Les répliques de l'assassinat, jeudi, de l'opposant anti-islamiste Mohamed Brahmi frappent, par à-coups, une Tunisie qui sombre dans une nouvelle crise politique, peut-être la plus décisive depuis la chute de Ben Ali, en janvier 2011. Certes, ce n'est pas encore l'embrasement mais la tension monte chaque jour davantage. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) Une sorte de situation de «ni guerre ni paix» prévaut depuis jeudi avec des glissements progressifs depuis les impressionnantes obsèques de Mohamed Brahmi, dans l'après-midi de vendredi. Une partie de la foule, du reste entièrement hostile au parti islamiste au pouvoir, Ennahda, s'était dirigée, l'après-midi même, vers le quartier du Bardo, dans la banlieue de Tunis, où se trouve le siège de l'Assemblée nationale constituante. Objet et mots d'ordre : la dissolution de cette Assemblée et la chute du régime islamiste d'Ennahda. Ce sit-in sera toutefois violemment dispersé par les forces de l'ordre, qui ont eu recours aux gros moyens, blessant au passage un député de l'opposition. Mais ce n'était que partie remise. Le soir, après la rupture du jeûne, les manifestants hostiles à Ennahda et à son gouvernement sont retournés sur les lieux, mais ils n'étaient pas seuls cette fois. Le parti de Rached Ghennouchi a, entretemps, battu le rappel de ses troupes. Les deux camps se retrouvent, dès lors, et pour la première fois depuis l'éclatement de la crise, face à face, dans la rue, d'un côté comme de l'autre d'un impressionnant dispositif de sécurité. Cela a commencé par des slogans : «Ghennouchi, assassin», «le peuple veut la chute du gouvernement des assassins» lançait-on du côté des opposants démocrates. «Il n'y a pas de général Sissi en Tunisie», répliqueront avec mépris les troupes d'Ennahda. Mais les choses ne tarderont pas à se gâter et, place et lieu des slogans et des quolibets, ce seront des pierres que l'on s'échangera des deux côtés. Le pire a été évité de justesse après l'intervention «musclée» de la police, aux alentours de 2h du matin. N'empêche, les belligérants ont campé sur les lieux jusqu'à l'aube et la police a dû également intervenir pour empêcher les manifestants d'installer des tentes «à l'égyptienne» sur la place publique. Cette séquence, qui a eu lieu à Tunis dans la nuit du vendredi à samedi, donne un aperçu de la grande tension qui persiste à travers tout le pays. Dans bien des villes, des locaux du gouvernorat et ceux du parti au pouvoir, Ennahda sont ciblés par des manifestants en furie. Dans la ville de Sidi Bouzid, l'on en est déjà même à un stade avancé de la fronde : un conseil des sages s'y est constitué depuis vendredi dernier et qui dénie au pouvoir central, à Ennahda donc, tout droit de regard sur les affaires de la cité? Pendant ce temps, la saignée frappe encore la composante de l'Assemblée constituante. Au dernier décompte, hier dimanche, l'on en était à 65 députés qui se disent démissionnaires de cette instance transitoire, seul socle de légitimité sur lequel repose le nouveau régime tunisien. Tout cela, et certainement traumatisé par le «sort» de leurs «Frères» en Egypte, fait que les responsables d'Ennahda paniquent et doutent. D'où la brutalité manifeste des interventions des forces de l'ordre. Une répression qui a fini par excéder la plus grande organisation du pays, l'Union générale des travailleurs tunisiens. L'UGTT qui a fermement condamné «les attaques injustifiées de la police contre les manifestants», annonce, par la voix de son secrétaire général adjoint, «une réunion décisive pour (aujourd'hui, ndlr) lundi. C'est au cours de cette réunion qu'il sera décidé du destin de la Tunisie», avertira- t-il. Forte de 500 000 adhérents mais aussi d'un grand capital sympathie dans la population, l'UGTT a effectivement de quoi inquiéter Ennahda !