Par Brahimi Mohand Avocat Des d�clarations attribu�es r�cemment � de hauts responsables notamment au ministre de l�Int�rieur font �tat de la persistance des pouvoirs publics dans leur refus d�agr�er de nouveaux partis politiques et cela au lendemain de la lev�e de l��tat d�urgence. Ce refus est para�t-il justifi� par l��tat d�urgence en vigueur depuis 1992. Ce refus oppos� � la demande d�agr�ment de nouveaux partis politiques est-il juridiquement fond� ? Plusieurs contributions qui ont trait� de cette question ont toutes conclu � la non- constitutionnalit� et � la non-l�galit� de ce refus, mais ont �tay� leur argumentaire beaucoup plus sur le terrain politique que juridique. Dans cet expos�, il sera d�montr� que suite � la lev�e de l��tat d�urgence intervenu en vertu de l�ordonnance n�11/01 du 23 f�vrier 2011, il est incontestable que le refus de l�administration oppos� aux demandes d�agr�ment de nouveaux partis politiques est non seulement ill�gal mais entach� d�exc�s de pouvoir au sens du droit administratif et, de ce fait, encourt la censure du juge administratif. La probl�matique de la cr�ation des partis politiques Il va s�en dire que les partis politiques jouent un r�le primordial dans une soci�t� d�mocratique. Ceux-ci repr�sentent une forme d�association essentielle au bon fonctionnement de la d�mocratie. Aussi, toute mesure prise � l�encontre d�un parti politique soit celle refusant son enregistrement ou son agr�ment soit celle restreignant son activit� affecte la libert� d�association et partant l��tat de la d�mocratie dans le pays concern�. La libert� d�association, et son corollaire la libert� de cr�er des partis politiques, constitue l�une des libert�s fondamentales et reconnue comme telle par tous les pays d�mocratiques qui en ont fait un principe constitutionnel. L�Alg�rie n�a pas d�rog� � la r�gle, puisque la constitutionnalit� de la libre cr�ation des partis politiques et des associations est express�ment consacr�e par les articles 41 et 42 de la Constitution. D�autre part, l�Alg�rie a ratifi� tous les instruments internationaux des droits de l�homme qui �rigent le droit d�association au rang de principe fondamental, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 d�cembre 1966 (PIDCP), le protocole facultatif y aff�rent entr� en vigueur en Alg�rie le 12 d�cembre 1989 et la Charte africaine de droits de l�homme entr�e en vigueur le 20 juin 1987. Les modalit�s de cr�ation des partis politiques diff�rent d�un pays � un autre. Si le simple enregistrement du parti est pr�vu dans certains ordres juridiques, certains pays telles l�Allemagne, la Gr�ce ou la Suisse n�imposent m�me pas cette formalit�. D�autres ne pr�voient l�enregistrement que si le parti politique compte participer aux �lections comme c�est le cas au Danemark ou si ce parti veut prot�ger son appellation � l�instar de la Su�de. Parmi les pays qui pr�voient un enregistrement pour que le parti politique puisse avoir une existence l�gale et activer, certains ne proc�dent qu�� un contr�le formel lors de cette op�ration o� la seule condition est la r�colte d�un nombre d�termin� de signatures (Autriche, Espagne, Norv�ge). Concernant l�Alg�rie, force est de constater que le l�gislateur a opt� pour une proc�dure de cr�ation des partis politiques beaucoup plus draconienne. La loi organique du 4 mars 1997 relative aux partis politiques �dicte un processus long et fastidieux qui s�ach�ve par l�octroi d�un agr�ment par le minist�re de l�Int�rieur. Ce processus qui d�bute par le d�p�t au minist�re de l�Int�rieur de la d�claration constitutive du parti accompagn� d�un dossier (art. 12) doit franchir les �tapes suivantes : la remise du r�c�piss� de d�p�t de la d�claration par le ministre de l�Int�rieur aux membres fondateurs (art.15), la publication de ce r�c�piss� au Journal officiel par les soins de la m�me autorit�, la tenue d� un congr�s constitutif du parti qui doit intervenir dans un d�lai d�une ann�e au plus tard � compter de la publication du r�c�piss� de d�claration au Journal officiel et qui doit �tre repr�sentatif de 25 wilayas au moins sous peine de caducit� de la d�claration constitutive (art.18) et enfin la d�livrance de l�agr�ment et sa publication au Journal officiel si le ministre de l�Int�rieur estime que les conditions de cr�ation sont r�unies (art.17). A ces conditions de forme, il faudrait aussi ajouter la n�cessit� de se conformer aux r�gles mat�rielles applicables � l�activit� des partis politiques pr�vues par la loi du 4 mars 1997 qui comporte une kyrielle d�interdictions et d�incompatibilit� qui va de la non-utilisation des composantes fondamentales de l�identit� nationale, au rejet de la violence, en passant par l�interdiction de toute coop�ration avec l��tranger ou lien avec un syndicat ou association, en tout une vingtaine d�interdictions. Il est clair que les modalit�s formelles et mat�rielles de cr�ation des partis