Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Dans le contexte particulier que connaît le pays est-il opportun de polémiquer autour de la fameuse charte de 2005 sans craindre des récupérations possibles dont il sera, d'ailleurs, difficile de mesurer par la suite leurs nuisances ? En tout cas pour Louisa Hanoune, la SG du PT, il existe bien un lien de cause à effet entre le délitement du pouvoir et son impunité, d'une part, et la réactivation des réseaux de l'islamisme, d'autre part. Car, sans faire expressément référence aux surenchères de l'ex-chef de l'AIS, demander maintenant une relecture de la loi afin de verrouiller les failles persistantes dans le texte de la charte pose implicitement le cas de ces islamistes illégaux qui revendiquent une réhabilitation pour exercer une activité militante. Or si la proposition semble en apparence technique, elle affecte néanmoins les marges de manœuvre du président de la République dont on sait qu'il actionnait, selon les circonstances, les réseaux de Madani Mezrag, Layada et autres Hamadache pour faire barrage aux éphémères fronts de la démocratie. C'est que la charte, outre le fait qu'elle a fourni à Bouteflika un piédestal à partir duquel il cimenta sa légitimité, est devenue par la suite la référence indispensable toutes les fois où il s'était agi de délivrer des «bons de sortie» politiques aux épouvantails en question afin de dissuader une classe politique timorée. C'est que l'idée de la paix, mais seulement l'idée en tant que procédé, lui avait permis de s'inventer une mystique à travers laquelle il donna à croire qu'il ne faisait qu'obéir aux impératifs moraux consistant à transcender aussi bien les clivages que les malentendus historiques. Politiquement donc, ce qui a été acté par référendum en septembre 2005 bénéficia certes d'une large adhésion populaire initialement, néanmoins le cadre légal demeurait fragile faute d'une dimension éthique perceptible. Celle qui devait faire la part des choses et notamment insister sur le devoir de mémoire. C'est justement à cause de ce genre d'omissions coupables qu'une certaine opposition se cristallisa. Composé de magistrats et surtout d'avocats mais également d'enseignants et de militants de la société civile, ce front du refus fit une campagne timide vite noyée dans un océan de tracts faisant de l'amnistie générale la voie royale vers l'Algérie promise. Terrible méprise que le pouvoir avait sciemment vendue en tant que panacée de ce «vivre-ensemble» harmonieux. Or très vite l'opinion s'aperçut que la vertueuse idée de «réconciliation» annonçait purement et simplement une réhabilitation politique au profit de ceux qui mirent en péril les fondements de l'Etat. C'est ainsi que la guerre «contre les civils» devint une «guerre civile» dans le lexique de la charte. Amplifiant le registre émotionnel, le pouvoir parvint sans difficulté, au cours de ces 10 années, à jouer au régulateur des discours politiques profitant ainsi d'une connivence secrète avec le radicalisme islamique. Ainsi, lorsque Bouteflika affirmait que «l'amnistie à une contrepartie que chacun va payer» il ne disait pas moins que ce que le FIS attendait. Dès lors qu'il a toujours reproché à l'Etat sa violence initiale illustrée par l'interruption du processus électoral (décembre 1991), Bouteflika ne pouvait effectivement qu'imposer le qualificatif de «belligérant» à la fois à l'Etat et à ceux qui lui auraient riposté ! C'est ainsi que l'on peut comprendre pourquoi le chef de l'Etat a toujours mis en doute l'efficacité de l'option éradicatrice. Donnant acte aux islamistes, ne s'engagea-t-il pas dès l'été 1999 à «parler avec la montagne», disait-il. Sa démarche, d'abord «concordataire» (septembre 2000) puis réconciliatrice (la charte 2005) a-t-elle permis au pays de s'installer durablement dans la sérénité ? Certainement pas pour peu que l'on prête l'oreille aux éclats des divisions intestines dont profitent précisément les structures politiques de l'ensemble de l'obédience islamique. Celles qui ont patiemment infiltré et noyauté les institutions de l'Etat sont pratiquement en mesure de jouer désormais un rôle prépondérant dans la transition du pouvoir qui se profile. Et si objectivement toutes ces conditions étaient réunies, c'est parce que l'Etat se retrouve avec une armée apparemment «neutralisée» mais également avec un cadre juridique qui l'y autorise un peu plus aujourd'hui qu'il y a quelques années. Louisa Hanoune, reprenant à son compte les critiques des spécialistes, pense effectivement à l'éventualité d'un retour au passé. Car la charte de la réconciliation pourrait bien devenir celle d'un nouveau clash dans la société. Effectivement, le document a été perçu en son temps comme un chef-d'œuvre de rhétorique politicienne où s'entremêlent l'imprécision et les poncifs. C'est-à-dire le recours à la périphrase obscurcissant le sens des mots. Entre autres exemples, celui concernant les terroristes qui, sous la plume inspirée des rédacteurs, deviennent des «individus» (sic) ayant eu une «activité armée» (resic). Des distinguos également s'invitent pour décrire la nature de leur exaction. Un exercice tellement charmant qu'il nous fait penser à d'innocents chasseurs d'outardes auxquels une contravention punissait le non-respect d'une chasse... Mieux encore, le vocable «amnistie», soigneusement évacué dans le document de 2005, reprend sa place dans les textes d'application actuels. Quant à la négociation et au consensus, indiscutables dans pareil cas, ne furent-ils pas solubles dans la mascarade d'un référendum qui n'avait été rien d'autre qu'un passage en force. Celui du fait accompli qui accoucha d'une illusoire paix. Dix années plus tard et quelques centaines de victimes du terrorisme, que reste-t-il de celle-ci ? Simplement une hypothétique stratégie à laquelle s'accroche un pouvoir dont les jours seraient pourtant comptés.