Par Nadia Foudil En cette p�riode de comm�moration du 50e anniversaire de l�ind�pendance alg�rienne, je souhaite apporter un t�moignage qui me tient � c�ur depuis de nombreuses ann�es. Plus qu�un t�moignage, c�est un hommage que je veux rendre � la population blid�enne qui, un jour d�avril 1962, s�est mobilis�e pour soustraire un petit groupe d��l�ves, pensionnaires du lyc�e de jeunes filles de Blida, du danger auquel elles �taient expos�es du fait d�une importante manifestation d�ultras OAS qui se tenait ce jour-l� dans l�enceinte m�me du lyc�e. C��tait la premi�re semaine du mois d�avril 1962 ; nous venions de reprendre apr�s les vacances de printemps, vacances au cours desquelles les Accords d�Evian avaient �t� conclus et le cessez-le-feu proclam�. La matin�e s�annon�ait normale pour nous, les �l�ves �musulmanes�, comme l�on nous d�nommait alors pour nous distinguer de la grande majorit� des autres lyc�ennes fran�aises. Toutefois, au moment de rejoindre nos salles de cours, grande fut notre surprise de d�couvrir qu�une gigantesque manifestation �tait organis�e dans la cour m�me du lyc�e, avec l�arriv�e massive de personnes �trang�res � l��tablissement, des jeunes hommes du lyc�e de gar�ons mais surtout des hommes et des femmes adultes. Se sont jointes � cette manifestation nos propres �camarades� �l�ves fran�aises. Tous hurlaient des slogans hostiles au FLN, � de Gaulle et � nous-m�mes (insultes, crachats, etc.). Les �l�ves musulmanes externes ont d� rebrousser chemin et sans doute ont-elles inform� leur famille. De notre c�t�, nous nous sommes retrouv�es, environ une trentaine d�internes musulmanes, compl�tement isol�es et retranch�es � l�int�rieur du b�timent, sous la protection des seuls Alg�riens employ�s au lyc�e, � savoir messieurs Hadji, Laras et Reguieg. Pour nous tenir le plus �loign�es possible du danger, ils nous avaient conseill� de rester dans l�arri�re-cour o� se trouvaient les cuisines, le cuisinier lui-m�me �tant alg�rien. La tension montait, les cris de plus en plus exalt�s et hyst�riques nous parvenaient de la cour principale o� avait lieu la manifestation. Nous �tions tr�s inqui�tes, et le cuisinier nous rassurait du mieux qu�il pouvait. En fin de matin�e, l�une d�entre nous, Yamina M., a �enfreint� la r�gle et s�est rendue dans la salle d��tude prendre quelque chose dans son casier. Elle s�est trouv�e nez-�-nez avec un monsieur blond, de type europ�en, qui lui a demand� : �O� sont les autres ?� Devant le silence de Yamina, le monsieur lui a montr� un petit badge repr�sentant le drapeau alg�rien et lui a dit : �Je suis de l�ALN.� Rassur�e, Yamina l�a conduit dans l�arri�re-cour. Ce monsieur nous a compt�es et a not� nos diff�rents lieux de provenance. Nous venions, en effet, de lieux aussi divers qu��loign�s tels Laghouat, Djelfa, Ksar- El-Boukhari, Berrouaghia, El-Asnam, Gouraya, Marengo, Cherchell, Ameur- El-A�n, El-Affroun, Douaouda, etc. (j�en oublie certainement !). Moins d�une heure plus tard, tout un cort�ge de voitures � autant de voitures que de destinations !! � s�est gar� � l�arri�re du lyc�e et nous avons �t� extraites de ce lieu qui �tait devenu extr�mement dangereux pour nous. La secr�taire de direction � ayant remarqu� ce qui se passait dans l�arri�re- cour � a somm� le monsieur qui organisait cette �vacuation de nous laisser ou d�aller en informer la directrice, car il n��tait pas notre �correspondant� et donc, selon la r�glementation, non autoris� � nous faire quitter l�internat. Elle a m�me os� invoquer des raisons de s�curit� pour les internes que nous �tions. Le monsieur lui a r�pondu : �Et comment Madame la Directrice a-t-elle assur� la s�curit� de ces �l�ves ?� La secr�taire a insist� et lui a demand� : �Mais dites-moi au moins qui vous �tes ?� Il a r�pondu : �Vous direz � la directrice que ces �l�ves sont d�sormais sous la protection de l�ALN.� Le cort�ge a d�abord �t� dirig� vers une maison de la �Cit� musulmane� o� nous avons re�u une collation (pain, fromage, fruits, limonade). Puis nous avons pris la route pour nous rendre dans nos villes et villages respectifs. Je n�avais alors que 13 ans, mais je pense aujourd�hui que cet �pisode ne doit pas rester confin� dans la m�moire des personnes qui l�ont v�cu. En effet, il illustre le niveau d�engagement et de solidarit� de toute une population qui s�est spontan�ment port�e au secours d�adolescentes en danger, en mettant ses propres moyens � disposition (voitures, nourriture et surtout r�confort moral). Je voudrais rendre ici un vibrant hommage � la population blid�enne. Je pense notamment � Messieurs Hadji, Reguieg, Laras et au cuisinier (dont j�ai oubli� le nom) et surtout � tous ces conducteurs anonymes qui n�ont pas h�sit� � prendre des risques pour effectuer de longs trajets et nous ramener saines et sauves � la maison. Sans doute la plupart des intervenants sont-ils aujourd�hui disparus. Si parmi ces sauveteurs ou leurs descendants certains se souviennent encore de cet �pisode, qu�ils trouvent ici l�expression de ma profonde gratitude et de mon respect.