�L�homme est fait pour �tre debout� (Publicit�) J�avais longuement h�sit� avant de me livrer � l��criture de ce texte de crainte de para�tre subjectif et de tomber dans le pi�ge du nombrilisme auquel l�acteur et le t�moin de l�Histoire imm�diate que je fus pouvaient risquer de se laisser entra�ner. Je ne me suis finalement r�solu � sacrifier � l�exercice qu�en mesurant combien mon t�moignage pouvait, par sa valeur p�dagogique, et mieux qu�une th�se politique, pr�tendument savante, servir � �clairer � la fois l�historien, le chercheur et l�opinion des jeunes de moins de trente ans, en leur fournissant des mat�riaux bruts sur des �v�nements dont le moins que l�on puisse dire est qu�ils furent gros de drames aux cons�quences d�sastreuses pour leur vie, m�me s�ils ne les avaient pas directement subi et que la m�moire collective a engrang�s, � jamais, parfois en les refoulant, avec leur �cheveau de facettes, certaines apparemment lisibles et d�autres d�une opacit� d�sarmante. Lorsque j�avais d�cid�, apr�s moult atermoiements, de rejoindre les rangs du FLN pour y militer, en compagnie de plusieurs intellectuels et journalistes qui avaient voulu d�fier l�article 120 et le vider de sa substance s�gr�gationniste et excommunicatrice, au plus fort de la p�riode d��tiage du �soutien critique�, ma conviction de base �tait que l�Alg�rie avait besoin, tout en sachant les limites de la r�elle autonomie d�une telle �religion�, d��tre gouvern�e par ses �lites, selon les canons et les normes id�ologiques et politiques que j�avais appris � pratiquer, avec bien d�autres militants de ma g�n�ration, lorsque je m��tais frott�, d�abord, � l�adolescence, � la rugosit� du combat national, ensuite, au lendemain de l�ind�pendance, aux exigences �thiques de l�engagement au sein des organisations syndicales, estudiantines et ouvri�res. Et malgr� le retentissant �chec du socialisme, dans sa version autogestionnaire puis dans sa version �tatiste, � la d�fense desquelles je m��tais vou� avec un �gal entrain, mais, il faut le dire, sans grande illusion, connaissant les conditions h�t�rodoxes dans lesquelles l�exp�rience fut men�e successivement en 1963 et en 1972, je m��tais, � d�faut d�autres ressources plus cr�dibles, rang� � l�id�e que le FLN dont l�unicit� �tait attaqu�e de toutes parts, y compris par ses anciens parrains qui travaillaient � sa scission � d�j� ! � demeurait, selon les donn�es du moment et dans la posture m�diane vers laquelle il commen�ait � tendre, le cadre le moins al�atoire pour porter l�aspiration populaire � un projet de soci�t� national, juste et progressiste sous des formes r�nov�es et avec un programme en rupture avec l�esprit rentier et bureaucratique qui �tait, jusque-l�, sa marque distinctive. En m�introduisant, plus avant, dans son cadre organique et en m�associant aux d�bats qui le secouaient de plus en plus fortement, de la base au sommet, en v�rit� plus � la base qu�au sommet, encore tr�s herm�tique, plus brejn�vien que gorbatch�vien, je me rendis compte que de nombreux actants ��clair�s�, situ�s � des �chelons de responsabilit� interm�diaires, partageaient cette volont� de faire du FLN un grand parti nationaliste populaire, profond�ment r�form�, qui, tout en mettant de la distance avec son obstination �l�gitimiste � que lui contestaient ses adversaires et ses critiques, n�en poursuivrait pas moins une politique en phase avec les principes novembristes, adoss�e � une ligne qui brasserait un large spectre social regroupant, dans une alliance librement consentie, les classes populaires et les classes moyennes press�es de se lib�rer du carcan autocratique du pouvoir d�Etat ; une ligne qui a, du reste, assur� la long�vit� des partis dirigeants de plusieurs pays d�mocratiques de l�h�misph�re Sud tels que l�Inde, le Mexique, l�Afrique du Sud, l�Indon�sie... Et de fait, les �v�nements qui suivirent, Printemps berb�re, �meutes de Constantine, crise �conomique provoqu�e par l�endettement, la chute des prix du p�trole et de la valeur du dollar, et leur traduction explosive, le 5 