politiques en Alg�rie telles que d�finies par la loi du 4 mars 1997 sont tr�s contraignantes. Le l�gislateur, dans un souci �vident de contr�ler de plus pr�s le processus de cr�ation des partis politiques, ce qui n�est pas en soi tr�s d�mocratique, a dans les faits limit� consid�rablement la libert� d�association ce qui constitue indubitablement une atteinte � la Constitution et aux trait�s et conventions internationaux ratifi�s par l�Alg�rie. Si en tout �tat de cause, les candidats � la cr�ation d�un parti politique ne peuvent que se r�signer � l�application des formalit�s impos�es par la l�gislation, il est par contre contraire � la loi toute d�cision, a fortiori une d�cision non motiv�e, refusant l�octroi de l�agr�ment alors que le parti politique en cause s�est astreint au respect des formalit�s requises. Dans le cas qui nous int�resse, le ministre de l�Int�rieur a d�clar� d�une fa�on solennelle que l�agr�ment de nouveaux partis politiques n�est pas envisag� pour le moment et qu�aucun agr�ment n�a �t� d�livr�. Il s�av�re aussi que le minist�re de l�Int�rieur a �t� destinataire de plusieurs d�clarations de cr�ation de partis politiques dont les plus connues sont celles du Parti de la justice, l�Union d�mocratique r�publicaine, Wafa et le Front d�mocratique fond�s respectivement par Mohamed Sa�d, Amara Benyounes, Ahmed Taleb Ibrahimi et Sid-Ahmed Ghozali. Se pose alors la question de la l�galit� de ce refus (m�me temporaire) r�it�r� du ministre de l�Int�rieur d�agr�er de nouveaux partis politiques, et ce, au regard tant de la l�gislation nationale qu�au regard des conventions internationales r�gissant cette mati�re et ratifi�es par l�Alg�rie. Tout d�abord, il convient de rappeler ce principe intangible en droit administratif : quand une autorit� administrative, quelle que soit son rang hi�rarchique, du simple agent administratif ayant pouvoir d�cisionnel au ministre, �met ou prend une d�cision, c'est-�-dire un acte administratif, celui-ci doit �tre en principe motiv� pour permettre au juge de contr�ler sa l�galit� et de l�annuler s�il appert qu�il a �t� rendu en violation de la loi. S�agissant de la d�cision du ministre de l�Int�rieur refusant l�octroi de l�agr�ment � un nouveau parti politique, il y a lieu de rechercher si elle n�est pas entach�e d�exc�s de pouvoir et d�une violation de la loi. Le refus d�agr�er de nouveaux partis politiques apr�s l�abrogation du d�cret instaurant l��tat d�urgence : une d�cision entach�e d�exc�s de pouvoir. Le refus d�agr�er de nouveaux partis politiques a �t� pendant longtemps justifi� par la situation politique et s�curitaire du pays mais surtout par la mise en �uvre des mesures pr�vus par le d�cret de 1992 instaurant l��tat d�urgence. Sans pol�miquer sur la l�galit� et la constitutionnalit� de l��tat d�urgence, en sachant toutefois que la prorogation de cet �tat d�exception par le d�cret pr�sidentiel du 6 f�vrier 1993 sans limitation de dur�e ni contr�le parlementaire a constitu� une violation aux engagements internationaux de l�Alg�rie, notamment une violation du PIDCP, la mise en application de l��tat d�urgence a eu comme cons�quence juridique entre autres de suspendre certaines libert�s fondamentales et de transf�rer au ministre de l�Int�rieur des pouvoirs qui en temps normal rel�verait des instances judiciaires. L��tat d�urgence n�est pas synonyme de pouvoir absolu et le comit� des droits de l�homme des Nations unies dont fait partie l�Alg�rie a un droit de regard sur les conditions de son instauration et de sa mise en �uvre. Le comit� a pos� le principe que la proclamation de l��tat d�urgence ne permet pas de d�roger � certains droits fondamentaux dont en particulier la libert� de penser qui prise dans son acception large induit la libert� de s�associer et de cr�er des partis politiques. Mais ce principe et ces recommandations n�ayant pas force ex�cutoire et le d�cret pr�sidentiel instaurant l��tat d�urgence n�ayant pas �t� censur� ni par le Conseil constitutionnel ni par le Conseil d�Etat, il fallait se r�signer � cette situation qui impliquait entre autres l�octroi au ministre de l�Int�rieur des pouvoirs d�mesur�s, y compris celui de refuser en toute l�galit� l�agr�ment de nouveaux partis politique sans possibilit� de voir un recours juridictionnel aboutir, le juge �tant lui-m�me li� par les dispositions de l��tat d�urgence. L��tat d�urgence ayant �t� lev�, la premi�re cons�quence de cette mesure est que le ministre de l�Int�rieur doit imp�rativement, et sous le contr�le et la censure de la juridiction administrative (le Conseil d�Etat), r�pondre � toute demande d�agr�ment d�un parti politique au seul visa de la loi organique relative aux partis politiques et aux conventions internationales ratifi�es par l�Alg�rie. Les d�clarations attribu�es au ministre de l�Int�rieur selon lesquelles il persiste dans son refus de d�livrer l�agr�ment tant pour les partis