La Tunisie retient son souffle : six mois après l'assassinat de Chokri Bélaïd qui a fortement secoué le pays, les salafistes ont frappé de nouveau, jeudi dernier avec cet acte terroriste qui a ciblé Mohamed Brahmi, une autre figure emblématique de l'opposition de gauche et député à l'Assemblée constituante. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) Connu pour ses positions anti-islamistes, Mohamed Brahmi était même allé jusqu'à quitter une formation politique qu'il dirigeait parce qu'infiltrée par le parti nahda, dénonçait-il il y a quelques mois. C'est cet homme-là qui sera abattu lâchement, jeudi vers midi, devant son domicile au nord de Tunis, par deux terroristes qui étaient à bord d'une moto. Quatorze balles en tout avaient mortellement touché le défunt, dont huit au niveau de la partie supérieure du corps, avec donc volonté manifeste de ne laisser aucune chance de survie à la victime. A l'évidence, c'est l'œuvre de professionnels. Presque immédiatement d'ailleurs, et quasi unanimement, tout le monde a accusé les salafistes. La famille de Mohamed Brahmi, mais aussi des personnalités nationales tunisiennes à l'image de l'ancien Premier ministre et principal leader de l'opposition Gaïd Essebsi. Le parti islamiste Ennahda au pouvoir est désigné par ces mêmes voix comme étant moralement et politiquement responsable de cet assassinat comme de celui de Chokri Bélaïd. La veuve de Mohamed Brahmi et toute sa famille ont clairement déclaré ne pas accepter les condoléances des responsables d'Ennahda, parti et gouvernement, qu'ils disent du reste ne pas être les bienvenus aux obsèques prévues aujourd'hui samedi. Au parti de Ghannouchi, qui domine le pouvoir qu'il partage depuis 2011 avec deux petites formations laïques dont le parti de Moncef Marzouki, il est reproché une sorte d'alliance «tacite» avec le mouvement extrémiste des salafistes. Depuis la chute de Ben Ali et, davantage encore, depuis l'accession au pouvoir d'Ennahda, les salafistes multiplient les manifestations de violence à travers le pays. Tant au niveau des campus universitaires, des sites touristiques, dans la rue, etc. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, six mois après l'assassinat de Chokri Bélaïd, l'enquête officielle traîne encore. Jeudi dernier et hier vendredi, des manifestations ont éclaté un peu partout, notamment à Tunis et à Sidi Boussaïd d'ou est originaire Mohamed Brahmi avec, comme seule revendication, la chute du régime Ennahda. L'appel à la grève générale pour hier vendredi de la très puissante Union générale des travailleurs tunisiens, l'UGTT, pour dénoncer cet assassinat donne déjà un aperçu de ce à quoi pourraient ressembler les tout prochains jours. Un scénario à l'égyptienne ? C'est la hantise même d'Ennahda. Ce qui explique la célérité avec laquelle, cette fois, le ministre de l'Intérieur traite l'affaire. «Les premiers éléments de l'enquête ont montré l'implication de Boubakar Hakim, un élément salafistes extrémiste », annonçait, hier vendredi lors d'une conférence de presse, le ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou. Mieux encore, «l'arme utilisée pour abattre Mohamed Brahmi est la même qui a servi à tuer Chokri Bélaïd», ajoutera le ministre dans une sortie visiblement destinée à contenir la situation avant que cela ne soit trop tard. Dans un entretien accordé au quotidien français Le Monde, hier vendredi, le président tunisien Moncef Marzouki a catégoriquement écarté l'éventualité d'un développement «à l'égyptienne» arguant du fait que le consensus politique en Tunisie «est très fort». Seulement, en Egypte aussi, et avant que l'armée n'intervienne, c'était la rue qui s'était fortement liguée contre le régime islamiste des frères musulmans...