Par le Pr Ziri Abb�s, directeur g�n�ral du CHU de Tizi-Ouzou Etudier la probl�matique du suicide longtemps d�battue et autour de laquelle beaucoup d�encre a coul�, je tiens avant tout � rendre un vif hommage � celui qui fut notre ma�tre, notre enseignant, celui qui a �t� pendant de longues ann�es un �minent clinicien et un expert hors pair. Je ne saurais en quelques mots illustrer la grandeur de l�homme et du m�decin, le Pr Bachir Ridouh, celle de l�enseignant qui, par un coup de magie, transmet le savoir et le savoir-faire � tous ses �tudiants, celle du clinicien tr�s proche de ses malades, soucieux de leur bien-�tre, fascin� par la m�decine l�gale et pour laquelle il a consacr� toute son �nergie. Aujourd�hui, je me permets de rendre un hommage � ce ma�tre qui nous a appris et nous a fait aimer la psychiatrie. En effet, aborder la question du suicide n�est pas chose ais�e, en outre, elle fait appel incontestablement � toutes les �tudes et travaux r�alis�s par ceux et celles qui ont contribu� � faire avancer la recherche sur le suicide en Alg�rie et dans le monde et essayer �galement de cerner ce ph�nom�ne aussi complexe soit-il. Mais il est regrettable de voir des profanes � la question du suicide se substituer aux m�decins chercheurs hospitalo-universitaires se prononcer sur la question, abstraction faite des diff�rentes recherches et �tudes. Ainsi, je me permets d�apporter ma modeste contribution sur ce sujet. Le suicide constitue aujourd�hui un v�ritable probl�me de sant� publique dans le monde, compte tenu, d�une part, de la complexit� �tiopathog�nique, et d�autre part, des cons�quences socio-psychologiques qu�il engendre. Le suicide est un ph�nom�ne universel connu depuis l�antiquit�, condamn� par les doctrines religieuses et consid�r� comme un p�ch�. Le terme suicide a �t� invent� par l'Abb� Desfontaines en 1737, rempla�ant le terme �d'homicide de soi� longtemps consid�r� comme une infraction grave, ce dernier a �t� d�fini par Durkheim 1858-1917 comme tout cas de mort qui r�sulte directement ou indirectement d'un acte positif ou n�gatif accompli par la victime elle-m�me et qu'elle savait devoir produire le r�sultat. A noter qu�avant d�arriver � l�acte suicidaire, l��tre humain passe par plusieurs �tapes appel�es �le processus suicidaire� au sein duquel on rep�re trois phases s�quentielles, � savoir : - la premi�re phase marqu�e par l'apparition des id�es suicidaires o� le suicide est envisag� comme l'une des solutions possibles pour faire face � la souffrance, rumination de l'id�e suicidaire correspondant au sentiment de ne plus avoir de solution puis c�est la cristallisation et la planification d'un sc�nario suicidaire ; � ce stade, la d�cision est prise et le sc�nario s'�labore ; - la deuxi�me phase caract�ris�e par son passage � l�acte qui est fr�quemment li� � un �v�nement d�clencheur qui peut para�tre anodin ou, au contraire, tr�s grave ; - la troisi�me phase ; lorsque l�individu survit � son geste suicidaire, soit la crise se r�sout, et un r�am�nagement physique s�op�re, soit au contraire une nouvelle crise se constitue annon�ant une �ventuelle r�cidive. Ce ph�nom�ne qui constitue aujourd�hui un s�rieux probl�me qui inqui�te de plus en plus les sp�cialistes qui tentent de nouvelles approches pour une meilleure compr�hension de cette forme de violence complexe, jusqu'� pr�sent aucune th�orie ne suffit � elle seule de l�expliquer et parmi celles-ci on pourra citer les pr�ceptes philosophiques dont chacun d�pend du courant, de l��poque et l�auteur consid�r�, je cite par exemple Albert Camus dans son livre L�homme r�volt�. Il