Imaginons, ce qui paraît bien utopique, que Khaled Drareni ou un autre journaliste algérien maudit ait été distingué par le prix Nobel de la Paix. Imaginons, ça ne mange pas de pain ! Quelle aurait été la réaction des autorités du pays ? Curieux et inquiet de le savoir ! Mais ne préjugeons pas négativement. Peut-être pourrait-on être surpris agréablement, qui sait ? Comme ça a été le cas en Russie. Ou presque ! Le prix Nobel de la paix a été remis à deux journalistes dans la tourmente dans leur pays respectif, Maria Ressa aux Philippines, et Dimitri Muratov en Russie. Ce dernier est rédacteur en chef de Novaïa Gazeta auquel appartenait Anna Politkovskaïa, connue pour son combat pour les droits de l'Homme et son opposition à Poutine, assassinée dans des circonstances suspectes en 2006. À peine croyable, mais une demi-heure après l'annonce de ce prix, le Kremlin, par la voix de Dmitri Peskov, porte-parole de la présidence russe, encense le lauréat. Et quels mots fair-play il a utilisé ! : « Nous pouvons féliciter Dmitri Mouratov. Il travaille en continu en suivant ses idéaux, en les conservant. Il est talentueux et courageux. » Ces mots élogieux sont tempérés cependant par la question de savoir si le Président Poutine partageait ce dithyrambe. La réponse n'a pas tardé. Interrogé sur cette attribution, Vladimir Poutine n'a étonné personne en restant sur la ligne de la suspicion qui est la sienne : « S'il (Dimitri Muratov) compte utiliser son prix Nobel comme un bouclier pour faire ce qui est contraire à la loi russe, ça signifiera qu'il le fait en connaissance de cause (...) » Cette sentence tombe comme un couperet tant le climat de répression est ambiant. Le contexte est particulier. Plusieurs ONG et médias indépendants russes sont déférés devant la justice, marqués par le stigmate infamant d'« agent de l'étranger ». Aucune opposition, si pacifique soit-elle, ne peut s'exprimer sous une telle épée de Damoclès. Comparaison n'est pas toujours raison. Mais quand même... Parfois... A. T.