[email protected] Quel avenir r�servent les processus aujourd�hui en cours dans le monde arabe aux monarchies p�troli�res et moyen�geuses du Golfe ? Pour le moment, elles semblent surfer � merveille sur la vague de protestation qu�elles alimentent de diverses fa�ons. Sean Yom, professeur de sciences politiques � l'Universit� de Temple, livre cette semaine une lecture in�dite d�un �curieux mod�le r�volutionnaire qui a balay� des pr�sidents et des colonels, et non pas des rois et des princes, qui ont fait les preuves de leur vuln�rabilit� aux bouleversements sociaux�(*). Des changements plus ou moins significatifs se sont, en effet, produits en Tunisie, en �gypte, en Libye et au Y�men, �pargnant tous les royaumes arabes : �Les mouvements de protestation en Jordanie et au Maroc ont �t� d�samorc�s par des promesses de r�formes constitutionnelles ; les rassemblements de jeunes au Kowe�t n�ont jamais remis en question l'autorit� et le r�gne de la dynastie Al-Sabah. Peu d'opposition s�exprime contre les familles dirigeantes de sept �mirats, en Arabie saoudite et au Qatar, tandis que des d�monstrations � petite �chelle ont �t� ais�ment contenues � Oman.� Seul Bahre�n vit une insurrection populaire qui menace le r�gime monarchique, m�me si, pour l�instant, les forces de s�curit� locales renforc�es par les troupes du Conseil de coop�ration du Golfe, notamment saoudiennes, ont, contre toutes pr�visions objectives, r�ussi � maintenir l'ordre royal. Plus de 100 000 Bahre�nis, sur une population totale � peine six fois plus nombreuse, ont d�fil� pour protester contre le r�gime d'Al-Khalifa, ce qui repr�sente une proportion jamais �gal�e dans l�histoire des r�voltes sociales (elles mobiliseraient rarement plus d�un pour cent de toute la soci�t�). Dans la plupart des monarchies arabes, � savoir, le Maroc, la Jordanie, l'Arabie saoudite, le Kowe�t, Bahre�n, le Qatar, Oman et les �mirats arabes unis, soit huit des 22 membres de la Ligue arabe, r�gnent et commandent �des rois, �mirs et sultans mod�r�s au pouvoir absolu (�) Aucun de ces r�gimes ne peut �tre consid�r� comme une monarchie d�mocratique constitutionnelle, dans laquelle le contr�le du syst�me politique reviendrait � un gouvernement parlementaire install� par des �lections libres et �quitables. Qu�est-ce qui rend ainsi des royaumes autocratiques plus stables que des dictatures r�publicaines ? La l�gitimit� culturelle ou l'art de gouverner ? M�me s�il se dit tent� de r�pondre par l�affirmative, il trouve la r�ponse plus complexe�. �Les arguments pr�nant la l�gitimit� inn�e ou les avantages strat�giques des monarchies arabes sont peu convaincants lorsqu'ils sont soumis � l�examen historique.� Des �facteurs externes�, qui se d�clinent sous la forme de �soutien g�opolitique�, associ�s � la rente p�troli�re ont pr�serv� les royaumes arabes des pressions sociales internes : �Certes, les r�gimes monarchiques ne se maintiennent pas hors de toute fatalit� culturelle ou institutionnelle, mais la plupart sont �galement les piliers de la s�curit� et de la stabilit� g�opolitique n�cessaires � l�exploitation et la distribution de la ressource p�troli�re. � Rien ne saurait donc mettre en danger les int�r�ts strat�giques am�ricains sur le long terme : �Compte tenu de leur effet de levier consid�rable, aux plans diplomatique, �conomique et militaire, ainsi que de la vuln�rabilit� particuli�re des royaumes arabes au climat ext�rieur, les �tats-Unis doivent �valuer soigneusement s�il est r�aliste de pousser des r�formes d�mocratiques et si cela sert leurs objectifs strat�giques.� Sean Yom qualifie d��exceptionnalisme monarchique� la tendance dominante qui caract�rise la couverture m�diatique et les discussions acad�miques autour du �printemps arabe�. �Pour beaucoup, la durabilit� du royalisme arabe impressionne. Tout d'abord, elle contrevient de longue date aux attentes acad�miques. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les chercheurs en sciences sociales avaient proclam� l'obsolescence de la monarchie.