politiques dont les dossiers ont �t� d�j� d�pos�s au cours de la p�riode de l��tat d�urgence que pour les �ventuelles nouvelles demandes de cr�ation d�pos�es apr�s sa lev�e sont-elles justifi�es aujourd�hui ou au contraire sont-elles contraires � la loi ? Le refus d�agr�ment d�un parti politique �tant du point de vue du droit une d�cision administrative, il y a lieu en cas de contestation de cette d�cision de se pourvoir devant le juge administratif aux fins de son annulation. Le ministre de l�Int�rieur �tant une autorit� centrale il faudrait saisir dans ce cas le Conseil d�Etat. Ce recours est bien s�r introduit par les membres fondateurs du parti politique auxquels on a refus� soit l�enregistrement de la d�claration constitutive soit l�agr�ment. S�il n�est pas r�pondu par acte �crit � la d�claration constitutive, il y a lieu de provoquer une d�cision implicite de rejet qui est susceptible de recours en annulation dans les m�mes conditions qu�un recours contre une d�cision �crite de rejet. Dans l�hypoth�se o� le dossier accompagnant le d�claration constitutive d�un parti r�pond aux conditions formelles et mat�rielles pr�vues par la loi, la d�cision du ministre de l�Int�rieur refusant la publication du r�c�piss� de d�claration ou refusant l�agr�ment ne peut qu��tre censur�e et annul�e par le Conseil d�Etat aux motifs d'exc�s de pouvoir et de violation de la loi, sachant que les consid�rations d�ordre politique ou s�curitaire tir�es de l��tat d�urgence, et qui pouvaient �tre auparavant all�gu�es avec succ�s pour conforter devant le juge la d�cision de rejet prise par le ministre de l�Int�rieur, ne sont plus valables apr�s la date du 23 f�vrier 2011, date de la lev�e de l��tat d�urgence. Dor�navant, et sans anticiper sur la jurisprudence du Conseil d�Etat en la mati�re, il suffira aux membres fondateurs � qui on a refus� l�agr�ment de leur parti malgr� un dossier conforme de saisir cette juridiction d�un recours en annulation pour que ce refus soit censur� et l�agr�ment d�livr�, ceci sans pr�judice des r�parations qui pourraient �tre dues au titre du dommage mat�riel et moral induit par ce refus. En outre, le nouveau code de proc�dure civile et administrative permet en cette mati�re le recours au juge des r�f�r�s qui, au m�me titre que le juge du fond, pourra ordonner la suspension de la d�cision de rejet de l�agr�ment dans un d�lai qui ne d�passe pas les 48 heures. La seule condition pos�e par l�article 919 de ce code pour qu�un tel jugement soit rendu est que la d�cision de rejet en cause porte une atteinte grave et manifestement ill�gale � des libert�s fondamentales, ce qui est le cas de la libert� de cr�er des partis politiques. Et dans le cas improbable o� le juge administratif conforte la d�cision de rejet de l�administration en contradiction avec la loi, il restera le recours devant l�instance pr�vu par le protocole facultatif se rapportant au PIDCP ratifi� par l�Alg�rie en l�occurrence le Comit� des droits de l�homme des Nations unies. L�article 2 de ce protocole �nonce que tout particulier qui pr�tend �tre victime de violation de l�un quelconque des droits �nonc�s par le pacte peut saisir le comit� par une communication pour examen. Le droit de s�associer librement avec d�autres, et partant le droit de cr�er des association ou des partis politiques, �tant l�un des droits fondamentaux reconnu et prot�g� par le PIDCP (art. 22), le refus de l�entit� administrative relevant d�un pays signataire d�enregistrer ou d�agr�er un parti politique peut faire l�objet d�un recours devant ledit comit�. Bien que les r�gles r�gissant le comit� des droits de l�homme ne permettent � ce dernier que de faire part au pays concern� et au particulier plaignant de ses constatations sur la conformit� ou non de ce refus aux principes �nonc�s par le PIDCP, ces constatations �tant d�pourvues d�une quelconque force ex�cutoire, il n�en demeure pas moins qu�une censure �manant de cette instance pourrait amener le pays concern� � r�examiner la question. Il faut enfin noter que ce qui a �t� dit � propos des partis politiques s�applique aussi aux syndicats sachant que l�article 22 du PIDCP qui pose le principe de la libert� d�association �nonce explicitement le droit de constituer des syndicats et d�y adh�rer. De ce qui pr�c�de il serait pour le moins maladroit pour une autorit� administrative de porter une quelconque appr�ciation sur l�opportunit� ou non d�agr�er de nouveaux partis politiques, ce pouvoir revenant en toute souverainet� aux instances judiciaires seules susceptibles, apr�s la lev�e de l��tat d�urgence, de se prononcer sur la question sur les seules r�f�rences de la l�gislation interne et surtout des conventions internationales ratifi�es par l�Alg�rie, notamment le PIDCP et le protocole facultatif y aff�rent, sachant que ces conventions ont non seulement force de loi mais sont sup�rieures � la loi (art. 132 de la Constitution).