consid�re le suicide comme une solution � l�absurde puis il encha�ne qu�il ne faut pas r�soudre l�absurde mais l�affronter par la r�volte. Du point de vue sociologique, �mile Durkheim insiste sur la relation individu/soci�t� ; le courant psychologique d�Adler consid�re que l�acte suicidaire appara�t � l�occasion d�une situation d�valorisante ou humiliante qui attise le complexe d�inf�riorit� ; quant aux cognitivistes, Beck rattache les pr�occupations suicidaires � une conceptualisation de la situation pr�sente comme intenable et d�sesp�r�s, o� le patient croit qu�il ne peut supporter la continuation de la souffrance et qu�il ne peut trouver une solution � ses probl�mes. Du point de vue neurobiologique, les recherches sont toujours en cours, les r�sultats les plus r�cents mettent l�accent sur plusieurs anomalies, notamment l�augmentation des sous-types de r�cepteurs monoaminergiques ; 5HT2A et 5HT1A, des anomalies de la prot�ine G et son effecteur la PLC, tout aussi que son enzyme de phosphorylation la PKC. La complexit� du suicide r�side non seulement dans la vari�t� de ses th�ories explicatives mais �galement dans la multiplicit� de facteurs de risques, � savoir l�existence d�une pathologie psychiatrique aigu� ou chronique telle que : - les �tats d�pressifs majeurs o� le risque suicidaire est plus grand, surtout dans les formes avec des id�es d'auto-accusations ou dans les formes anxieuses ; - les psychoses : Le suicide peut �tre pr�sent dans la schizophr�nie, soit � la phase initiale de la maladie (bouff�e d�lirante aigu� inaugurale), soit � la phase d��tat (suite � des hallucinations auditives et l�automatisme mental), ou au moment f�cond de la schizophr�nie, aussi lors d�une phase d�pressive (d�pression post-psychotique). Dans les troubles d�lirants chroniques, les conduites suicidaires sont moins fr�quentes ; - troubles anxieux : Le risque suicidaire est pr�sent mais le passage � l�acte est souvent incomplet, le geste suicidaire prend valeur d�appel � l�autre, de qu�te affective o� il peut �tre l�aboutissement d�une lutte inefficace contre la pulsion dans le trouble obsessionnel compulsif, alors qu�il est th��tral, souvent en r�ponse � une sensibilit� aux frustrations dans les troubles conversifs ; - personnalit�s pathologiques : Essentiellement, la personnalit� antisociale (se caract�rise par son impulsivit�, son intol�rance � la frustration, impossibilit� � diff�rer la satisfaction, les conduites d�pendantes (alcool, toxiques), qui sont autant de facteurs favorisant le passage � l'acte) et les �tats limites ou borderline (sont fr�quemment sujets � des angoisses d'abandon, des effondrements d�pressifs les rendant particuli�rement vuln�rables aux conduites suicidaires) ; - abus de substances psychoactives ou d'alcoolisme : Il est utile de distinguer les �quivalents suicidaires (overdose toxicomaniaque ou conduites d'alcoolisation massive aboutissant au coma �thylique) et les tentatives de suicide. La comorbidit� alcoolique augmente le risque de passage � l�acte suicidaire dans les pathologies psychiatriques, par effet d�sinhibiteur ; - l�existence de facteurs pr�disposant : Il s�agit des facteurs susceptibles d�augmenter la vuln�rabilit� d�une personne au regard des actes suicidaires, ils peuvent �tre regroup�s en facteurs individuels, familiaux, et surtout psychosociaux, comme le ch�mage et les probl�mes �conomiques, le c�libat, les conflits professionnels� Des facteurs pr�cipitant peuvent �tre associ�s et agissent comme des d�clencheurs pour des personnes vuln�rables au suicide et enclines aux comportements suicidaires. En effet, ce sont