ECONOMIE. Je te le dis cash, jumeau, jumelle ! Certes, la Banque mondiale nous critique par jalousie car nous avons bu je ne sais plus quelle coupe jusqu'au nectar après avoir achevé la lie, mais n'y aurait-il pas un brin de sens tout de même dans les critiques de la Vieille-Dame-des-Sous ? Mon petit doigt, lui, me fait comprendre, en passant, qu'il faut, et deux fois plutôt qu'une, se méfier de la Banque mondiale, mais pas pour ces petites flèches sacrilèges décochées dans la direction de notre mausolée! C'est elle et son compère, le FMI, qui nous entraînent sur ces douces pentes ultralibérales qui grignotent nos intérêts sociaux et risquent de finir par hypothéquer jusqu'à notre souveraineté. On les connaît, oui, depuis le temps ! Et on se connaît aussi, un peu mieux, peut-être ! TUTORIEL. Donc, parfois, ce n'est pas insensé. Par exemple ? Nous dépensons trop ! Encore qu'on n'avait pas besoin des mecs de Bretton Woods ni même de Sidi Zekri, pour le savoir ! C'est pourquoi, en citoyen bien modelé autant que modèle, j'ai pris la décision révolutionnaire de faire des économies, de me soumettre à une certaine austérité ! Ce sont les piécettes qui font la fortune ! Au lieu, par exemple, d'enrichir le pâtissier hallal de chez moi qui fait ses choux gras de ses gâteaux harragas, vendus dans d'informes papiers kraft pour échapper à la vigilance des check point zélotes, j'ai pris la résolution de faire moi-même ma bûche. Selon les critères de la Banque mondiale, et même selon les miens, elle revient beaucoup moins cher comme ça ! C'est simple ! Eh bien, je me suis connecté sur internet et j'ai demandé l'aide d'un tutoriel dédié à cette préparation précisément, je me suis retroussé les manches et la foi, et j'ai agi tout ce qu'il y a de plus conforme aux préceptes. J'ai passé toute la sainte soirée à surveiller le four en entendant, à la télé, à côté du moulin, une biche bramer. Sérieux, elle bramait grave ! Puis, manque de pot, au moment où je regardais par la fenêtre un beau clair de lune sur la colline où je ne siffle plus depuis belle lurette, la pâtisserie en a profité pour cramer ! Tout ça pour ça ! Il y a des fois où ça craint ! Fichue ? Quasiment... Mais, par esprit d'économie, je me suis dit : soit, elle a pris un coup de chaud, faut-il pour autant la jeter ? Que non, ce n'est pas patriotique ! Faut faire des économies, mon jumeau, ma jumelle. Y'a qu'à... Y'a bien des morceaux qui ont échappé à la morsure du feu. ! À ce propos, si quelqu'un apporte une preuve coranique que ce morceau de pâtisserie qu'est la bûche est interdit, je la recrache immédiatement. T'emballe pas, jumeau, jumelle, c'est une plaisanterie, même pas à la Kundera. Voilà comment j'ai fini l'année de tous les feux ! CONSCIENCE. Du coup, comme toi, mon jumeau, ma jumelle, j'aborde 2022 avec un léger embarras gastrique, en plus de ce goût de brûlé dans le palais. Bien entendu, tu l'auras deviné, le mot embarras reste un euphémisme de basse intensité. Aucun rapport avec la trêve des confiseurs, mais j'ai pensé à ce moment-là à cette sentence bourrue de Jean-Pierre Chevènement prononcée en 1983, en démissionnant du gouvernement : « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne. » L'ennui, en remplaçant le mot ministre par journaliste, c'est qu'un journaliste n'ouvre ni ne ferme sa gueule, il est censé juste nous relater des faits ! Voilà, les faits ! C'est exactement pour ça que les mecs ont des soucis. Les faits ! Tout est là ! D'ailleurs, c'est à leur problématique que Maria Ressa, la journaliste philippine, co-lauréate du prix Nobel de la paix avec le Russe Dmitri Mouratov, relie les déconvenues des praticiens des médias, surtout dans les régimes qui ont la capacité, pour faire des économies, à fabriquer leurs propres faits comme je fais ma bûche, et de nier ou de tordre ceux de la réalité. « Un monde sans faits signifie un monde sans vérité et sans confiance », affirme-t-elle dans un bel idéalisme probablement suranné. NOBEL. En plus d'avoir raté ta dernière bûche de l'année 2021 et la première de ta vie, qu'est-ce qui te tracasse donc ? Tu ne me croiras pas, mais je suis travaillé par le sort fait aux journalistes en... Russie. Pourquoi la Russie ? Va savoir... Peut-être parce que je trouve que le monde marche mal sur un seul pied depuis l'effondrement de l'URSS. On nous avait promis le paradis capitaliste pour tous ! Et on nous donne la harga pour tous ! Dmitri Mouratov, le journaliste russe couronné du Nobel, dans son discours de réception du prix, soutenait que le travail du journaliste est de « séparer les faits du mensonge ». Terrible et délicate tâche. Du reste, en plus du goût de cendres que laisse la bûche dans ta bouche, ajouté à celui qu'inspire le traitement imposé aux journalistes en Russie, un autre truc te soucie. Tiens, la peine de prison infligée à un journaliste marocain, Omar Radi, m'a fait avaler la part de bûche litigieuse de travers. Il critique le régime marocain. Soit ! En décembre 2019, rentrant d'Alger où il avait assisté à la remise du prix Ali-Boudoukha récompensant le meilleur article d'investigation, Omar Radi, jeune journaliste de 33 ans, est convoqué par la police. Puis il est pris dans la nasse policière et judiciaire où on l'accuse de tout, du viol à l'espionnage en passant par l'ivresse publique, les insultes, injures, outrages à magistrat. Tu vois ce qu'on peut trouver comme chefs d'accusation quand on veut se débarrasser d'un journaliste ? POST-SCRIPTUM. Je ne te le fais pas dire, il y a encore à gloser sur des tas de sujets. Mais c'est le Nouvel An ! La trêve ! Le khawa-khawa balle au canon! Au fait, je ne suis pas sûr que le titre de cette chronique ne soit pas ce qu'on appelle, en littérature, une réminiscence, c'est-à-dire quelque chose que tu as lu, jumeau, jumelle, sous la plume de quelqu'un d'autre, et qui t'est resté dans la tête pour surgir comme ta propre trouvaille. Faut pas rêver ! Si tu as trouvé l'auteur, je t'offre la part de bûche valide. Et même si tu n'as pas trouvé, je te souhaite le meilleur pour l'année 2022. On gagnera avec ou contre la Banque mondiale, avec ou sans la bûche, avec ou sans Sidi Zekri, avec ou sans... A. M.