Par Ahmed Halli [email protected] Personne ne satisfait mieux que Abdelbari Atwane � la d�finition moderne de l'expression �se faire l'avocat du diable�, tant il excelle � cultiver la contradiction, et m�me le d�ni. Le directeur et �ditorialiste du quotidien londonien Al-Quds a d�nonc� vendredi dernier la d�cision d'interdire l�entr�e en France au cheikh Karadhaoui. Une r�action de solidarit� normale, me direz-vous, d'un Arabe avec un autre Arabe, attaqu� par un pr�sident qui r�ve d'ajuster � sa taille l'armure de Charles Martel. Mortellement nationaliste, �pisodiquement islamiste, notre confr�re ne pouvait que ressentir de l'indignation face � ce geste discriminatoire. Non content d'aligner des performances en mati�re d'expulsion d'Arabes, Sarkozy veut aussi les arr�ter aux fronti�res. Ce souci de perfection en la mati�re est raviv� par la d�couverte r�cente d'un argument fondamental, celui de l'apparence. Et dans son ardeur � s�duire les �lecteurs du parti lep�niste, le pr�sident fran�ais sortant (inch'Allah !) a appris � s'en d�fier. Car, non contents d'�tre basan�s, fris�s, les Arabes sont accabl�s par un autre d�faut : l'apparence musulmane. Or, Karadhaoui toujours plus raide dans ses sermons que partout ailleurs, ma�trise � fond l'art de cultiver les apparences. C'est m�me l'une des disciplines majeures qui sont enseign�es au sein du mouvement des Fr�res musulmans, dont le cheikh est le porte-drapeau. L� o� l'argumentation de M. Abdelbari Atwane exsude du soufre, c'est lorsqu'il affirme, sans h�siter, que Karadhaoui est une figure embl�matique de l'�Islam mod�r�. Tout comme le sont, d'ailleurs, selon l'�ditorialiste du quotidien londonien, les quatre ou cinq autres pr�cheurs interdits de visa fran�ais. De fil en aiguille, comme dirait un confectionneur de �djilbabs�, et du haut de son observatoire britannique, il nous d�livre sa deuxi�me conviction : l'Union des organisations islamiques de France (U.O.I.F) est �mod�r�e�, elle aussi. Elle respecte la la�cit� et milite pour l'int�gration des jeunes musulmans dans la soci�t� fran�aise. En quoi faisant ? Notre confr�re ne nous donne pas de d�tails l�-dessus, mais il est de notori�t� publique que l'U.O.I.F c�l�bre l'�galit� des sexes en s�parant les femmes voil�es des hommes barbus lors de ses rassemblements. En fait, l'interdiction notifi�e aux pr�dicateurs, dont le plagiaire Al- Qarni, est surtout un avertissement � l'U.O.I.F, dont les liens avec l'Internationale islamiste sont de plus en plus �vidents. Abdelbari Atwane nous ass�ne, enfin, son argument massue : ce qu'a fait Sarkozy n'est pas bien, c'est m�me un geste d'ingratitude et un coup de Jarnac, parce que Karadhaoui �tait, il y a peu, un alli� des Occidentaux. Et de rappeler que le confesseur attitr� de Khadidja Bengana a lanc� une fatwa condamnant � mort Kadhafi et soutenant l'intervention arm�e des puissances occidentales. Il a agi de m�me en Syrie, en appelant � la destitution du pr�sident Bachar Al-Assad, et au soutien aux mouvements insurrectionnels. Telle n'a pas �t� la position du journaliste londonien qui a �t� oblig� de changer son fusil d'�paule sous la pression des �v�nements dans ces deux pays. Un autre argument concernant l'ingratitude de Sarkozy et de l'Occident, que l'ami Atwane a mis de c�t�, c'est la derni�re �tentation� de Karadhaoui. En effet, dans son z�le � stimuler la nouvelle alliance de l'Occident lib�ral et de l'Orient r�-islamis�, le cheikh pr�cheur d'Al- Jazeera et du Qatar a �dit� une nouvelle fatwa. Celle-ci proclame que le Parti des travailleurs du Kurdistan (P.K.K), mouvement insurrectionnel en Turquie, est une organisation terroriste. La fatwa et la critique acerbe, non d�nu�e de racisme, contre les insurg�s kurdes sont intervenues la veille de l'interdiction annonc�e par Sarkozy, constate le journaliste kurde Abdelghani Ali Yahia. Ce dernier en rel�ve le c�t� ironique, alors que l'alliance entre l'Occident et le mouvement des Fr�res musulmans semblait �tre au mieux, � la faveur du �printemps arabe�. Il note que l'hostilit� anti-kurde de Karadhaoui l'a tellement aveugl� qu'il en a oubli� de condamner le meurtre d'enfants juifs, � la sortie d'une �cole en France. �Au reste, rappelle Abdelghani Ali Yahia, ces attaques contre les Kurdes ne sont pas les premi�res du genre. D�j� en 1992, lorsque les Kurdes se sont vu reconna�tre leur entit� d�mocratique, le cheikh Ahmed Yassine avait compar� cette entit� � un deuxi�me Isra�l. Le fondateur du Hamas avait promis de s'attacher � faire dispara�tre ce second Isra�l, c'est-�-dire l'entit� kurde d'Irak, aussit�t qu'il aurait assur� la destruction du premier. Et c'est ce ressentiment contre les Kurdes, tous les Kurdes, que Karadhaoui vient ressusciter. � Le journaliste compare ensuite l'obstination du pr�dicateur qatari � ignorer la r�alit� kurde et les efforts entrepris pour trouver une solution pacifique au conflit. Et il souligne : �L'attitude raciste de Karadhaoui est ancr�e en lui et elle est constante. Sa n�gation des droits kurdes en Turquie s'�tend au rejet des droits des Kurdes o� qu'ils se trouvent. Nous ne l'avons jamais entendu soutenir une quelconque revendication kurde, que ce soit en Iran, en Irak ou en Syrie. Or, qu'il le veuille ou non, il est en train d'attiser les divisions entre musulmans, et plus particuli�rement entre les musulmans kurdes et les musulmans turcs.� Karadhaoui pourrait r�torquer que toutes ces questions pourraient trouver une heureuse issue dans le cadre du califat qui, comme chacun le sait, est la cit� id�ale, le syst�me politique parfait, pour l'�ternit�. On peut aussi s'arr�ter sur les r�ponses � double sens de ce candidat islamiste � la pr�sidentielle �gyptienne, le sieur Abou- Lfoutouh. Interrog� sur ce qu'il ferait en mati�re d'art, de musique, de cin�ma et de libert� d'expression, s'il �tait �lu, il a r�pondu : �Toutes ces choses seront trait�es conform�ment � la Constitution, aux lois et devant la justice.� Ce qui a fait dire au chroniqueur �gyptien Sammy Buha�ri que ce sont l� �des mots justes pour couvrir des desseins injustes�. Nous savons tr�s bien que �la Constitution sera la leur, que la loi sera leur loi, et que les juges seront �galement les leurs�, dit-il en faisant remarquer que l'�crasante majorit� des r�dacteurs de la future Constitution appartiennent � la mouvance islamiste.