des �v�nements ponctuels susceptibles d�augmenter la perception de vuln�rabilit� de la personne et qui peuvent ainsi pr�cipiter le passage � l�acte. Parmi ces facteurs on peut citer les ruptures amoureuses, �chec scolaire, perte de l�autonomie fonctionnelle et les maladies chroniques surtout chez les personnes �g�es. Un �l�ment d�une importance capitale � signaler c�est l�existence des signes pr�curseurs au moment d�un �minent passage � l�acte qu�il faut rep�rer et � prendre au s�rieux, tels que les messages verbaux directs qui indiquent une intention claire et pr�cise de mettre fin � ses jours : �J�ai perdu le go�t de vivre� ; �Je vais en finir� ; les messages verbaux indirects qui consistent en un message o� la personne sous-entend qu�elle serait mieux morte : �Vous seriez mieux sans moi� ; les indices comportementaux qui incluent les changements majeurs et rapides au niveau des comportements, des humeurs et des attitudes �s�isoler physiquement ou psychologiquement�, �N�gligence de la tenue vestimentaire et l�hygi�ne personnelle � et les signes psychologiques pouvant indiquer un �tat d�pressif masqu�. Cette complexit� et ampleur du ph�nom�ne nous a conduit � organiser, plusieurs congr�s � l�EHS Fernane-Hanafi de Oued-A�ssi et au CHU de Tizi-Ouzou sur les conduites suicidaires. Cette ann�e, c��tait les journ�es nationales sur �L�actualit� des suicides et les tentatives de suicide en Alg�rie, perspectives et prise en charge� organis�es les 9 et 10 juin 2012 au CHU de Tizi-Ouzou. Des sp�cialistes alg�riens de la majorit� des wilayas du pays ainsi que des sp�cialistes �trangers, des repr�sentants de la Gendarmerie nationale, la S�ret� nationale, la Direction de l�action sociale, la Protection civile, l��ducation nationale, des repr�sentants des affaires religieuses, des sociologues, des m�decins g�n�ralistes et des psychologues ont particip�s massivement o� le ph�nom�ne du suicide a �t� d�battu en long et en large, afin de mieux le comprendre pour mieux le pr�venir. Des r�sultats �pid�miologiques r�cents ont �t� donn�s pour illustrer la r�alit� du suicide. Dans le monde, selon des �tudes internationales, 815 000 personnes se sont suicid�es en 2000, soit 14,5 d�c�s/100 000 habitants (un d�c�s toutes les 40 secondes), le suicide est plus fr�quent dans les pays d�velopp�s tels que les Etats-Unis, environ 30/100000 habitants, la Finlande 28/100 000 habitants, la France 17/100 000 habitants, tandis que les pays qui enregistrent les taux les plus faibles de suicide dans le monde sont les pays de la rive sud de la M�diterran�e tels que la Gr�ce, l�Espagne et l�Italie avec un taux de 3-6/100 000 habitants. Cependant, la r�alit� du suicide chez nos voisins du Maghreb (Tunisie et Maroc) demeure m�connue o� aucun chiffre officiel n�est donn�. Cependant, un taux de 3 � 4 suicides/100 000 habitants est officieusement avanc�. Mais quelle en est de cette r�alit� en Alg�rie ? Plusieurs �tudes ont �t� pr�sent�es lors de cette journ�e et selon le professeur Mohamed Saleh Laidli, chef de service de m�decine l�gale au CHU de Bab-El-Oued, qui a enregistr� 269 cas de suicide en 5 ans entre 2007 et 2011, avec 38 cas en 2007, 45 cas en 2008, 64 cas en 2009, 59 cas en 2010 et 63 cas en 2011 ; toutefois, ces taux ont �t� recens�s dans un seul service � Alger, sans compter les cas enregistr�s dans les services de m�decine l�gale de B�ni Messous, de Mustapha et de Rou�ba. En dehors de quelques �tudes hospitali�res, l��tude que nous avons men�e � Tizi- Ouzou s��talant de 2007 jusqu�en 2012 demeure l�unique �tude prospective faite en Alg�rie qui r�v�le que contrairement � ce que les gens pensaient, le taux de suicide dans la wilaya de Tizi-Ouzou est parmi les plus faibles en Alg�rie avec une incidence de 4 � 6/100 000 habitants, comparativement � Alger, Oran, Sidi Bel Abb�s� Parall�lement � ces diff�rentes interventions, nous avons organis� un atelier de formation continue sur les modalit�s d�une meilleure prise en charge, les strat�gies d�une pr�vention efficace et des recommandations ont �t� donn�es. Une tentative de suicide n�est jamais une conduite anodine, elle ne doit pas �tre banalis�e. Outre la possibilit� de survenue de complications somatiques potentiellement mortelles � court terme, le risque principal est la prolongation d�une souffrance psychique qui s�exprime fr�quemment par une r�cidive suicidaire, sa prise en charge repose sur l�accueil des patients au pavillon des urgences, un examen somatique par une �quipe multidisciplinaire qui permet de d�finir un traitement, une surveillance adapt�e et une prise en charge psychiatrique par une �quipe de m�decins psychiatres et de psychologues. La pr�vention reste le bon moyen de lutter contre le risque suicidaire, elle est bas�e sur trois axes : 1 - La pr�vention primaire C�est le temps id�al puisque pouvant �viter le passage � l�acte. Elle vise � diminuer l�incidence du taux d�une affection ou d�un comportement dans une population non s�lectionn�e, par des mesures qui permettent d�am�liorer la sant� mentale : am�lioration de la qualit� de vie, renforcement de l�estime de soi, sensibilisation de la population sur la sant� mentale, augmenter la couverture sanitaire en m�decins sp�cialistes et am�liorer le contenu du programme de formation des m�decins g�n�ralistes, cr�er et animer des r�seaux de sentinelles en s�appuyant sur l�associatif). 2 - La pr�vention secondaire : Concerne une population sp�cifique �la population vuln�rable�, c'est-�-dire ceux qui pr�sentent des facteurs de risque comme le cas des jeunes, des adolescents, des personnes �g�es et des d�tenus� ou ceux qui pr�sentent des pathologies mentales. 3 - La pr�vention tertiaire : Ou encore ce qu�on appelle post ventions est celle d��viter et de pr�venir la r�cidive. Elle repose sur les soins aux suicidants et le rep�rage des dimensions pathologiques et leur prise en charge � un niveau individuel et collectif. Au terme de nos travaux, des recommandations ont �t� faites, � savoir : � ne jamais banaliser les verbalisations suicidaires : parler des suicides est avant tout ouvrir la porte � un dialogue, �couter la souffrance de l�autre, ce qui permettra � la personne d�exprimer une id�e, une �motion qui l�habite et peut-�tre de dissiper partiellement l�angoisse ; � ne pas interpr�ter le suicide comme acte de l�chet� ou de manque de courage : puisque elle ne permet pas d�expliquer la r�alit� car pour la plupart des personnes suicidaires le suicide est consid�r� comme une mani�re de mettre fin � la souffrance ; � insister sur le r�le des associations et des r�seaux d�accueil et d��coute dans la pr�vention du suicide ; � le r�le capital des m�decins g�n�ralistes et des psychologues : qui sont impliqu�s � tous les niveaux du rep�rage et de la prise en charge des crises suicidaires, car dans la majorit� des cas, le motif des consultations sont des plaintes somatiques plus au moins pr�cises. Ceci rend difficile la reconnaissance de la souffrance psychique sous-jacente, et donc le rep�rage de la crise suicidaire ; � la n�cessit� de la cr�ation d�un observatoire national des tentatives de suicide et des suicides et d�une mise en place du d�veloppement d�une politique nationale de pr�vention du suicide.