La bourde historique du Président Emmanuel Macron quant à l'inexistence de la Nation algérienne avant la colonisation française et l'instrumentalisation de la «rente mémorielle» auront laissé des traces profondes dans les relations entre les deux pays. La brusque tension, suite à ces propos, désignée sous le vocable de crise diplomatique, va au-delà d'une mésentente entre deux pays comme cela se produit souvent ici et ailleurs. Sauf que dans ce cas précis, les mots diffamants peuvent avoir aussi une portée assassine. Les plus hautes autorités du pays ont été choquées par les déclarations du chef de l'Etat français parce qu'elles s'attendaient plutôt à la construction de rapports constructifs qui rompraient avec un passif qui bloquait toute perspective positive. Dans le respect et la promotion de projets communs, politiques et économiques. La réaction algérienne à ce grave manquement aux bienséances diplomatiques est plutôt adaptée, sachant aussi la blessure provoquée chez les Algériens qui n'admettent pas que l'on touche à leur dignité profonde. Aux Français de reconnaître cette faute dans la conduite des affaires avec un pays sourcilleux quant à la défense de sa souveraineté. La série de mesures de rétorsion est donc à l'image du tort fait. Message entendu du côté de Paris puisque, très vite, une volonté de tourner la page de cet «incident» est publiquement exprimée par des voix officielles du gouvernement. Dès lors, l'on va tenter de prouver concrètement cette nouvelle disposition à prendre langue avec une Algérie courroucée. Ce sera, naturellement, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, un fidèle de Macron, qui sera à la manœuvre. Avant de débarquer à Alger, le diplomate français avait balisé le terrain par des gestes de bonne volonté. Il continue dans cette logique, appelant à une «relation apaisée» entre la France et l'Algérie. On notera qu'outre sa rencontre avec son homologue, surtout il a été reçu à El Mouradia par le Président Abdelmadjid Tebboune himself. Sur ces entrefaites, sa collègue, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, crée l'événement, et il est de taille. Elle annonce l'ouverture des archives, avec 15 ans d'avance, sur «les enquêtes judiciaires liées à la guerre d'Algérie». De quoi susciter l'enthousiasme des chercheurs et autres historiens. En porte-à-faux avec les conclusions du «Rapport Stora» remis à Macron ? Mémoires d'un peuple, a fortiori en guerre, les archives peuvent avoir aussi un effet à double tranchant. En France d'abord, où la campagne présidentielle d'avril 2022 fait la part belle aux ultras et nostalgiques de l'Algérie française, et démasque toutes les horreurs commises contre les Algériens. En Algérie, il y aurait derrière l'idée de rafraîchir la mémoire quant à tous ceux, planqués dans les rouages du système, lesquels, hier, collaboraient avec zèle sous diverses formes. Une manière d'attaquer une fois de plus les tenants de la «rente mémorielle» ? Dans ces calculs de haute voltige, la France officielle sent que le terrain se dérobe sous ses pays en Afrique notamment. Ayant mal digéré le coup des contrats de sous-marins australiens, la vente massive d'avions et d'hélicoptères aux Emirats arabes unis n'est pourtant pas pour panser ce crime de lèse-majesté. De la bouche même de Le Drian, «l'Algérie est une puissance d'équilibre régionale» sur laquelle il faut compter. Le fiasco de l'opération Barkhane et le sentiment anti-français en nette évolution dans la région sahélo-saharienne menacent tout «l'héritage» colonial. Les officiels français ont bien compris qu'ils doivent composer avec Alger. Les Français savent aussi que de nouvelles alliances sont en construction en réponse aux sabotages des initiatives de paix algériennes dans la région. Un challenge renouvelé mais sans doute avec moins d'atouts ! Brahim Taouchichet