Octobre 1988, provoquant la d�stabilisation de la direction politique et de la soci�t�, soumises � la pression de rapports de force devenus incontr�lables, ont, en d�pit de la mauvaise presse qu�ils lui ont coll�e, confort� l�in�luctabilit� de l��volution du parti vers cette perspective. La gageure paraissait insurmontable en raison du poids du pass�, de l�immobilisme, de l�affairisme et des r�flexes gr�gaires de certaines de ses coteries et composantes, � la conscience politique born�e, guid�e par la seule boussole du client�lisme pr�bendier, clanique, r�gionaliste et dynastique. Mais le jeu en valait la chandelle. Et c�est, ainsi, que nous nous sommes retrouv�s, dans un certain nombre de mouhafadas, � revendiquer haut et fort des r�formes qui, � notre sens, devaient s�apparenter, non pas � un repl�trage de fa�ade mais � un v�ritable rem�de de cheval et conduire, � terme, et, par voie de cons�quence, � l�ind�pendance du parti par rapport � ses attaches tut�laires. La r�vision de la Constitution en 1989 et le train de r�formes men�s, � la hussarde, par le gouvernement Hamrouche qui aurait pu, soit dit en passant, faire l��conomie de l�esprit du fameux ��a passe ou �a casse� ou du volontarisme th��tral des �mortellement patriotes�, r�pondaient vraisemblablement, en partie, � cette pr�occupation, en partie seulement, car il faut l�avouer, autant les pr�mices de leur expos� des motifs �taient sens�es et, pour l��poque, audacieuses, autant elles n�arrivaient pas � trouver les moyens et les exutoires pratiques pour faire refluer la crise et toucher les cibles vis�es, pouss�es � composer et � rechercher des compromis qui les ont, enfin de compte, d�vi�es de leur trajectoire initiale. De toute mani�re, il �tait trop tard pour esp�rer en tirer quoi que ce soit, et il ne servait plus � rien de poser des caut�res sur des jambes de bois, dans une �conomie � genoux, ob�r�e par les dettes, d�sarm�e de son secteur public d�mantel� et mis � mort par la restructuration impos�e � marches forc�es par le gouvernement Brahimi. Le licenciement de centaines de milliers de travailleurs et la destruction de l�outil de travail pr�paraient, dans les souterrains de la soci�t� r�elle rabot�e par la crise, le lit du vote-sanction que personne, dans les arcanes d�un pouvoir gagn� par la b�atitude, ne voulait voir venir, mais que les chancelleries �trang�res commen�aient � envisager, comme carte � jouer, au moment o� Fran�ois Mitterrand qui pensait tenir, enfin, sa revanche sur l�Histoire fourbissait dans les coulisses du FMI, des Clubs de Paris et de Londres les armes de la pression politique et �conomique. Le passage de l�Alg�rie sous les fourches caudines des institutions de Bretton Woods, avec le r��chelonnement, l�Infitah, c'est-�-dire l�ouverture de l��conomie au bazar et son succ�dan�, la d�mocratie au rabais, celle r�serv�e aux pays du tiers-monde, restaient les seules voies autoris�es pour assurer, tout juste pour quelques mois, le pain au peuple et faire patienter des cr�anciers pr�ts � tout, entendez : pr�ts � s�accaparer, pour �de la tripette�, du p�trole que, plus tard, un chef de gouvernement proposait � d�j� � de brader. Il est vrai que, sur le plan politique, le courant dit des �r�formateurs� �tait pr�sent et actif, en particulier au niveau des mouhafadate du Centre mais il n�arrivait pas � d�coller, parce que le parti �tait travers� encore par une mosa�que de sensibilit�s disparates dont certaines, entristes, �margeaient en agents doubles pour le compte de partis de l�opposition, les uns activant ouvertement, d�autres dans une semi-clandestinit�, alors m�me que les nouvelles lois, instaurant le multipartisme, �taient entr�es en vigueur. Visiblement, le r�le de locomotive de la d�mocratie de seconde zone � laquelle le parti, convalescent, �tait, implicitement, invit� � jouer, alors que se liguaient contre lui une soixantaine d�autres, autoris�s de fa�on irresponsable, nombre d�entre eux ayant �t� constitu�s, au terme de la loi �lectorale, par une quinzaine de membres d�une m�me famille, �tait