Cet ouvrage est le fruit d'un travail de longue haleine. Cela faisait 35 ans qu'il dormait dans les tiroirs de Daho Djerbal. Le premier tome vient enfin de voir le jour aux éditions Chihab. Lakhdar Bentobbal. Mémoires de l'intérieur se vend comme des petits-pains dans les librairies. Il couvre la période 1923 -1957. Enfance de Bentobbal, engagement, adhésion au PPA puis à l'OS, groupe des 22, Congrès de la Soummam, grève des 8 jours, départ pour Tunis en 1957 et d'autres dates clés de la révolution sont à découvrir telles que révélées par Slimane Lakhdar Bentobbal (1923-2010). Les lecteurs attendent impatiemment la deuxième partie de ces mémoires dont la sortie est prévue en 2022. L'enregistrement des témoignages s'est fait du vivant de Slimane Lakhdar Bentobbal et a requis cinq longues années, comme l'explique l'historien et maître conférencier dans sa préface en forme d'avertissement : «Le travail qui a abouti à la première version des mémoires de Slimane Lakhdar Bentobbal a commencé vers la fin décembre 1980 pour s'achever en juillet 1986. Il a consisté tout d'abord en l'enregistrement de l'entretien mené en compagnie de Mahfoud Bennoune (professeur d'anthropologie, ancien membre de l'ALN, secrétaire du colonel Bentobbal, chef de la Wilaya II et agent de liaison entre le PC de la Wilaya II et le CCE) sur la base d'un canevas chronologique et historique préalablement élaboré par mes soins... Chaque chapitre de ce premier tome a été soumis à l'appréciation critique de M. Bentobbal qui, après trois lectures successives et quelques corrections portées sur les premières épreuves, a donné son aval à la forme définitive... Après avoir attendu 35 années que la famille Bentobbal m'accorde la possibilité de publier l'entretien, j'ai pris la responsabilité de rendre public ce témoignage et de le transmettre au peuple algérien, aux moudjahidine et à leurs descendants...» Les mémoires de Lakhdar Bentobbal s'ouvrent sur son enfance à Mila : «D'après mes souvenirs et les dires des anciens, la famille dans laquelle j'ai vu le jour était extrêmement modeste. Elle comptait mes deux oncles et mon père ainsi que mes trois tantes qui, elles, s'étaient mariées très tôt. Tous vivaient sous le même toit, dans une petite maison de la ville. Mon père et mes deux oncles étaient si démunis que le jour du décès de mon grand-père, ils ne purent même pas faire le sacrifice traditionnel du mouton à la cérémonie du repas funéraire.» C'est durant sa scolarité, en 1937, que Bentobbal s'éveille au nationalisme : «...Deux cours d'histoire m'avaient fortement ébranlé. L'un portait sur la défaite de l'Emir Abdelkader face à Bugeaud et l'autre sur Roland de Roncevaux. C'était le directeur de l'établissement, Pierre Péguin, qui nous faisait la leçon. Il dictait son cours comme d'habitude, mais ce jour-là, le silence était si lourd qu'on se serait cru dans un cimetière.» Lakhdar Bentobbal adhère au PPA. Il se souvient : «Dans les réunions, on parlait de l'histoire de l'Algérie et de celle de la ville de ses familles. On parlait des indicateurs et des collaborateurs de la France... Ceux qui étaient de notre côté nous demandaient souvent avec quels moyens on comptait combattre la France et la déloger d'ici. D'où est-ce qu'on allait amener les armes nécessaires. Nous n'avions pas de réponse à toutes ces questions ; nous avancions l'idée du sacrifice de sa propre personne, de la mort en héros pour la cause de sa patrie.» Après le PPA, Bentobbal rejoint l'OS. Il est en contact avec Larbi Ben M'hidi et Didouche Mourad. Durant les réunions, les militants s'entraînent à la guérilla. Fini le travail de propagande, il faut occuper le terrain. Brahim Aouati lui intime l'ordre de réunir des militants : «...Il s'agit de l'OS, une nouvelle organisation. Vous devez vous retirer complètement de la politique. Il vous est interdit dorénavant de faire de la propagande dans les cafés. Il faut vous faire oublier des militants du MTLD et des autres gens. Si on vous accuse de traîtrise ou de découragement, il ne faudra pas réagir... Le travail d'agitation est maintenant terminé pour vous.Vous entrez dans la phase d'organisation. Je ne peux vous dire combien de temps elle va durer, mais quand elle sera terminée, nous passerons directement à la lutte armée.» Le militant assiste à la réunion du groupe des 22 dans une maison du Clos-Salembier, à Alger : «Nous étions réunis dans un salon pas très grand, assis par terre et serrés les uns contre les autres... Au cours de la réunion des 22, beaucoup avaient posé la question de la position des militants de l'extérieur. Ils savent tout, avait répondu Boudiaf. Aït Ahmed, Khider et Ben Bella sont à 100% avec nous, ils sont des nôtres.» Un autre chapitre de cet ouvrage est consacré à l'annonce du déclenchement de la guerre de libération nationale fixé au 1er Novembre 1954 : «Cinq jours avant le 1er Novembre, Didouche avait réuni Benouda, Zighout et moi chez Mohammed Salah Benmihoub. Cet ancien militant OS avait mis à notre disposition, dans la région de Smendou, une écurie dans laquelle nous avions l'habitude de nous réunir... Il s'agissait d'évaluer les effectifs dont chacun disposait, le nombre d'armes et de munitions et le moral des militants... C'est seulement à la fin de la discussion que Didouche nous apprit la date fatidique.» Lakhdar Bentobbal rend hommage à Didouche Mourad. Il avait fait sa connaissance en 1948. Didouche était alors responsable hiérarchique de l'OS. «Nos relations limitées par le cadre organique du parti étaient alors celles d'un militant à son supérieur. Ce n'est que pendant la vingtaine de jours que nous avons passés ensemble, à la fin 1954, que j'ai découvert le vrai Didouche, le chef et le théoricien de la révolution algérienne... un véritable guide, un meneur dont la seule présence pouvait faire disparaître la peur, qu'elle fût physique ou morale.» Le moudjahid témoigne également des atrocités commises par l'armée française en représailles contre la population civile après la bataille de Zekrana durant laquelle une centaine de soldats français furent tués et un important lot d'armes récupéré par les moudjahidine. «Il y avait eu des exactions terribles. Par exemple, dans un ratissage à Beni Tlilane, en une journée, dans un douar de 2000 habitants, les soldats français avaient tué 84 civils. Il y avait, là, mes sœurs, ma belle-sœur, ma femme et ma mère. Les Français vivaient sur le tas, mangeaient les provisions, abattaient le bétail du douar... Les gens n'ont pas été tués par les armes à feu. Un grand nombre avait été amené au cimetière... Les prisonniers des militaires français ont été obligés de creuser leurs tombes avant d'y être enterrés vivants. Pour d'autres, ce sont les sœurs ou les mères qui ont été obligées de creuser les tombes de leurs enfants et de leurs maris.» Des témoignages inédits racontés du vivant de Lakhdar Bentobbal à Daho Djerbal, entre 1980 et 1986. Les lecteurs attendent impatiemment la sortie de ce deuxième tome, annoncée au printemps 2022. Maître de conférences en histoire contemporaine à l'université d'Alger, Daho Djerbal dirige, depuis 1993, la revue Naqd d'études et de critique sociale. Après une dizaine d'années de travaux en histoire économique et sociale, il s'oriente vers le recueil de témoignages d'acteurs de la lutte de libération en Algérie. Soraya Naili Lakhdar Bentobbal. Mémoires de l'intérieur. Daho Djerbal. Chihab éditions. 2021.396 p. 1 200 DA.