La salle Ibn Zeydoun a abrité jeudi dernier l'avant-première du film Argu de Omar Belkacemi. Ce long métrage kabylophone récompensé par le prix de la critique aux Journées cinématographiques de Carthage fustige les carcans traditionalistes éculés et célèbre la différence et la singularité. Six ans après sa première incursion dans le cinéma avec le court métrage El Moudja, Omar Belkacemi signe ici un film intimiste et poétique, gorgé de tendresse, mais renfermant aussi une critique au vitriol d'une société kabyle sclérosée. Argu (Rêve) s'articule autour de deux personnages masculins : Mahmoud (Mohamed Lefkir), prof de philo dans un lycée à Béjaïa, et son jeune frère Koukou (Kouceïla Mustapha), un garçon sensible et jugé aliéné par son père et les «sages du village» qui finissent par l'interner. Nous sommes dans les hautes montagnes de Kabylie où les journées sont rythmées par le travail des champs, exécuté essentiellement par les femmes, les parties de dominos réservées aux hommes, le chant du muezzin et la routine d'un village majoritairement peuplé par les seniors. Mahmoud, habité par ses rêves et dédaigneux d'une réalité médiocre, décide de mener un combat inégal contre le comité de village et le traditionalisme oppressant dont il est le gardien. Quand il fait sortir son frère de l'hôpital psychiatrique, ils deviennent tous deux des résistants à l'ordre établi et tentent de faire bouger les lignes. Bien que les personnages principaux soient des hommes, Omar Belkacemi braque souvent sa caméra sur les femmes du village, leur quotidien épuisant, leurs silences et leurs chants, leur vie à l'ombre de la domination masculine... Mahmoud et Koukou savent que ce système social est profondément injuste, qu'il est temps d'ébranler cet édifice sclérosé où la différence et la singularité sont perçues comme des menaces à éradiquer. Physiquement très présentes certes, les femmes n'ont cependant pas une réelle épaisseur dans l'écriture de ce film qui, malgré son propos foncièrement anti-patriarcal, se contente d'une représentation schématique où deux figures masculines «progressistes» s'insurgent contre l'oppression pendant que les premières concernées traversent l'écran en ombres victimaires. Si Mahmoud et Koukou incarnent, parfois de manière théâtrale, l'éveil intellectuel pour l'un et la rébellion pour l'autre, leur sœur Jura, leur mère, ainsi que les autres femmes du village, excepté Hakima (Louiza Zanoun), font office de figurantes dont la consistance se limite à la simple illustration de leur condition. Nous sommes ainsi face à un dispositif dramaturgique où s'affrontent deux visions opposées du monde : le réformisme et la modernité d'un côté, le traditionalisme et les vieux réflexes tribaux de l'autre. L'antagonisme est souvent rendu de manière démonstrative, parfois caricaturale, avec des personnages archétypaux, campés par des acteurs qui semblent le plus souvent véhiculer des discours et non pas des émotions. Mais Omar Belkacemi parvient à juguler cette pesanteur scénaristique grâce à des fulgurances formelles qui libèrent le regard du spectateur et permettent au film de respirer en dehors des balises étroites imposées par sa thèse. Sarah H.