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NABILE FAR�S, IL �TAIT UNE FOIS, L�ALG�RIE
Petites histoires faussement ind�pendantes pour un pays de disparus
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 03 - 2011

Dans son dernier ouvrage publi�, Nabile Far�s donne le ton d�s le titre : Il �tait une fois, l�Alg�rie (�dition Achab) nous situe d�j� dans l�univers du conte. Mais il va au-del� car l�auteur, qui s�est toujours inscrit dans le d�passement de la cat�gorisation monochrome du monde et de la litt�rature et qui est motiv� par un d�sir jamais d�menti d�ouverture au multiple, ajoute en guise de sous-titre : �Conte roman fantastique�.
La notion de �genre litt�raire� confirme ainsi � la fois sa r�alit� et ses propres limites par cette r�f�rence � des genres d�finis d�apr�s des propri�t�s litt�raires diff�rentes (conte et roman vs fantastique). L�ouvrage commence par une s�rie d��pigraphes qui nous propulsent dans l�univers culturel de Nabile Far�s. Des citations du philosophe syrien Al Ma�ari (973-1058), du po�te mystique persan Rumi (1207-1273) et de l��crivain juif Yakov Braun (1889-1937) � trois personnalit�s qui ont en commun l�esprit de r�sistance aux autorit�s politiques � annoncent les angoisses et les espoirs qui vont caract�riser l��uvre de Far�s qui cite aussi le peintre catalan Joan Miro (1893- 1983) : �Pour d�couvrir un monde habitable/ Que de pourriture � balayer.� Il �tait une fois l�Alg�rieest dit et transcrit par diff�rents personnages dont Slimane Driif, un journaliste et �crivain d�butant, Linda, peintre et amie de Slimane � Paris, une psychoth�rapeute, et Tania, fille de Selma la disparue� Des personnages narrateurs qui sont eux-m�mes acteurs de leur propre histoire, ou, � bien des �gards, acteurs malgr� eux d�une Histoire dessin�e par d�autres mains. Chacun, par son intervention, ses douleurs et ses r�ves, veut apporter une r�ponse ou du moins aider � savoir : �Comment maintenir la vie contre les gouffres, les envies de nuire, de tuer, mourir, �tre autrement, quitter la haine, celle de soi, des autres, du monde, de la terre enti�re.� Slimane Driif est justement tomb� dans un gouffre, �un puits� sans fond, depuis qu�il a appris la disparition de Selma, enlev�e par ceux qu�on appelait dans les terribles ann�es 1990, �terroristes� ou �encore mots opaques, incongrus, �les groupes arm�s� ?�, des appellations que Nabile Far�s reprend en les entourant de modalisations r�p�t�es pour relativiser leurs v�rit�s, et que les Alg�riens ont rejet�es leur pr�f�rant le n�ologisme de �tangos�. L�auteur a donc choisi d�aborder la �D�cennie noire�, p�riode dite de �guerre civile� que l�Etat alg�rien veut d�j� effacer des m�moires pour n�en laisser qu�une fausse histoire � encore une � qu�il nomme lui-m�me �la trag�die nationale�, c�est-�-dire une histoire de victimes sans coupables, de tu�s sans tueurs. En plus d��tre un philosophe, Nabile Far�s est psychanalyste. Il fait donc un travail d�analyste qui lib�re ce qui est frapp� par les autorit�s politiques de l�interdit d��tre dit. Pour comprendre la disparition � historique et litt�raire � de Selma (la �Saine� en arabe), Slimane Driif se sent dans la contrainte d�enqu�ter pour trouver l���picentre � du s�isme historique alg�rien et de ses r�pliques. C�est � Zemmouri, dans la ville de Boumerd�s et �picentre du s�isme qui avait fait plus de 2 000 morts en 2003, que le journaliste va comprendre que l�histoire alg�rienne est faite de violences r�p�t�es qui tirent leur racine de l��ind�pendance� rat�e du pays qui est, d�apr�s la terminologie officielle, gouvern� par des �architectes� incontr�lables : �Les habitants de Zemmouri et des quelques villages alentour, cit�s, villas embellies de Boumerd�s, n�avaient jamais envisag� que leur lieu de vie, d�amour et de d�samours, de richesses et de pauvret�, d�ambitions et de retraites, pouvaient s�effondrer � cause d�un s�isme, de la vigilance d�un raz-de-mar�e, de l�impr�vision de constructeurs entrepreneurs assez n�gligents pour ne pas s��tre pr�occup�s d�irruptions enfouies, de mouvements peu visibles, d�ind�pendances obscures, de failles si anciennes, ignor�es aujourd�hui par des maquettistes promus aux titres actuellement pris�s d�architectes.