DELIT- Il paraît que ça peut devenir un... délit, et tout et tout, d'écrire ce qu'on pense sur Facebook... Et même ce qu'on ne pense pas ! Officiel ? Ouais !... Visiblement, c'est bon qu'à applaudir des deux mains – nationales, bien sûr, et pas celles de l'étranger – et à louanger le bon Dieu et ses saints, à répandre de l'encens dans les mausolées et les palais des satrapes, à tresser des couronnes aux déjà couronnés, à taper sur Belmadi et à insulter les brebis égarées dans les pâturages félons. Là, il n'y a ni limite ni frontière, la chasse et la harga sont ouvertes sans restriction. Pire, ou mieux, ou les deux en même temps : c'est même un délit de lire les conneries parfois lumineuses que certains hurluberlus de génie accrochent comme des offrandes à l'arbre votif qui tient le monde comme d'un seul tenant, cette tour de Babel du hoquet, de l'onomatopée, du grognement, du lamento, de la fulgurance, mais aussi de l'incohérence abyssale et de la primitive provocation, ce tour de babils en somme. C'est pourquoi, ces derniers mois, et particulièrement depuis le début de la pandémie, les pages algériennes et assimilées se sont grosso modo converties à la façon la plus authentique de nationaliser la préparation de la confiture de coing, à la célébration élégiaque de la langueur sur nos côtes balnéaires, au zen de nos montagnes enneigées de sucre et de divin, à un khawa-khawa transcendantal qui flotte à la surface des consciences comme un résidu post-nucléaire. Tout va bien, camarade ! Oui, pour éviter les emmerdes et autres embrouilles, on préfère basculer tout habillé dans la poésie courtoise aux rimes naturellement embrassées, dans la culture des perles à égrainer en chapelets de prière pour Premier ministre éphémère, dans l'élevage du ver à soie chez les primo-Amazighs repentis de la péninsule et dans le décryptage de la place du superlatif dans le dithyrambe en arabe préislamique. Jamais vu autant de posts aussi passionnants sur des sujets politiquement torrides. Chacun cultive son jardin au tic-tac sourd de son sablier. Les uns arrosent de miel et de benjoin des carrés de fleurs hallal. Les autres cardent la faune pour que le sacrifice soit conforme aux préceptes. Et tous invoquent la symbolique du lézard dans la cosmogonie maori. Tout va bien, compagnon... En attendant, traînant hier comme un boulet monolithique et tétanisé par demain qui déboule d'ores et déjà comme le rocher de Sisyphe qu'il va falloir remettre en place, on se prélasse rétroactivement dans une « nostalgie tournée vers l'avenir » – selon le concept bricolé dans quelque laboratoire ou officine néo-quelque chose – en tirant sur une Afras et en sirotant une tasse où stagne un brouet de poudre de pois chiche baigné d'eau de fleur d'oranger et de quelques strophes à la menthe d'El Anka. Bref, l'Algérie liftée, habillée de neuf, facebokée sous tous les profils, revient dare-dare après des raids échevelés sur les sentiers de la sédition citoyenne et des escapades dans les landes de l'intelligence collective, à un doux nationalisme de raison. Tout va bien, frère... PAIX- Le fait est que Facebook, jadis si fébrile et parfois – souvent – excessif, semble pacifié. Le bled est calme, disait l'autre ! Le défouloir de jadis se transmue subrepticement en salle de prière ou en enclos de méditation. On entendrait une mouche électronique voler ! Le ring devient ipso facto une cellule disciplinée de parti unique. Ne pérorent que ceux qui ont un double pouvoir, celui de le faire et celui de faire taire les autres. MEDAILLE- Facebook a ses revers. On y exagère à tout-va, c'est le principe de base du truc. C'est même très souvent le caniveau et la déprime mais, on y exprime aussi, de façon adventice, ce qui ailleurs est mal vu ou malentendu. Quand les canaux d'information machin sont verrouillés, il reste cette porte cochère, cette petite issue de sortie, et encore ! S'y aventurer et y parler de choses qui fâchent mais qui concernent notre destin collectif, peut mener à tout, même dans les oubliettes. Les absents ayant toujours tort, ça, c'est un autre sujet ! A. M.