce sens-là. C'est-à-dire délivrer à sa guise des «bons de sortie» politiques destinés aux épouvantails en question afin de dissuader une classe politique dont il connaissait les limites. C'est que l'idée de paix, mais seulement celle qu'il appréhendait en tant que procédé, lui avait justement permis de s'inventer une mystique à travers laquelle il avait donné à croire qu'il ne faisait qu'obéir à des impératifs moraux consistant à transcender aussi bien les clivages affectifs que les vieux malentendus historiques. Politiquement donc, ce qui avait été acté par référendum en 2005 se révéla à son avantage personnel bien que le cadre légal demeurât fragile faute d'une dimension éthique perceptible. Celle, entre autres, qui devait insister sur le devoir de mémoire en pesant autrement la part du malheur occasionné au peuple. C'était justement à cause de ce genre d'omissions coupables qu'une véritable opposition se cristallisa et le fit savoir chez les juristes, notamment. Composé de magistrats et même d'avocats et d'enseignants, ce front du refus s'essaya dans une timide campagne mais fut vite noyé dans un océan de tracts saluant une «amnistie» comme voie royale de l'Algérie promise. Pitoyable mot d'ordre diffusé en tant que panacée d'un «vivre-ensemble» et que les partis de la majorité saluèrent tout au long des meetings. Or, très vite, l'opinion s'aperçut que la vertueuse idée de la réconciliation annonçait purement et simplement une retraite politique ayant tous les ingrédients d'une défaite et qui n'allait profiter qu'à ceux qui mirent en péril les fondements de l'Etat. C'est ainsi que, par une jonglerie sémantique, la guerre imposée aux civils désarmés devint, dans la rhétorique présidentielle, une «guerre civile» que même le lexique de la charte parapha. Amplifiant le registre émotionnel, le palais et la multitude de ses communicants n'eurent pas de peine à doser leurs arguments et même à jouer aux régulateurs dans les propos émanant des courants islamiques. C'est de la sorte que Bouteflika pouvait affirmer clairement que «l'amnistie a une contrepartie que chacun va payer». En effet, il ne disait pas moins que ce que le FIS attendait, exigeait plutôt. Il est vrai qu'en ayant été lui-même l'auteur du reproche concernant l'interruption du processus électoral (décembre 1991), Bouteflika ne devait qu'imposer, dans cette unique circonstance, le qualificatif de «belligérants» à la fois à l'Etat et à ceux qui s'y ont opposé. C'est pourquoi l'on pouvait comprendre pour quelle raison il trouvait périlleuse l'option éradicatrice. Donnant acte aux islamistes, ne s'engagea-t-il pas dès l'été 1999 à «parler avec la montagne», disait-il ? Sauf que sa démarche qu'il se voulait «concordataire» au début vira à la « réconciliation» sans condition si ce n'est bénéficier d'un chèque consistant et s'en aller retrouver les siens ! Or, rien ne ressemble moins à un contrat que le marché des dupes qu'imposa, en définitive, un chef de l'Etat jubilant grâce à une certaine trahison. Effectivement, la charte allait aussitôt devenir la source d'un clash puisqu'elle a été perçue à chaud comme une combinaison de rhétorique politicarde où s'entremêlent l'imprécision et les poncifs. C'est-à-dire le recours à la périphrase obscurcissant le sens du propos et surtout les mots. Par exemple celui concernant les terroristes qui, sous la plume mal inspirée des rédacteurs, deviennent des «individus» (sic), ayant «eu» (et non commis) une «activité armée» (resic). Des distinguos s'invitent également pour décrire la nature de leur exaction. Un exercice tellement charmant qu'il nous fait penser à d'innocents chasseurs d'outardes qui mériteraient de simples contraventions pour chasses interdites. Mieux encore, le vocable «amnistie» soigneusement évacué dans le document initial de 2005 reprend immédiatement sa place parmi les textes officiels d'application. Quant à la négociation et au consensus, indiscutables dans pareil cas, ne furent-ils pas solubles dans la mascarade du référendum, lequel n'avait été qu'un passage en force. Un fait accompli accouchant d'une virtuelle paix et surtout d'un inenvisageable «pardon». Cette vertu lourde de sens que le philosophe français Jacques Derrida aborda précisément à propos de l'Algérie et qu'il remit en cause à la suite de l'amnistie concoctée par Bouteflika. Voici ce qu'il disait lors de son entretien au journal Le Monde : «(...) Je crois devoir distinguer entre le pardon et le processus de réconciliation, écrit-il, un pardon « finalisé » n'est pas un pardon, c'est seulement une stratégie politique. (...) En Algérie, malgré la douleur infinie des victimes et le tort irréparable dont elles souffrent à jamais, on peut penser, certes, que la survie du pays, de la société et de l'Etat passe par le processus de réconciliation annoncé. On peut de ce point de vue « comprendre » qu'un vote ait approuvé la politique promise par Bouteflika. Mais je crois inapproprié le mot « pardon » qui fut prononcé, en particulier par le chef de l'Etat. Je le trouve injuste par respect pour les victimes de crimes atroces. Par ailleurs, il induit par contre toutes sortes de ''politiques'' inavouables. Toutes sortes de ruses stratégiques peuvent s'abriter abusivement derrière une ''rhétorique'' ou une ''comédie'' du pardon pour brûler l'étape du droit . «Brûler l'étape du droit», chez Bouteflika, ne consistait-il pas visiblement à durer en parjurant par deux fois, puis laisser, après sa destitution, grandir et prospérer un certain Rachad, le néo-conspirateur ? B. H.