� Pas un chercheur occidental ne pouvait miser un seul cent que la majorit� des Arabes vivraient sous le r�gne monarchique absolutiste aujourd�hui. L'endurance des monarchies arabes �tonne. Comment l�expliquer ? L'argument le plus courant est un savant m�lange de tradition et de l�gitimit� : �Qu�ils soient assis sur des id�aux islamiques sacr�s ou des traditions tribales classiques, les rois et les princes manient une authenticit� culturelle particuli�re en direction de leurs sujets arabes musulmans (�) Les monarchies du Maroc et de Jordanie pr�tendent descendre du proph�te et celles du Golfe se rattachent � la tribu.� C�est ainsi qu�elles gagnent la d�f�rence et l�adh�sion de leurs peuples et acqui�rent ainsi de l'autorit�. La r�gle dynastique a �t� parfois qualifi�e d��adh�sif social�, de continuit� entre le pass� et le pr�sent qui assure ainsi la stabilit� et l'ordre pendant les p�riodes d'incertitude et de changement. Cette �essence culturelle� donnerait aux r�gimes monarchiques une sorte d'immunit� naturelle contre la r�volution : �Pendant les crises, les loyaux sujets investissent leur foi � droite du navire, et m�me s�ils manifestent de la frustration, ils refusent respectueusement d'attaquer la monarchie elle-m�me, imputant les difficult�s �conomiques ou les troubles politiques � d'autres institutions et d�autres forces.� L�argumentaire culturel ne suffit cependant pas � mesurer l�adh�sion de la population � la monarchie : �La preuve doit �tre plus que l�absence de r�volution, car cette d�finition de la l�gitimit� introduit une tautologie : par d�finition, tous les r�gimes autoritaires (monarchiques ou autres) sont l�gitimes jusqu'� ce qu'ils soient renvers�s �. Une explication plus plausible de cet �exceptionnalisme monarchique � est que �les autocrates s'engagent dans des strat�gies de manipulation�, cultivant �l'art de gouverner plus efficacement que les dictateurs r�publicains�. Dans certains cas, comme au Maroc et en Jordanie, ils tol�rent un pluralisme politique limit� qui implique une opposition l�gale et des parlements �lus. Ils arrivent, par ailleurs, � transf�rer la col�re du public vers des boucs �missaires d�sign�s parmi des fonctionnaires politiques, y compris les membres de leurs familles. De cette fa�on, les monarques sont rarement directement expos�s � l'opposition sociale. Leur long�vit� sugg�re qu�un roi ou un prince peut �tre tout aussi qualifi� dans l'art de gouverner qu�un leader r�publicain, ce qui a emp�ch� la guerre civile de d�loger la couronne hach�mite de Jordanie en 1970, et un coup d'Etat militaire de priver le Maroc alaouite de son roi en 1972. La l�gitimit� culturelle et l'art de gouverner seraient ici des �arguments utiles et perspicaces �. Les exc�dents de tr�sorerie provenant des exportations d'hydrocarbures ont �galement jou� un r�le crucial dans l'amortissement du choc social dans les monarchies. Par exemple, au Kowe�t, Al-Sabah accorde 3 500 dollars et des denr�es alimentaires gratuites pendant un an � chacun de ses sujets ; la monarchie saoudienne finance � tour de bras cr�ations d'emplois, augmentations salariales et projets de d�veloppement ; le Qatar fait de m�me en faveur des fonctionnaires publics et du personnel militaire. Par ailleurs, le Conseil de coop�ration du Golfe a d�bloqu� 20 milliards de dollars d'aide � Bahre�n et � Oman, et d�autres aides cons�quentes pour l'adh�sion � la fois du Maroc et de la Jordanie. Plus fondamentalement, les facteurs internationaux et les forces exog�nes �en particulier la capacit� des grandes puissances comme les Etats-Unis � pr�valent sur les conditions internes et cr�ent un environnement permissif. En fin de parcours, le �printemps arabe� attesterait de deux v�rit�s, si d�concertantes soient-elles : �D'abord, l'effondrement d�une autocratie donn�e n�implique pas n�cessairement la naissance d�un �tat d�mocratique lib�ral et, deuxi�mement, le processus de d�mocratisation incertain, tumultueux, et parfois violent risque de d�cevoir les parties prenantes externes.� Seuls comptent les int�r�ts strat�giques am�ricains. Voil� le mot de la fin. A. B. (*) Sean L. Yom, Understanding The Resilience Of Monarchy During The Arab Spring, Foreign Policy Research Institute, avril 2012, le texte int�gral est disponible en langue anglaise sur www.fpri.org.