largement au-dessus de ses capacit�s organiques et politiques ; une situation d�brid�e qui a fait regretter � beaucoup que ne f�t pas agr��e, en son temps, la tr�s raisonnable proposition avanc�e par Abderazak Bouhara et consistant � cr�er au sein du parti des tribunes pr�parant, au cours d�une p�riode de transition � d�terminer, l�implantation dans le corps social d�une culture d�mocratique saine et durable. Non pas que le multipartisme f�t �tranger � l�histoire du peuple alg�rien � celui-ci l�avait exp�riment� lors de l�occupation coloniale, dans le cadre du Mouvement national, exprimant la r�alit� des diff�renciations et des concurrences sociales que personne ne pouvait oser occulter et avait failli renouer avec ce m�me multipartisme lorsque le pr�sident Ahmed Ben Bella conclut au nom du FLN, dont il �tait le secr�taire g�n�ral, un accord allant dans ce sens avec le FFS de Hocine A�t-Ahmed, projet auquel le 19 Juin 1965 porta un coup d�arr�t fatal. Non pas, donc, que le multipartisme repr�sentait pour la soci�t� alg�rienne un Ovni avec lequel elle devait se familiariser pendant quelque temps, seulement, l��tat d�infantilisation dans lequel celle-ci avait �t�, longtemps, maintenue, et les fractures douloureuses qui en avaient bris� certains points d��quilibre faisaient craindre l�ouverture des portes � toutes sortes d�aventures. Si des passerelles s�res n��taient pas jet�es en direction de l�autre rive. Nous autres, qui rejetions, � l�image de l�UGTA de Abdelhak Benhamouda, et la liquidation du secteur public et l�entente avec les ennemis de la d�mocratie authentique, n�avions, cependant, pas le droit de d�serter le champ de bataille. C�est dans ces conditions que beaucoup de kamikazes accept�rent d��tre candidats aux premi�res �lections pluralistes d�cid�es dans un paysage politique plus que brumeux. Je me suis retrouv�, parmi eux, comme candidat du parti � la circonscription d�El-Biar, embarqu�s, pour l�abattoir, dans une consultation �libre et honn�te�, dans des conditions hasardeuses, inopportunes, impr�par�es et sans mobilisation. La rue occup�e par le radicalisme fondamentaliste imposa le report des �lections de juin � d�cembre, le remplacement du scrutin proportionnel par le scrutin majoritaire uninominal � deux tours ainsi que le red�coupage de la carte �lectorale. Von Hindenburg offrant le pouvoir au NPD sur un plateau d�argent et Jacques Chirac d�cidant la dissolution de l�Assembl�e nationale fran�aise alors que son parti disposait de la majorit� absolue n�aurait pas, dans le registre de l�absurde, mieux op�r�. La campagne �lectorale kafka�enne � laquelle les candidats du FLN furent, � leur corps d�fendant, contraints, ressemblait � un lynchage auquel ils r�sist�rent bravement, la t�te hors de l�eau, convoquant toutes les ressources sinc�res et volontaristes que le parti recelait encore en son sein, pour y faire face. Je dois m�arr�ter, ici, pour rendre un hommage �mu aux militants �sans grade� et � ces candidats de la base dont beaucoup de jeunes cadres courageux, qui s��taient battus pour l�honneur, n�attendant rien en retour, sachant qu�ils allaient au casse-pipe, acceptant la r�gle du jeu et le verdict des urnes tout en se doutant que leurs chefs qui avaient d�sert� la bataille les avaient dup�s en concluant, derri�re les rideaux, des deals avec leurs adversaires pour obtenir des assurances sur une cohabitation mesur�e � la seule aune du maintien de leurs privil�ges. Les �v�nements ult�rieurs confirm�rent ce qu�ils avaient subodor� et ce qui devait arriver arriva. La b�r�zina qui emporta le FLN au premier et unique tour de ce scrutin fut, fort heureusement, temp�r�e par quelques scores honorables parmi lesquels les 12 000 voix d�Alger-Centre et les 8 000 d�El- Biar, les deux meilleures performances � l��chelle nationale, arrach�es, au forceps, au raz-de-mar�e du FIS dont on sait comment il avait �t� rendu possible, avec les moyens mat�riels des APC et des mosqu�es, ajout�s au laxisme de l�Etat et � l�absent�isme des citoyens. Et ne voil�-t-il pas que la