L�Etat se d�lite et ses institutions civiles se d�sagr�gent sous les effets conjugu�s d�un terrorisme revitalis�, de la mauvaise gestion et de la non-repr�sentativit� de ses assembl�es. Pas un seul lieu du pouvoir et pas un seul de ses actes ne sont finalement �pargn�s par la critique ou la remise en cause fonci�re. De la conceptualisation erron�e d�une amnistie favorable � l�islamisme et jusqu�� l�impr�voyance d�une intendance en passant par l�indigne docilit� d�un parlement, tout annonce l�av�nement des grandes incertitudes. Les carnages de Batna et Dellys, dont personne ne conteste la signature, ne r�actualisent- ils pas les points de vue oppos�s � cette fameuse solution et qui �mirent des r�serves sur le bien-fond� �thique de cette paix sans tribunaux ni jugements ? Dans un autre ordre des choses, le spectacle d�une gouvernance �vapor�e r�duite � une p�taudi�re o� les ministres s�accusent publiquement et ne respectent m�me plus les apparences de la solidarit�, ne jette-t-il pas le doute sur la comp�tence de nos hauts commis ? Enfin, une chambre de d�put�s o� l�on si�ge sans l�aval des deux tiers du corps �lectoral est-elle encore qualifi�e pour endosser des lois sc�l�rates du genre � instituer un numerus clausus sur l�activit� des partis ? A Etat apocryphe, pays quasi surr�el ! La formule n�est plus excessive en cette �poque d�une d�cadence insoutenable bien que personne n�ose la qualifier ainsi de crainte d��tre accus� de path�tique pessimiste. Il est vrai qu�il est de notori�t� politique qu�un tel exercice exc�de (au double sens d�irriter et de d�passer) la relative probit� des gens de pouvoir et d�influence. Et il en est de m�me de ceux qui sont aux affaires de l�Etat. Ils n�ont aucune pr�disposition � l�aveu (cette mani�re d��tre humble face � la v�rit�), pr�f�rant plut�t les ruses oratoires afin de maquiller tant de fautes impardonnables et tant d�outrances dans leurs rapports avec le pays r�el. Face � leur d�ficit du parler-vrai, il est quand m�me possible de passer de l�autre c�t� du miroir politique et de voir comment aujourd�hui ce pays les per�oit, les �value ou les appr�cie. Pour ce faire, il n�y a plus besoin de la perspicacit� des analystes pour attester que la majorit� des Alg�riens s�accorde � dire que le magist�re de Bouteflika est en d�clin. Et que depuis un peu plus d�un an, il existe un dangereux d�phasage entre son action au sommet et les v�ritables attentes sociales et politiques. Au c�ur de cette impopularit� qui ne peut aller qu�en s�aggravant au cours de ses derniers 18 mois, il y a bien �videmment la question du traitement global du terrorisme devenu, par la faute de calculs politiciens �troits et de sa charge �motionnelle, un bourbier national. Parce qu�il �tait d�nu� d�une v�ritable analyse sur la question et qu�en m�me temps il se voulait �meilleur� que ses pr�d�cesseurs, le r�gime d�clinerait sa �solution � sur le mode imp�ratif (deux r�f�rendums sans d�bats), laquelle au lieu de ressouder la soci�t� ajoutera une nouvelle fracture dont la ligne de partage passera entre la morale et le droit. En effet, si par scrupules moraux avant la strat�gie politique, le r�gime avait d�abord �cout� ses contradicteurs locaux et surtout de grandes consciences philosophiques et �thiques de la dimension d�un Jaques Derrida nous n�aurions pas �t� peut-�tre dans l�impasse actuelle face au terrorisme. Dans Le si�cle et le pardon ce dernier s�int�resse pr�cis�ment au cas de l�Alg�rie et au processus mis en place par Bouteflika. Or, ses analyses sont, le moins qu�on puisse �crire, profond�ment hostiles � la surench�re des qualitatifs politiques et � la substitution de la raison d�Etat aux droits des individus concern�s. �(�) je crois devoir distinguer entre le pardon et ce processus de r�conciliation, �crit-il (..) Un pardon �finalis� n�est pas un pardon, c�est seulement une strat�gie politique (�). En Alg�rie (...) malgr� la douleur infinie des victimes et le tort irr�parable dont elles souffrent � jamais, on peut penser, certes, que la survie du pays, de la soci�t� et de l�Etat passe par le processus de r�conciliation annonc�. On peut de ce point de vue �comprendre� qu�un vote ait approuv� la politique promise par Bouteflika. Mais je crois inappropri� le mot �pardon� qui fut prononc�, en particulier par le chef de l�Etat alg�rien. Je le trouve injuste par respect pour les victimes de crimes atroces (aucun chef de l�Etat n�a le droit de pardonner � leur place). Par ailleurs, il induit par contre toutes sortes de �politiques� inavouables. Toutes sortes de ruses strat�giques peuvent s�abriter abusivement derri�re une �rh�torique� �ou une com�die� du pardon pour br�ler l��tape du droit �.� (1) �Rh�torique� et �com�die� d�un c�t� puis �droit� de l�autre : trois vocables qui ont justement ponctu� depuis l�an 2000 les plaidoiries de Bouteflika d�une part et les r�quisitoires des moralistes de l�autre. En m�me temps que le philosophe fran�ais, de nombreux intellectuels alg�riens avaient d�nonc� la mystification de l�amnistie. Quand Bouteflika disait : �Nous allons lib�rer les prisonniers politiques qui n�ont pas de sang sur les mains� tous savaient qu�il allait abuser de cette rh�torique. Jusqu�au jour o� les Layada, Kertali et tous les anonymes de la montagne furent absous de leur pass�, il y avait encore des r�seaux officiels pour d�mentir le moindre contournement de la loi. Aujourd�hui, sur le sujet, il n�y a plus de doute et pourtant m�me quand le terrorisme redouble de f�rocit�, c�est d�abord ce �pardon � octroy� que l�on d�fend avant la m�moire des victimes. Ainsi, certains observateurs avis�s tout comme de nombreux analystes �trangers n�excluent plus l�id�e d�une succession pr�matur�ment ouverte au regard du t�lescopage des �v�nements qui viennent de survenir ces jours derniers. En effet, un pr�sident d�stabilis� par un attentat lors d�un voyage en province alors qu�il a la r�putation d�agir positivement en direction d�une mouvance jusque-l� irr�ductible sauf par le rapport de force arm�, cela n�a pas manqu� de faire froncer les sourcils. Quid r�ellement des commanditaires sugg�re-t-on ? De m�me que l�action pagailleuse d�un Premier ministre � l�impopularit� notoire que non seulement l�on ne sanctionne pas mais dont on reconduit la presque-totalit� de son cabinet apr�s le s�isme des l�gislatives du 17 mai, devient � son tour une �nigme. Cette somme d�interrogations ne d�l�gitime-t-elle pas le pr�sident lui-m�me qui serait, soit soumis � des pressions lui interdisant tout changement de cap, soit volontairement obstin� jusqu�� m�priser ceux qui commencent � ne plus partager aveuglement son compagnonnage ? C�est le genre de crise de l�gitimit� en syst�me autoritaire que Fukuyama nomme �crise � l�int�rieur des �lites� dont la coh�sion est indispensable au r�gime pour son fonctionnement. Mais alors quelles sont aujourd�hui les �lites institutionnelles qui s�opposent sur le soutien ou pas � ce pr�sident ? B. H. (1) CF : Le si�cle et le pardon de Jaques Derrida. Entretien publi� dans le Monde des d�bats.