� La remont�e de Slimane vers l��illusoire embryon d�une ind�pendance dite aujourd�hui moins disparue que lui� est marqu�e par des dates-haltes diff�rentes par les chiffres qui les situent dans le temps et semblables par leur contenu uniforme et traumatisant : 1962, 1963, 1980, 1988, 1990, 1998, 2001, 2003� Des dates qui ont marqu� l�Alg�rie par leurs violences, qu�elles soient humaines ou naturelles. En effet, le travail de m�moire, qui �voque l�assassinat du Premier ministre des Affaires �trang�res Mohamed Khemisti, de Matoub Loun�s et de Guermah Massinissa, est accompagn� par un travail de m�taphorisation sans r�pit. Et la violence du s�isme de Boumerd�s et des inondations d�Alger en 2001 marque le paysage alg�rien comme les violences militaires ont marqu� les esprits : �Ce tremblement de terre et ce raz-de-mar�e dont les gens parlent encore aujourd�hui � cause des d�combres de tout un monde qui y a �t�, en m�me temps, jet�, enseveli.� Il �tait une fois l�Alg�rie est une �uvre fantastique. Tout nous ram�ne � ce genre litt�raire : les spectres, les Moi transparents, les temps s�interp�n�trant, l�ambigu�t� des perceptions, les hallucinations, la cruaut� des actes et des sc�nes d�crits dans �� une marche insens�e entre les images, les pens�es, les visions, les trous, les peurs, les pays, les t�tes coup�es, les mains coup�es, les arbres, le village�. Le signe fondateur de l�orientation fantastique de l��uvre vient de cette impossibilit� de nommer, ou de bien-nommer, ceux qui maintiennent l�Alg�rie dans une interminable nuit et que les Alg�riens d�signent par le pronom personnel vague pour le monde et si pr�cis dans leur esprit : �ils�, pronom que Far�s met en exergue : �Elle ne pouvait plus ignorer maintenant ce qu�ILS feraient sans doute sans remords, sans retenue, par amn�sie.� Et quand l�auteur veut nous �clairer sur ce �ils�, il parle d��Ogres� ou d��Ogres Humains�, ces ennemis de l�enfance du monde, qui vivent dans une for�t � autre �picentre � redout�e par les villages alentour. On remarquera cependant que, par moments, la force de l�espoir fait entrer l��uvre dans le monde du merveilleux dont le personnage embrayeur est Linda qui incarne la possibilit� d�une �autre vie� et d�une �autre histoire�. Nabile Far�s voit dans l�Alg�rie d�aujourd�hui une Alg�rie �trange o� toutes les diff�rences auraient pu coexister, selon le message de Jean Amrouche, mais o�, au lieu de cela, elles s�annihilent les unes les autres. Aussi le rythme de la lecture est-il sismique, hach� malgr� la calligraphie souvent ouverte par l�absence de ponctuation. Chaque mot, dans chaque �num�ration, authentifie une appartenance � un monde, � une histoire ; une authentification prise au d�pourvu par tout ce qu�elle reconna�t, qu�elle nomme alors que chaque mot, nom, suspend, rature par sa simple prof�ration le mot, nom, qui le pr�c�de, et qui, � peine dit, dispara�t derri�re celui qui le suit : �Malgr� toutes les richesses que conna�t actuellement ce pays � gaz, p�trole, or, argent, bazar o� l�on trouve absolument �tout� ? : pi�ces d�tach�es pour voiture, machine � laver, savonnettes, clous, fils de fer, colles, foulards, chaussures, paires par paires, semblables ou diff�rentes, montres avec aiguilles ou sans, cadran horaire, v�tements, sous-v�tements, bandes dessin�es, plusieurs formats de livres dont on ignore les provenances, des buvards, des cahiers, des lunettes, des brosses � dents, des poupons, des petites filles marionnettes envelopp�es par diff�rents tissus, coton, soie, fibres synth�tiques, des mini-ordinateurs pour enfants� �. Il �tait une fois l�Alg�rie est certes une �uvre sombre, aussi sombre que l�histoire du pays, mais � combien salutaire tant elle est l��uvre d�un analyste exceptionnel, d�un po�te qui a toujours �t� dans cette histoire dont il parle avec pudeur, sans jamais mettre en avant son propre nom. Une �uvre salutaire car elle propose des r�ponses � toutes celles et � tous ceux qui consid�rent la violence en Alg�rie comme une �nigme herm�tique � l�interpr�tation et elle nous met face � notre irrationalit� : �Pourquoi avoir mis tous ces enfants au monde si c�est pour les tuer par la suite ?� Ce conte roman est une �uvre qui parle d�un pays-champs de d�solations et de la possibilit� d�un pays apais� et, par l�, apaisant ; une �uvre qui lib�re cet �oiseau� rest� longtemps �ventr� sur une pierre. Oui, cet oiseau-l� aussi pourrait rena�tre transform� et prendre son envol dans le ciel et sous le soleil qui auront ainsi trouv� leur raison d��tre.
A. C.
Biographie de Ali Chibani
Ali Chibani, auteur du recueil po�tique L'Expiation des innocents, est docteur en litt�rature compar�e avec une th�se soutenue � la Sorbonne et intitul�e Temps clos et ruptures spatiales dans les �uvres de l'�crivain francophone Tahar Djaout et du chanteur-po�te kabyle Lounis A�t Menguellet. Il collabore au mensuel Le Monde diplomatique, au site web de Tv5 Monde, ainsi qu'� la revue Cultures Sud et au quotidien L'Humanit�. Il a �galement co-fond� le blog litt�raire La Plume francophone.


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