Par Hassane Zerrouky Premier enseignement du scrutin l�gislatif, que peu de commentateurs n�ont pas relev�, ce n�est pas tant la victoire ��crasante� d�Ennahda qui a surpris mais l�ampleur de l�abstention. En effet, sur un nombre total d��lecteurs de 7 568 824, seuls 3 702 627 �lecteurs se sont rendus aux urnes, soit un taux de participation de 48,91 %. Autrement dit, l�abstention a d�pass� les 51 % ! Si on affine ces chiffres, on observera que le parti islamiste a recueilli plus de 1,5 million de voix, ce qui, rapport� au 7,5 millions d��lecteurs potentiels, repr�sente 20,28%. Au regard de l�enjeu que repr�sentait cette premi�re �lection pluraliste de l�histoire de la Tunisie, on comprend a posteriori pourquoi les forces de gauche et progressistes battaient la campagne pour inciter les Tunisiens � voter. Dans le cas de figure de la Tunisie � c�est valable pour d�autres pays comme on a pu le v�rifier en Alg�rie en 1991 � l�abstention fait le jeu des partis de la droite religieuse. La base islamiste, quand elle est convaincue par le projet politico-religieux port� par ses repr�sentants, consid�re le vote comme un devoir religieux. Aussi s�est-elle rendue aux urnes comme une arm�e entra�nant dans son sillage tous les h�sitants gr�ce � une campagne de proximit� qui a d�but� au lendemain de la chute de Ben Ali. Mais aussi et surtout en instrumentalisant toutes ces mosqu�es tomb�es sous le contr�le d�Ennahda et de ses alli�s salafistes. Apr�s le 14 janvier, l�une des actions entreprises par le parti de Ghannouchi ne fut-elle pas de �lib�rer� la mosqu�e en mettant � la rue les �imams officiels� et les remplacer par des imams �nahdaouis� ? L�erreur des forces progressistes et d�mocratiques pr�sentes majoritairement dans la �Haute instance de r�alisation des objectifs de la r�volution, de la r�forme politique et de la transition d�mocratique � pr�sid�e par Yadh Ben Achour, est de s��tre focalis�es sur les m�canismes institutionnels et politiques devant mettre en application les principes de la �R�volution du 14 janvier�, la mise en place de la Constituante, la loi �lectorale, la loi sur les partis� en n�gligeant ou en sous-estimant l�organisation et la gestion du religieux en phase de transition d�mocratique. Or, en pays musulman, n�gliger cet aspect de la r�alit�, � savoir laisser le terrain libre aux islamistes pour s�occuper de la chose religieuse, comme s�ils �taient les seuls qualifi�s pour une telle t�che, peut s�av�rer une arme redoutable entre leurs mains. Et d�ailleurs, sans attendre, ils avaient transform� les mosqu�es en tribune politico-religieuse tandis que les progressistes et d�mocrates glosaient sur les principes universels de la d�mocratie, sur les moyens � mettre en place pour emp�cher tout retour des partisans de Ben Ali alors que l�urgence d�une mise en place de lignes rouges emp�chant toute remise en cause des acquis du 14 janvier et de la modernit� s�imposait. Le scrutin proportionnel a certes �vit� le pire : Ennahda n�est pas majoritaire. Et une partie des �lecteurs qui a vot� pour les islamistes l�ont sans doute fait non seulement pour sanctionner l�ancien r�gime mais aussi les d�mocrates trop focalis�s sur le danger islamiste, n�gligeant le social, au point de rendre non visible et non lisible leur message. Riadh Ben Fadhel, porte-parole du PDM (P�le d�mocratique moderniste), a admis que son mouvement a �t� pi�g� par les islamistes. �Ils nous ont enferm�s dans un ghetto identitaire, il va falloir en sortir en mettant au rang de nos priorit�s outre la s�paration du religieux et du politique, les questions sociales et �conomiques�. Elue avec moins de 50 % des �lecteurs, l�assembl�e constituante, qui aura � r�diger la nouvelle Constitution, manque cruellement de repr�sentativit�. Certains diront, c�est la loi de la d�mocratie. Il n�emp�che, il y a quand m�me une incertitude. Le risque est grand qu�Ennahda, qui aura � former le gouvernement, qui aura le contr�le des m�dias lourds, qui p�sera dans cette assembl�e, ne soit tent� de vider de son sens tous les acquis de la r�volution sous la pression de sa p�riph�rie. Et seul un front de toutes les forces progressistes et non islamiques pr�sentes dans cette assembl�e � pr�s de 60% des si�ges � pourra l�en emp�cher.