«Pour nous, l'instauration de la démocratie pluraliste et représentative n'est pas une fin en soi». Contrairement à ce que l'on croit, cette «fetwa» de Bouteflika remontait à l'entame de son deuxième mandat. De plus, elle n'avait par l'accent d'une foucade de tribun emporté par la verve des premières années. Scrupuleusement consignée dans la version officielle de son allocution, elle indiquait que sur la brûlante question des libertés politiques, ses convictions n'avaient pas évolué et qu'il comptait en rester aux modalités de la cooptation. L'appliquant à la lettre, il parvint à inoculer aux institutions le même traitement, dont celui de contrôler l'action des pouvoirs publics. Décrétant implicitement que les assemblées n'étaient pas l'émanation réelle de l'électorat, il fit en sorte qu'elles ne doivent leur existence qu'au maître du pays qui les façonne et les recompose selon son propre timing politique. Et si, sentencieusement, il ne voyait en le pluralisme représentatif qu'un pis-aller, il ne savait, par contre, guère comment lui substituer une forme respectant la démocratie sans pour autant passer par le parlementarisme. Alors que celui-ci demeure la seule pédagogie civique, ce sera, hélas, le véritable président qui lui imputa toutes les tares, dont celles de la corruption et le parjure. Donnant naissance à des parlements fantômes, le règne de Bouteflika excellera dans la lassante comédie capable d'occulter la moindre possibilité d'argumenter un désaccord, quand bien même les propositions émanant de l'aréopage ne lui étaient pas hostiles. D'ailleurs, la supposée image rassurante que projettent physiquement les édifices des institutions n'était qu'un habit d'Arlequin grâce auquel le vieux système a fini par ressusciter en faisant croire qu'il était «autre». Dotant le pays d'un faux nez, le délictueux pouvoir exécutif n'hésitait pas à se défausser sans risque d'être rattrapé pour son banditisme. C'est ainsi que la promotion d'une chambre «pluralisée» visait moins à doter l'Etat d'une institution respectable qu'à promouvoir des notaires de la politique prêts à toutes les scélératesses. Après un désespérant remake ayant occupé 20 années de parlementarisme, il ne reste à présent qu'à parler au nom des électeurs dont le seul recours serait d'interpeller les députés par le biais de la triste épître qui suit... «Monsieur le député, depuis la dernière législative, lorsque nous avions appris par les journaux que nous avions ''voté'' à notre insu et que justement vous avez été notre mandataire chargé de valider les projets de loi de la République, nous ne sommes pas indignés de votre choix ni même trouvé à redire quant à votre capacité à tenir honnêtement vos distances par rapport aux pressions et le... reste. Nous avons depuis longtemps perdu le sens des saines colères, car, depuis, nous avons cultivé en quelque sorte une sagesse : s'efforcer de demeurer raisonnables. Tout au plus, en vous évoquant à l'occasion, nous vous avons vite deviné trop près de vos intérêts matériels et de votre carrière. C'est dire que vous fûtes loin et parfois même contre les exigences de l'opinion nationale qui n'était rien d'autre que le corps électoral. Ceci étant, vous comprenez aisément qu'à notre tour, il nous arrive souvent d'ignorer vos prestations politiques et jusqu'à boycotter sciemment votre identité et le sigle du triste parti qui était le vôtre. Pour notre part, la fâcherie qui est désormais le lot de votre mésestimation à vos dépens nous permet paradoxalement de grandir dans notre dignité d'obscurs citoyens ayant toute la latitude de faire et défaire la République, et cela chaque matin au gré de la lecture des journaux. Sur ce registre, nous étions bien aisés de pouvoir brocarder les princes tout autant que les valets qui nous gouvernent si mal et dont vous êtes péniblement leur obligé. Il nous arrive même de nous payer de franches rigolades à la lecture des déclarations de ces ''respectables'' ministres planifiant à la bonne franquette nos hypothétiques lendemains. C'est que, Monsieur le député, nous sommes les seuls en compagnie de nos semblables à voir passer quotidiennement le ''lendemain'' annoncé sans y déceler un seul changement de toutes les promesses officielles. Rien de tel, voyez-vous, pour renforcer notre pessimisme. Nous autres qui avions renoncé depuis des lustres au radeau de vos engagements sommes désormais disposés à accueillir le pire sans nous plaindre. Il est vrai que jusque-là, rien ne nous liait à votre destin personnel dont la principale caractéristique était le je-m'en-foutisme. Vous étiez un parlementaire parachuté dans notre circonscription et contre notre bon gré. De plus, vous résidez dans le confort des hôtels de luxe qui vous hébergent quand, dans le même temps, l'on trime pour survivre avec le revenu minimum du Smig. Que vous soyez défrayés grassement par la République alors que nous émargeons dans une insondable précarité n'est certes pas le sujet central de notre malentendu. En fait, ces rappels ne sont rien d'autre qu'un moyen pour vous situer par rapport à notre condition. Cela voudra dire encore que ce genre de discrimination se nourrit avant tout de votre indifférence et votre déloyauté à l'encontre des petites gens. Et pour cause, faut-il vous rappeler à ce propos que l'auguste institution où vous siégez depuis longtemps est devenue une muette chambre d'enregistrement. Vous et la majorité des familles politiques n'étiez-vous pas parvenus à imposer d'infâmes lois préjudiciables à la République himself ? Et n'avez-vous pas accepté de légiférer sans débat alors que le sujet était d'une importance majeure ? Justement, le cas du 16 septembre 2008 n'a-t-il pas été l'humiliant recours à l'ordonnance ? Que vous ayez tiré un quelconque profit substantiel pour votre statut personnel ne doit pas vous grandir dans l'estime politique. Bien que l'on ne sait guère si la politique en soi peut secréter de l'estime alors qu'elle est par définition la source amorale du trafic. C'est pourquoi nous doutons de votre capacité à vous soumettre au moindre examen de conscience. Pour notre part, nous sommes, désormais, tout à fait qualifiés pour décréter que vous n'avez jamais été député de la nation mais uniquement hochet des pouvoirs du passé. Et puisque, d'expérience, les pratiques du passé réservent à chacun des vieux professionnels de mauvaises surprises, nous vous souhaitons, Monsieur le député, bien du plaisir si un autre jour il vous arrivait d'être tenté par une seconde carrière». B. H.