Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Etrange pays qui est le nôtre, où pas un seul domaine de la vie sociale n'est épargné par le désordre et le chaos. La ravageuse épidémie de la contestation ayant atteint les salles de classe où les potaches étaient censés composer studieusement leurs épreuves du baccalauréat, n'est-elle pas le marqueur chronologique de l'effondrement de l'Etat, lui-même ? À travers le déferlement de la colère estudiantine, mécontente de la difficulté des sujets d'examen, l'on mesure en effet la qualité médiocre de la pâte morale et pédagogique dont s'est servie l'école pour pétrir toute une génération. Avec son lot de fraudeurs menaçants et la démission de l'autorité qui avait pour devoir de traquer cette délinquance, d'un genre particulier, la promotion de cette année portera certainement la marque d'une vaste escroquerie au détriment du savoir. D'une année à l'autre, c'est donc l'école algérienne qui part en petits morceaux, tant il est vrai que depuis deux décennies elle a cessé d'être l'oasis préservée dont les principes universels de l'instruction publique ont pourtant encadré la vocation. C'est ainsi qu'aux ravages doctrinaux qui en firent d'elle une officine de conditionnement agissant dès la prime enfance, s'est greffé le refus du dialogue d'une administration centrale jusqu'à enclencher des cycles de grèves à répétition. De saison en saison et de reconduction en reconduction des mêmes procédés, la crise n'a fait que s'amplifier au lieu de se résorber. Au fil des réformes, officiellement engagées dès 2003, les spécialistes ont justement observé que les corpus pédagogiques se caractérisaient d'abord par un empilement de systèmes sans cohérence évidente entre les trois paliers. Le sinistre, pourtant diagnostiqué 20 ans auparavant, va, par conséquent, continuer à faire des victimes, essentiellement dans le palier du supérieur. L'université destinataire de têtes mal dégrossies, devra encore se contenter de perpétuer les mêmes contenus de son enseignement sans se soucier de l'exigence dans l'innovation des filières et ce, pour satisfaire à l'archaïque contrainte de la délivrance des «peaux d'âne» à la multitude de faux bacheliers. Car, contrairement à ce qu'énonce le discours officiel sur cette école, les «fruits» de ce long bidouillage sont rabougris. Et les diplômes algériens ne sont que de piteux parchemins sans la moindre cote à la bourse internationale des compétences. Autant la somme des demi-mesures infligées à l'école aggrave son incohérence, autant le recours aux louvoiements dans le management des ressources humaines fut à l'origine de l'amplification de la contestation des pédagogues et du chantage des potaches. Or, c'est de cette partie visible de l'iceberg scolaire que l'on peut juger de l'échec de l'action publique. Incapable de séparer les problèmes et de formuler des réponses à partir d'études d'impact, le «mammouth» de l'éducation nationale est depuis longtemps pointé du doigt. A l'image du précédent ministre qui, de par sa longévité au poste et surtout ses approximations, l'école algérienne a fini par sacrifier une génération entière. Certes, il ne fut pas le seul à en être responsable sauf qu'en sa qualité de ministre, il était en devoir de rendre une meilleure copie que celle qu'il vient de laisser à son successeur. Il est vrai également qu'avant lui, peu de ministres ont eu à exercer une aussi longue tutelle sur l'instruction publique. Taleb Ibrahimi, élitiste à contrecourant de la démocratisation massive de l'école, et Kharroubi, arabophone fondamentaliste et précurseur d'une désastreuse école fondamentale, constituaient des références avant que ne vint l'inénarrable Benbouzid. Entre ces repères marquants, seul le court passage de Lacheraf, défenseur du bilinguisme et que l'on sacrifia d'ailleurs sur l'autel de l'intégrisme linguistique, continue encore à susciter des regrets dans le souvenir des bons marchands d'alphabet. C'est dire qu'à l'exception de ceux-là, l'école algérienne a rarement connu des réformateurs de conviction. De ceux qui n'hésitaient pas à plaider sa cause et à s'y opposer aux exorcistes politiques. C'est que le système éducatif focalise, bien plus qu'on ne le croit, les enjeux sociétaux et le rapport de force entre des doctrines culturelles opposées au sujet desquels le pays ne parvient toujours pas à faire la part des choses. Des tergiversations qui sont d'abord le fait des régimes politiques et qui retardent évidemment sa refondation. D'ailleurs, les compromis pédagogiques (à l'exemple de la cohabitation inégale et biaisée entre instruction religieuse et civique) illustrent parfaitement cette indétermination du modèle scolaire. Otage perpétuelle des obédiences spirituelles, l'école demeure une monnaie d'échange dont se sert la gouvernance d'Etat. Elle s'en est tellement servie avec une dangereuse légèreté qu'elle a permis à l'enseignement de l'Islam de devenir matière à part entière dans les examens de paliers et de surcroît dotée de coefficients de premier ordre identiques à ceux des sciences expérimentales et exactes ! Voilà qui explique en grande partie le déclassement de notre système éducatif. Car, pour avoir «coranisé» pesamment l'école et à l'inverse entrouvert à peine les bonnes fenêtres du siècle, le pouvoir contribue depuis des années à l'envoi de mollahs vers les campus. Lesquels finiront bien un jour de faire de la majesté de ces temples des «zaouiatte» où le fameux «doute scientifique » qui guide la connaissance ne sera plus permis.