[email protected] Il est 2h du matin. Nafissa, la cinquantaine bien entam�e, est tir�e de son sommeil par des douleurs atroces qui lui cisaillent l�abdomen. Elle court aux toilettes prise d�une diarrh�e carabin�e. Courb�e, elle serre son ventre, incapable de bouger. Elle tremble de froid et claque des dents, m�me si, ce jour-l�, le thermom�tre affichait 35 degr�s. Aid�e par son fils, elle enfile une grosse veste en laine et s�affale sur le si�ge arri�re de la voiture, direction : les urgences du CHU Mustapha. Elle arrive � bon port, le visage livide, le corps en nage. Le pavillon, pour ne pas dire le mouroir, est d�j� visit� par des malades, qui, g�missent, qui, crient, d�autres, inconscients, couch�s sur les bancs, attendent leur tour. Dans un va-et-vient incessant, et apr�s que les malades aient subi des pr�l�vements sanguins ordonn�s par le m�decin, ils prennent leur mal en patience, leurs proches, une fiche et une ordonnance � la main, font la navette entre l�ancien service des urgences et le nouveau ; ce dernier ayant la charge d�exp�dier les flacons au laboratoire. Il faudrait attendre pas moins d�une heure pour obtenir les r�sultats, pour ensuite refaire la cha�ne et enfin revoir le m�decin. Nafissa a une envie pressante, elle cherche les toilettes, elle aper�oit une porte sur laquelle est plaqu�e une fiche o� l�on peut lire : �Toilettes en panne�. Elle s�adresse � un m�decin qui, tout de go, lui r�pond : �Allez vous plaindre au directeur de garde.� Elle n�a ni la force ni le temps. Nafissa et son fils quittent le service � leur recherche. Ils les trouveront au nouveau pavillon des urgences inaugur� en grande pompe il y a m�me pas une ann�e et qui a d�j� perdu toute sa rutilance. Mais dans quel �tat elles sont ces toilettes ! Elle patauge dans l�eau jusqu�� la cheville, sans parler du tr�ne souill� � vous faire vomir. Quant � l�eau courante, il faudrait repasser. Elle retourne au service, et passe chez le m�decin. Elles sont en fait deux jeunes internes, dont une, apr�s l�avoir auscult�e, prescrit des examens sanguins. Sa coll�gue jette un �il dans la salle d�attente, et discr�tement lui propose d�examiner deux patientes � la fois : �J�ai envie d�en finir, le s�hor c�est pour bient�t.� Du coup, ce sont trois femmes qui se retrouvent dans une m�me salle, d�voilant leur intimit�. Une situation visiblement g�nante pour elles. Nafissa, d�pit�e, passe dans la pi�ce d��-c�t� qui fait office de labo, elle se fait piquer par une infirmi�re qui semble press�e de la �liquider�, car d�autres attendent, et elle ne veut surtout pas rater le s�hor. Comme les autres, son fils suivra le m�me itin�raire pour les analyses sanguines, il attendra 1 heure pour les r�sultats. Il est un peu plus de 3h du matin, une dame au corps fr�le tra�ne les jambes appuy�e sur son �poux. Elle est inconsciente. Son fils tape � toutes les portes cherchant d�sesp�r�ment un m�decin. Nos blouses blanches ont par miracle disparu. L�heure du s�hor a sonn�. Ils ont abandonn� les patients, provoquant l�ire de leurs familles. Sorti de ses gonds, le fils vocif�re : �C�est un scandale, comment peut-on laisser des malades n�cessitant des soins d�urgence, pour aller se remplir la panse. Je veux voir le directeur de garde.� Et ce sont tous les proches qui s�insurgeront contre cette situation pour le moins kafka�enne. Alert�, le directeur fait son apparition. Il cherche � son tour un toubib, qu�il trouvera dans une salle au fond du couloir. Les cheveux �bouriff�s, les yeux gonfl�s, il a l'air de sortir d�un profond sommeil. Ce sera lui qui prendra la rel�ve. Il est un peu plus de 4h, Nafissa a fini par avoir ses r�sultats. Eh bien �a ne sera pas le m�me m�decin qui les interpr�tera ! La jeune interne qui l�a auscult�e ainsi que ses coll�gues n�ont toujours pas termin� le s�hor !