Entré un peu tardivement dans le monde de l'écriture, Larbi Bennacer s'est lancé, depuis, à la recherche du temps perdu. Cette quête frénétique a produit, en 2011 et 2012, deux romans, un recueil de poésie et un autre de nouvelles. La tentation du démon de midi l'a fait succomber à ces diverses formes d'expression littéraire. Sa passion n'a pas résisté non plus à une autre sirène : ces œuvres ont été publiées aux éditions Persée d'Aix-en-Provence, en France (une boîte n'ayant pas la notoriété des prestigieuses maisons d'édition parisiennes). Naturellement, l'auteur avait ses raisons personnelles et était peut-être poussé par l'urgence. Mais qu'importe le flacon, un écrivain est né et il ne lui reste plus qu'à espérer que ses écrits soient lus dans son propre pays. Larbi Bennacer projette, pour cela, d'inscrire la prochaine étape de sa carrière littéraire dans cette perspective. Pour les manuscrits achevés ou en chantier, il est aujourd'hui en négociations avec des éditeurs algériens. Le recueil de nouvelles intitulé Si c'était à refaire, son dernier livre paru, confirme tout le bien qu'on pensait de cet auteur à la lecture de ses trois précédents ouvrages. L'écrivain de talent et à la plume facile s'est attaqué, cette fois-ci, à l'art de la nouvelle, un genre littéraire dont les techniques et les ressorts exigent une parfaite maîtrise. Un exercice difficile, a priori. Pourtant, là encore, Larbi Bennacer réussit son examen de passage en nous offrant un recueil des mieux élaborés. En effet, les neuf textes combinent une harmonieuse variété de thèmes et d'écriture tout en gardant le caractère spécifique de la nouvelle moderne, surtout que le réalisme et l'extraordinaire se marient avec bonheur. Le lecteur féru de récits courts et resserrés, aux multiples facettes (cela va du drame à la fable satirique, en passant par le divertissement et le merveilleux) y trouvera son bonheur. Surtout que, dans certaines des nouvelles, l'auteur a imprimé le nécessaire mouvement qui tient en haleine, la chute étant alors si rapide qu'elle devient désarçonnante. Nombre de questions cognitives et humaines sont traitées ici par la plume éclectique de Larbi Bennacer. Des sujets qui se nourrissent de la vie, des relations humaines, des réalités existentielles, de l'individu et de ses sentiments... Un enseignement décliné en toute modestie pour nous apprendre la sagesse, la connaissance, pour nous rappeler certaines vraies valeurs qui mettent en lumière la beauté de l'être humain dans toute sa simplicité. C'est la trame de ce recueil à travers lequel l'auteur fait aussi sa propre introspection, comme une auto-psychanalyse. «La vie et l'amour. Vivre est comme aimer toute raison est contre, et tout instinct robuste est pour», disait le philosophe et romancier anglais Samuel Butler. Et comme les mots ont une vie, les neuf belles séquences contenues dans le recueil forment un long chant rythmé sur le temps, la vie, la mort, l'amour, le rêve, la folie, la mémoire, le destin et même sur une certaine schizophrénie toute poétique. Si c'était... (la nouvelle entamant le livre) se découvre comme une réflexion allégorique sur le temps qui s'écoule inexorablement. Le récit, du moins, se lit comme un conte fantastique dans lequel l'espace temps est projeté hors du temps, dans le futur. Le personnage principal a vécu une étrange expérience pendant quelques heures de coma, où «la vie ou peut-être la mort l'avait pris en aparté» pour le révéler un être totalement nouveau et qui va tirer de belles leçons de son cauchemar prospectif. Dans Au tournant de la mémoire (le titre de la nouvelle suivante), le temps semble voler cette fois-ci comme un oiseau migrateur. Tel l'albatros qui revient toujours là où il est né, l'amour effectue son retour — 27 ans après, mais par effraction — lors d'un rapide voyage mnémonique. Un choc pour l'un des deux protagonistes qui découvre que «celui-là seul connaît l'amour qui aime sans espoir» Schiller). A la fin du texte, cette chute saisissante résume tout le talent littéraire de l'écrivain : «Ses doigts se figèrent sur le téléphone, lorsqu'il entendit le bruit que fit celui de son interlocutrice, en tombant par terre.» Après le voyage au pays de l'amour, la plume polyphonique de l'auteur devient acerbe et critique dans Trop c'est trop !Cette nouvelle est une parabole sur l'Algérie d'aujourd'hui, sur le malaise que vivent certaines générations, les rendez-vous ratés avec l'humain, le dérèglement social, la violence... Sombre tableau sur lequel se greffe un mini-thriller : le héros — un sexagénaire de la génération sacrifiée — se transforme en justicier des temps modernes. L'affaire du serial-killer laisse ensuite place à la nouvelle la plus longue du recueil. Simplement titrée « Tendresse, elle masque les batteries et les combinaisons secrètes de l'amour. Une belle histoire, sûrement dédiée à tous les amoureux qui ne se lassent jamais d'aimer et dans laquelle l'écrivain intimiste semble avoir mis toute son âme. Le long intermède de Hanane et de «il» (la troisième personne est parfois utilisée pour nommer le personnage principal) s'achève de façon tragique. Après le plat de résistance, le lecteur émotif et sensible reprend ses esprits grâce aux quatre nouvelles qui suivent, écrites sur un autre ton et plus aérées. On respire et on se rafraîchit avec Le dieu du lézard (une fable fantastique), Entrailles mortes(un récit d'anticipation, mais une histoire futuristes qui pourrait bien devenir réelle), Chat fait du bien (jolie histoire d'amour dont le troisième larron est un chat entremetteur) et Ça ne coûte rien de rêver (autre belle intrigue pour dire que l'amour est parfois un don du ciel). Dernière séquence — et non des moindres — pour clore ces différents registres, elle aussi métaphorique : «Il est toujours trop tôt pour mourir.» L'histoire de ce vieux couple seul et abandonné est particulièrement émouvante. La tendresse les unit et se lit dans le moindre geste, le plus petit détail de leur vie quotidienne. «A part ça, nous n'avons vécu qu'un printemps... inachevé», s'avouent-ils enfin, juste avant de mourir. Le génie inspirateur de la philosophie (la mort) conclut le recueil, sauf que «la vie est le don propre de l'artiste» comme le disait si bien l'écrivain André Suarès. En l'occurrence, Larbi Bennacer est vraiment doué, lui qui nous a fait vivre neuf instants exquis. Hocine Tamou Larbi Bennacer, Si c'était à refaire, Editions Persée, Aix-en-Provence (France) 2012, 214 pages, 18,30 euros