Par Ahmed Halli [email protected] Pour les intellectuels �gyptiens hostiles � l'id�ologie islamiste, l'�tat dit civil (�Al-Dawla Al-Madania�), par opposition � l'�tat religieux, est ce qui se rapproche le mieux du mod�le la�que. En fait, c'est le mod�le la�que, mais comme la la�cit� est presque synonyme d'ath�isme dans le lexique du nouvel Islam impos� par injections de p�trodollars, on �vite soigneusement de prononcer le mot. De plus, on peut facilement opposer la �Dawla Madania�, �tat civil ou �tat des civils, � l'�tat militaire, ce que l'�gypte n'a pas cess� d'�tre, en r�alit�, depuis des mill�naires. Mais il fallait bien attendre l'occasion propice pour tordre le cou � la R�volution de juillet 1952, faite par des militaires. Et je subodore que les Fr�res musulmans revanchards, ainsi que les monarchies du Golfe, pourvoyeuses de fonds, vont s'y employer � fond. Or, jusqu'� ce discours du samedi 30 juin � l'Universit� du Caire (l� o� Obama a envo�t� les Arabes), Mohamed Morsi s'�tait pr�sent� comme un fervent d�fenseur de la �Dawla Madania�. Il a fait tant et si bien qu'il a fini par convaincre les plus sceptiques de ses adversaires qui le voyaient d�j� tourner le dos � la confr�rie qui l'a fait �lire. Or, le �Fr�re� Morsi a chang� la donne, en l'espace d'une journ�e. Alors que devant les hauts magistrats de la Cour constitutionnelle, il avait pr�t� serment de d�fendre �l'Etat civil�, il a renouvel� le m�me serment quelques instants plus tard, mais en faveur de �l'�tat national� (�Al-Dawla Al- Watania�). Ce qui fait une sacr�e diff�rence, et m�me une diff�rence sacr�e, pourrait-on dire. Je peux me tromper comme tous ceux qui l'ont fait avant moi en croyant que Dieu envoyait des signaux au laser. Mais dans ce jeu de pistes lexical, Morsi a fait mieux qu'innover, exercice d'ailleurs interdit par son mouvement, il a plong� beaucoup de monde dans la sp�culation quand ce n'est pas dans la perplexit�. Certes, le nouveau pr�sident s'est engag� � respecter et � d�fendre les libert�s, dont la libert� de croyance et de conscience, mais ses r�f�rences constantes au Coran ne sont pas faites pour rassurer ses compatriotes coptes. Et lorsqu'il affirme que l'�gypte �ne reviendra jamais en arri�re �, � quelle p�riode du pass� fait-il allusion : celle de Moubarak, ou celle de Amr Ibn Al'As? Avant de savoir qui de l'�tat civil ou de l'Etat national empochera la mise, et l'issue ne saurait tarder, les �gyptiens s'int�ressent � la fa�on dont Morsi y est arriv�, et ce qu'il fera � l'avenir. Pour l'ancien magistrat Sa�d Achemaoui, il ne fait aucun doute que le mouvement des Fr�res musulmans, dont Morsi est issu, a conclu un deal avec le pouvoir militaire. Il rappelle dans sa s�rie sur les �v�nements d'�gypte �que les responsables islamistes ont commenc� par interdire � leurs militants de manifester place Tahrir. Des jeunes militants qui n'ont pas respect� la consigne ont �t� suspendus, et plus grave encore, des snipers appartenant au mouvement auraient tir� sur la foule des manifestants � partir des terrasses bordant la place, ajoute Achemaoui. Ce n'est qu'apr�s avoir n�goci� avec l'arm�e et obtenu des assurances pour l'avenir que les Fr�res musulmans ont rejoint la r�volution. On sait comment ils l'ont noyaut�e et en ont pris le contr�le au d�triment des jeunes qui l'ont d�clench�e�, note-t-il. L'�crivain Ala Aswani est convaincu lui aussi de l'existence d'un deal entre les Fr�res musulmans et le Haut Conseil des forces arm�es qui dirige le pays depuis la chute de Moubarak. Toutefois, il rappelle que le seul objectif des �lecteurs �gyptiens a �t� de barrer la route � Ahmed Chafik, l'ancien Premier ministre et l'un des piliers du r�gime honni. �Ce ne sont pas les Fr�res musulmans qui ont �lu Mohamed Morsi, mais l'ensemble du peuple �gyptien qui a vot� contre Chafik�, �crit-il dans sa chronique hebdomadaire sur Al-Misri-Alyoum. Partant de ce constat, note Ala Aswani, le nouveau pr�sident devra tenir les promesses de la r�volution de juger les anciens dirigeants corrompus, dont Chafik, et ceux qui ont tu� des manifestants. Pour le romancier, le pr�sident �lu devra se lib�rer de la tutelle du mouvement qui a soutenu sa candidature, un mouvement qui est pr�t � tous les compromis, en sa faveur, comme il l'a montr� durant des d�cennies. De fait, la question est de savoir � quel point Mohamed Morsi est l'otage de ses amis politiques qui seront in�vitablement tent�s de lui arracher des d�cisions figurant dans leurs programmes. D'ores et d�j�, les fondamentalistes (majoritaires avec les �Fr�res� dans le Parlement dissous) ont fait conna�tre leurs revendications qui semblent a priori irr�alistes, mais on ne sait jamais. Dans un premier libelle publi� par les m�dias �gyptiens et sur internet, les fondamentalistes �gyptiens ont demand� l'expulsion imm�diate des chiites et des baha�s du pays. Dans un autre texte sign� par le cheikh Mohamed Hossein, qui pr�ne la destruction des mausol�es et des tombeaux des saints, on fait dire au nouveau pr�sident que les chiites �sont encore plus dangereux que les Juifs�. Les fondamentalistes exigent, d'autre part, en plus de l'application de la Charia et du hidjab pour les filles, la destruction des pyramides et du sphinx de Gizeh. Les pyramides, c'est f�minin quand il y en a plusieurs et le sphinx n'a plus de nez, alors � la trappe ! Et puis, lors de la conqu�te de l'�gypte, ces monuments historiques ont �chapp� � la vigilance de Amr Ibn Al'As. S'il les avait vus, disent-ils, il n'aurait pas h�sit� � les d�truire enti�rement. Encore un point d'Histoire � �claircir : le conqu�rant de l'�gypte a-t-il ou non eu connaissance de l'existence de ces survivances de la p�riode pharaonique ? S'il est vrai que Amr ne savait rien de l'existence des pyramides, il faut vraiment croire que les conqu�tes islamiques relevaient du miracle. Sans doute, le temps est-il venu de se rattraper, ou de se racheter, en soustrayant des sites aux regards avides des touristes �trangers. Donc, plus de pyramides, plus de touristes, mais silence prudent sur l'ob�lisque de Louxor, symbole de la puissance et de la virilit� de l'�gypte. Celui-l�, ils ne pourront pas dire qu'ils ne l'ont pas vu, ni qu'ils ne savent pas ce qu'il leur rappelle. Toutefois, lorsqu'il s'agit de ces attributs particuliers, il faut savoir faire des accommodements avec l'Histoire, autant qu'avec la foi.