Par Ahmed Halli [email protected] Wellington, vous connaissez ? C'est juste à côté (sur la carte bien sûr) du port d'accostage du bateau pour l'Australie. Et si je vous en parle, c'est parce que Wellington est la preuve par 6,9 que Dieu ne s'amuse pas à faire danser la terre juste pour punir les musulmans. Wellington a subi ce dimanche un séisme un peu plus violent que celui de Hammam Mélouane, soit 6,9 sur l'échelle de Richter. Je suis presque certain que des musulmans, il n'y en a pas des masses en Nouvelle-Zélande, capitale Wellington, mais «ils» ont eu quand même leur tremblement de terre. En bon croyant, féru de syncrétisme, je ne crois pas que la divine providence ait des raisons particulières d'en vouloir aux musulmans du coin, ou à leurs concitoyens néozélandais, adeptes d'une autre religion. Si j'en crois les assertions catastrophistes de l'imam de mon quartier, c'est le doigt du destin qui s'est glissé entre deux plaques tectoniques, du côté de Hammam Mélouane, juste pour sévir. Il s'agirait, selon ce «cheikh» qui ne serait pas administrativement «salafiste», mais qui fait comme si, d'une réaction de colère contre les noctambules des soirées «halal» algériennes. Aux dires de cet imam, convaincu que l'Islam se décline en décibels et s'impose par la peur de l'Au-delà, tout rassemblement devant un chanteur ou une troupe musicale est une faute, pire une «incitation au séisme». Et devinez qui est responsable ? Les femmes, bien sûr, qui, malgré leur mise en conformité par le hidjab, continuent à imposer leurs quatre volontés (il faudra faire une recherche pour déterminer quelles sont les trois autres). Supposons que la musique et les femmes qui sortent le soir contribuent à un affaiblissement général de la piété et à une montée subséquente d'adrénaline là-haut. Evoquons même l'hypothèse absurde selon laquelle le divin créateur aurait une dent contre les musulmans qui ne font pas les surérogatoires, comme le recommandent les nouveaux canons. Dans ce cas, que viennent faire alors les «infidèles» néozélandais dans un champ de sanction qui nous est strictement réservé ? Un séisme de 6,9 sur l'échelle de Richter, c'est quand même un peu fort pour des Néozélandais, qui n'ont pas de «théâtres de verdure», et ne se trémoussent pas en entendant une «derbouka». Côté femmes, ils n'ont pas besoin qu'elles les mènent par le bout du nez, puisqu'ils n'en auraient pas selon ce qu'on nous enseigne sur les «kouffars». Je suis d'accord : les imams devraient effectivement, la femme est source de tiraillement et de «fitna» chez une grande majorité de la gent masculine, dont le disque dur ou ce qui fait office de cerveau, est formaté à cet effet. Mais Wellington, messieurs les imams fondamentalistes qui sévissez dans nos mosquées, d'où vous auriez été expulsés, à en croire ce bon vieux ministre du culte ? Personnellement, je pense que si les séismes surviennent réellement par une intervention divine directe, celui de Wellington est de même nature. Seulement, il constitue un démenti cinglant à l'idée répandue par les prêches du vendredi, selon laquelle Dieu «tamiserait» la terre en signe de colère contre les musulmans défaillants (ils doivent être légion). Je m'étonne encore qu'aucun parmi ces imams n'ait eu une explication plus primesautière, comme celle qui a fleuri un moment sur les réseaux sociaux : le séisme comme réaction de joie au retour de Bouteflika. Il faut dire que la théorie, quoique fumeuse, est nettement plus séduisante et rassurante que celle mettant en scène un dieu vengeur. La terre qui se trémousse d'aise et entame un «Zwit-Rwit» endiablé pour saluer le rétablissement d'un leader bien-aimé, il y a sûrement matière à réjouir des fans bien silencieux depuis quelques semaines. La terre qui entre en transe, à Hammam Mélouane précisément, voilà qui ouvrirait des perspectives séduisantes pour les coryphées des mandats reconductibles à l'infini. Cela voudrait dire que le temps passé à cajoler les zaouïas n'a pas été dépensé en vain et que l'investissement aura été plutôt avisé et fructueux. Outre le fait d'avoir un imam misogyne et ultra wahhabite, mon quartier abrite une variété très particulière de citoyens qui se passionnent pour les manifestations pro-Morsi en Egypte. Ces «Egyptiens» de fraîche conversion et franchement versatiles pourraient aussi être «Syriens», si le sort des armes ne semblait pas devoir tourner en faveur de Béchar Al-Assad. Ces «Egyptiens» se manifestent aussi lors des conclusions des «Tarawih» en invoquant la victoire de leur camp en Syrie et en Egypte. Si le penchant pour la Syrie se manifeste avec quelque tiédeur, l'engouement pour les rassemblements des Frères musulmans de «Rabiaa Al-Adwya» est nettement plus probant. Si le Président Morsi a perdu la confiance d'une partie de son peuple, pour cause d'alignement systématique sur les vues sectaires et à courte vue de son parti, il règne en monarque absolu dans le cœur de mes concitoyens. Ceux qui proclamaient il y a peu que la démocratie était une impiété, se réclament aujourd'hui de la démocratie et du choix des urnes, pour réclamer le retour des «Frères» au pouvoir. Ils n'en sont plus à une contradiction près, comme le fait de vitupérer contre les Américains et contre Israël, tout en envoyant des messages, directs ou subliminaux, aux sionistes. Aujourd'hui, ils s'insurgent contre la destitution de leur président, un choix populaire entériné par les Américains, alors que les «Frères» sont arrivés au pouvoir, parce que les Américains le voulaient. Aujourd'hui, les Américains et leurs alliés des monarchies du Golfe commencent à s'apercevoir que les Frères musulmans ne travaillent pas pour instaurer la Charia, mais pour mettre en place leur propre ordre. La «Frérisation» que Morsi a voulu imposer au pas de charge en Egypte n'a pas effrayé que des Egyptiens, attachés aux libertés, elle a aussi fait peur aux parrains traditionnels du courant islamiste. Ce n'est pas par hasard si, dès la chute de Morsi, l'Arabie Saoudite et le Koweït ont ouvert les caisses à pétrodollars aux nouveaux dirigeants du pays. Dans la foulée, les Palestiniens ont accepté de retourner, sans condition, à la table de négociations avec Israël. Je laisse les «Egyptiens» de mon quartier deviner qui fera le plus de concessions, lors des prochains rounds.