[email protected] Du haut de ses 1,70 m, Rachid observe la ruée vers les boucheries. Comme des affamés, nos quidams scrutent, pèsent et soupèsent les moutons dépecés, sanguinolents accrochés à l'entrée. Les yeux plus gros que le ventre et la peur de mourir de faim, ce sont des quartiers de viande, voire des carcasses entières qui sont acheminées vers les malles de leurs voitures, qu'on entasse, mêlées à d'autres produits alimentaires en tous genres. Lyes, j'ai omis de le préciser, est végétalien. Cela fait près de deux ans qu'il ne mange plus de viande ni ses dérivées. Une décision prise suite à ses lectures philosophiques, ses convictions naturalistes, ses rapports avec les animaux et tous les êtres vivants. Un choix que ne partagent pas son épouse et ses amis du reste. - Je me demande comment tu peux tenir pendant le mois de jeûne ? Manger une chorba friksans de bons petits morceaux de viande, Une batata k'bab sans des côtelettes bien charnues, un bon poulet rôti avec des pommes de terre au four, des boureks farcis de crevettes et un bon flan au dessert. Rien qu'à en parler j'en bave, lui lance son ami. - Tu sais, on s'habitue à tout. Manger simplement et se contenter de peu : avoir la qanaâ de nos ancêtres. Je ne supporte plus la vue de ces cadavres et toutes ces atteintes au monde animal. Cette cruauté envers ces bêtes, nos semblables. Pour moi c'est inhumain, immoral. Il faut voir se débattre, souffrir et pleurer comme un bébé un lapin qu'on égorge, pour ne plus avoir envie d'avaler de la viande. Dieu merci, je me porte bien, je déguste ma chorba aux légumes et aux herbes, mon ragoût de pommes de terre et pois chiches, ma salade de tomates et de laitue, ma pomme au dessert, et pour finir, mon thé fumant accompagné d'un bon morceau de zlabia. C'est mon deuxième Ramadan, et j'avoue que je ne me plains pas, sauf que ça fait du travail supplémentaire à ma femme mais je me rattrape en lavant la vaisselle. En fait, pour tout vous dire, je ne peux plus cautionner ce massacre réservé aux animaux. Et puis je ne veux pas polémiquer, chacun est libre de vivre, de manger de penser selon sa conscience et ses convictions. Je n'ai pas de leçons à donner aux autres, même pas à ma fille, qui, elle, est carnivore.