direction du parti, inspir�e par on ne sait quel tireur de ficelles de l�ombre, vint, apr�s cela, pr�coniser une �ind�pendance� qui mena directement � la donquichottesque d�pantalonnade de Sant�Egidio ? Ces vell�it�s de libert�, tardivement brandies, auraient �t�, tout � fait, les bienvenues, si elles avaient �t� exprim�es, en temps opportun, et mises au service d�un programme et non d�un homme et d�un clan. Or, il s�av�ra qu�elles n�avaient pour unique objectif que de venger les d�sirs contrari�s d�un chef et de son carr� d�affid�s. J�avais rendu public, � ce moment-l�, dans le quotidien El-Moudjahid, sous le titre �Soyons clairs�, une adresse destin�e au comit� central du parti pour l�exhorter � ouvrir un d�bat g�n�ral dans l�espoir de faire �chouer la nouvelle ligne et les dangereuses cons�quences dont elle �tait porteuse. Peine perdue ! Nous en sort�mes bless�s et meurtris et d�cid�mes de suspendre nos activit�s, en son sein, sans, pour autant, aller en rejoindre un autre. Nous en concl�mes que le FLN n��tait pas encore m�r pour �tre un grand parti nationaliste, populaire et d�mocratique. Il est, comme le supposent certains de ses actuels doctrinaires, �� d�construire et � reconstruire �. Et il nous est revenu � l�esprit que le pr�sident Houari Boumedi�ne, plut�t pr�occup� de laisser, en h�ritage, un Etat survivant aux �v�nements et aux hommes, lui octroya les peu reluisants labels de �Secr�tariat ex�cutif� et d��Appareil�. C�est tout dire ! Vingt longues ann�es se sont pass�es, depuis, avec leurs cort�ges de morts et leurs charrettes de d�sillusions et bien que l�Etat ait tent�, plus ou moins adroitement, de rattraper le temps, ce terrible ennemi du pouvoir des hommes, voil� que se repose la question, fatidique, � trois mois des prochaines �lections l�gislatives convoqu�es dans le sillage des r�formes r�cemment adopt�es : ne sommes-nous pas � quelques variantes pr�s, en pr�sence des m�mes ingr�dients de la situation qui pr�valut en 1991 ? Ne devons-nous pas nous attendre � un sc�nario qui se r�p�tera dans des termes voisins ? Sauf que, cette fois-ci, la soci�t� �islamis�e� mettra en selle des formations politiques moins radicales que leurs a�n�es, se dissolvant dans une d�mocratie de classe �conomique et dans laquelle le FLN �islamisant � chassant sur les terres islamistes comme l�UMP fran�aise le fait sur celles du Front national de Marine Le Pen, jouera un r�le d�alli� d�appoint comme l�Istiqlal a d�cid� de le faire, au Maroc, en entrant dans le gouvernement Benkirane boud� par l�USFP ? Quelle ironie de l�Histoire et quel retournement de situation, ce serait l� ! Le Printemps arabe, apparemment domestiqu� par les pouvoirs d�Etat, rest�s en place, serait pass� par l� ! Plusieurs inconnues jettent, n�anmoins, leur ombre sur cette sp�culation : quid du FFS qui ambitionne d��tre un parti social-d�mocrate gouvernant au centre-gauche, soutenu, en sous-main, par le Parlement europ�en et l�Internationale socialiste de plus en plus pressants ? Quid du parti de l�administration et du PT parti tr�s t�t en guerre contre ses anciens alli�s de Sant�Egidio ? Et quid des futurs ind�pendants dont on ne sait qui ils repr�senteront dans une Assembl�e de plus de 400 si�ges ? Et si, par un hasard, savamment calcul�, il se produirait un fort �miettement de l��lectorat, s�orienterait-on, alors, vers une Chambre introuvable ? Myst�re et boule de gomme. En tout les cas et toutes supputations mises � part, l�Alg�rie devrait, en principe, � l�instar d�autres pays du monde arabe, emprunter la voie du renouveau, de la jeunesse et de l�accession des �lites au pouvoir r�el. C�est � ce prix qu�on rompra, d�finitivement, avec l�esprit du tutorat et du nivellement par le bas. Peut-�tre arrivera-t-on, l� o� il faut, � comprendre, enfin, que l�Alg�rie de 2012 m�rite, elle aussi, la d�mocratie, apr�s 60 ans de combat pour la lib�ration et les libert�s. B. M. * Candidat FLN aux 1res �lections l�gislatives pluralistes du 26 d�cembre 1991 dans la circonscription d�El- Biar, Ben-Aknoun, Dely- Brahim (Alger).