[email protected] Après avoir sorti les «orgues de Staline» de la justice pour exécuter un simple délit de presse, ils se déploient en rodomontades de tribune pour faire l'éloge de la stabilité du pays. Sellal, Bensalah et accessoirement certains ministres du 2e collège se sont exprimés en ce sens et crient même au complot larvé qui s'efforcerait de faire de la maladie de Bouteflika un levier de manœuvre destiné à attenter à la légitimité du pouvoir. Alors que, durant deux semaines, ils avaient sciemment imposé un embargo sur la moindre information concernant l'évolution de l'état physique du Président, ce sont ces mêmes caciques qui qualifièrent d'indécente la spéculation journalistique qui, en toute logique, s'efforce de briser les black-out officiels. Bien mieux, l'on a entendu certains d'entre eux se référer à la déontologie de la presse pour désigner ceux qui s'en écartent de «brailleurs»(1). Cette pirouette qui consiste à s'ériger en accusateur, alors que l'on fut auparavant le receleur de la vérité et par voie de conséquence la source de la rumeur, indique bien qu'au sommet du pouvoir les intérimaires du palais sont euxmêmes dans le brouillard total. Ne sachant pas, dès le premier jour, comment communiquer sur cet évènement majeur, ils se retrouvèrent avec des violons désaccordés. C'est par conséquent à travers la gestion des épreuves imprévisibles que se juge la qualité des institutions d'un pays et se mesure le sens du devoir public de ses dirigeants. Celui de savoir concilier la confidentialité de la sphère privée de la personne du chef de l'Etat sans pour autant verser dans la basse manipulation puis de recourir à la censure quand l'affolement gagne le premier cercle. C'est d'ailleurs ce qui vient d'arriver à ce dernier par la faute d'une communication réduite à l'incantation. Sa propension à peser plus lourdement par le silence et l'embargo est précisément une vieille habitude dont il ne s'est pas départi malgré la répétition du scénario de décembre 2005. A cette époque, l'on pouvait comprendre que la soudaineté du mal qui avait atteint le Président ait pu prendre au dépourvu les structures centrales du pouvoir. Mais est-ce le cas cette fois-ci au point de laisser «filer» plus que de raison la rumeur et les supputations médiatiques sans, qu'à aucun moment, il y ait eu la volonté et le devoir à l'égard de l'opinion publique de ne rien taire ? Celui de parvenir à lever le soupçon de quelques graves cachotteries. Il a donc fallu le «buzz» d'une feuille imprimée, décrivant par des détails inventés une agonie, pour que le branle- bas atteigne enfin la parole officielle. A ces moments-là seulement, les micros des radios étrangères devinrent les bienvenus tout aussi bien que les visites de travail en province se transformèrent en tréteaux de campagne d'apaisement. Ici et là, la réalité de la maladie est à moitié évoquée et l'on a insisté plutôt et plus souvent sur la convalescence et le prochain rétablissement du personnage. Or, cela ne suffit plus guère à convaincre les auditoires et les téléspectateurs. Car, le mensonge par omission de l'appareil d'Etat pouvait- il gommer des esprits les quelques aveux allusifs de ces représentants, après qu'ils eurent commis d'aussi nombreuses maladresses ? En effet, face à la gravité du contexte, ils furent d'une imbécillité sans pareille. Du mutisme initial aux propos farfelus et populiste d'un Premier ministre en goguette, n'ont-ils pas surajouté à la désinformation l'affabulation ? C'est pourquoi la déplorable agitation dont ils font preuve depuis une semaine fait l'effet inverse quand il s'agit d'extrapoler sur le retour aux affaires du Président. Car c'est bien de ce côté-ci que continue à enfler la rumeur d'une vacance, à terme, du pouvoir de celui-ci. Un Bouteflika rétabli certes, mais néanmoins diminué physiquement sera-t-il en mesure d'aller au-delà de 2014 ? Rares sont les décideurs qui le pensent de même qu'ils sont peu nombreux ceux qui le souhaitent pour leur propre intérêt. Certes au cœur du déroulement des évènements, la question de sa succession n'est que secrètement évoquée. Et les centres névralgiques de l'Etat se concentrent plutôt sur l'urgence de son retour et des conditions dans les lesquelles il reprendra ses fonctions afin qu'il puisse les mener jusqu'au terme de son mandat. Car la longue et troublante parenthèse de cette seconde hospitalisation à l'étranger suscite également des inquiétudes sur sa capacité personnelle à en assumer les lourdes charges. Notamment celle de respecter l'agenda qu'il s'est donné et dont la révision constitutionnelle était jusque-là la pierre angulaire. Demain peut-être ou dans plusieurs semaines sûrement il sera de retour au pays. Et c'est seulement à cet instant que les vrais problèmes se poseront alors... B. H. (1) C'est au président du Sénat que l'on doit le qualificatif trivial de «brailleur».