[email protected] Les praticiens du droit pénal se retrouveront sans grande difficulté dans le contenu d'un récent document issu de la réflexion engagée par le Parti socialiste français en vue de la réforme du système de réparation en vigueur. Le document élaboré à cet effet(*) dresse un «triste bilan de la décennie 2002-2012» dont la caractéristique principale est, comme chez nous, «l'hyper-pénalisation». «Détentions préventives automatiques et emprisonnements à tour de bras ont complètement dissipé la dimension éducative et correctrice de la peine. Il y a belle lurette que la liberté conditionnelle ou la semi-liberté ont disparu de notre pratique et de notre vocabulaire pénaux, avec toutes les incidences connues pour le justiciable : encombrement des juridictions, délais d'attente pour les victimes, surpopulation carcérale, etc.». Une situation très proche de celle que nous vivons. L'institution judiciaire est contaminée par les délits de masse caractéristiques des temps de crise et le «tout répressif» qui ignore superbement le terreau qui enfante ou nourrit le délit et le crime qu'on se propose de réprimer et, au-delà, d'éradiquer ou de prévenir. Le tout sur fond de lenteurs bureaucratiques, de passe-droits et de «deux poids deux mesures». Si la France se plaint de ce qu'elle se trouve dans l'impasse en matière «de moyenne et petite délinquance : les vols, les insultes et comportement inciviques, la consommation et le petit trafic de stupéfiants, les délits routiers, etc.», que devrions-nous dire alors, nous qui baignons dans un contexte où la violence structure tout, sous ses formes les plus extrêmes, allant du machisme à l'endroit des femmes jusqu'à l'arbitraire politique ? Si la prévention de la récidive – que n'altère apparemment pas l'état de nos prisons — est au cœur des dispositifs pénaux modernes les plus performants, force est de constater qu'elle est loin de constituer la ligne directrice de notre politique pénale, si tant est qu'il en existe déjà une, en dépit des efforts entrepris par le nouveau ministre de la Justice et que nous évoquerons plus loin. Tout comme en France, «la conception caricaturale et moyenâgeuse privilégiant le châtiment sur la réinsertion et érigeant la victime en figure vengeresse ne correspond ni aux attentes des citoyens, ni à la vérité vécue tous les jours par les professionnels. Les victimes d'infractions pénales doivent voir leurs droits respectés et reconnus et elles ont tout à gagner à une réforme des peines placée sous le signe de l'efficacité, plutôt qu'à des empilements de textes tels qu'on en connaît depuis une décennie». La réforme envisagée repose sur trois impératifs qui vont également comme des gants à nos besoins indigènes : 1. redonner du sens à la peine ; 2. privilégier l'individualisation des peines ; 3. garantir un parcours d'exécution de la peine de prison digne et pertinent. Redonner du sens à la peine, c'est sortir du tout répressif (de longues années de dure détention pour le voleur du portable de 1 000 dinars et le harraga sans autre perspective d'insertion ultérieure que l'immolation par le feu) pour cibler «le contenu de la peine, le travail entrepris avec le délinquant et son environnement, sur ses causes et ses conséquences, qui génère des effets de réinsertion». Il y a une alternative aux seules réactions policières et répressives, par ailleurs nécessaires pour peu qu'elles soient dispensées avec modération et légalement encadrées. Cette alternative repose sur la raison qui doit succéder à l'instinct de vengeance et à la colère, qui peuvent paraître légitimes lors du prononcé de la peine. Cette raison dicte une réinsertion du condamné et une prévention des risques de récidive. «La généralisation de la peine d'emprisonnement ne répond pas à ces objectifs. Son périmètre doit être revu, en envisageant de recourir à la contravention pour certaines infractions routières et de comportements addictifs, en développant des sanctions administratives plus rapides, plus simples et dissuasives à l'égard des délinquants «rationnels», par exemple dans les domaines du droit du travail ou de la concurrence. Faut-il encore rappeler que, en Allemagne, 80 % des condamnations sont des amendes – quand ce taux n'atteint pas un tiers en France ?» On dira que chez nous, c'est l'amende jusqu'à la ruine et la prison à vie... La seconde piste envisagée est de privilégier l'individualisation des peines. L'idée, ici, est de battre en brèche «la suprématie donnée à la prison ; il est indispensable de supprimer les mécanismes automatiques, au premier rang desquels les peines minimales automatiques dites «peines plancher», qui contraignent les juges à favoriser la prison (...) Individualiser, c'est permettre une intervention fine de la justice – du «cousu main» et non de l'abattage». On a déjà dit de nos hôpitaux qu'ils étaient des mouroirs et de nos écoles au mieux des garderies. Ajoutez-y des «tribunaux abattoirs» et vous aurez une part du décor horrible qui rythme notre quotidienneté. Les socialistes français envisagent la création d'une nouvelle peine « de probation, détachée de la notion d'emprisonnement, destinée à encadrer le mieux possible les personnes condamnées ayant le plus besoin de suivi, de contrôle et d'accompagnement». Troisième et dernier train de mesures envisagé : «Garantir un parcours d'exécution de la peine de prison digne et pertinent.» Sont concernées ici, en premier lieu, les conditions de détention dans des établissements pénitentiaires jugés «trop grands et conçus pour un niveau élevé de sécurité qui ne concerne qu'une petite proportion de détenus, alors que la majorité doit disposer de travail et d'activités dès la prison pour préparer leur retour à la vie normale et respectueuse des règles communes (...) Toute peine de prison doit faire l'objet d'une «sortie en sifflet» : les modalités peuvent être variées – libération conditionnelle, surveillance électronique, semi-liberté, placement extérieur... Systématisés, ces outils sont précieux et leur capacité à favoriser la sortie de délinquance a été largement démontrée». Quid de la situation chez nous ? M. Mohamed Charfi, ministre de la Justice, garde des Sceaux, insistait, lui aussi, dernièrement sur «l'humanisation des lieux de détention», avec «une attention particulière à l'application des programmes axés essentiellement sur l'enseignement et la formation professionnels». Il se félicite par ailleurs du système d'aménagement des peines «qui a permis à un nombre important de détenus de bénéficier des différents régimes prévus à cet effet : la libération conditionnelle, la semi-liberté et les permissions de sortie». Aussi, dans la perspective d'un accompagnement post-carcéral, «des services extérieurs chargés de la réinsertion ont été prévus par la loi et qui doivent accompagner les détenus désireux de se réinsérer, ce qui a permis, depuis 2005, à 7 402 d'entre eux d'intégrer le monde du travail». La pièce maîtresse du dispositif de réinsertion tient aux nouvelles dispositions qui modifient et complètent le code de l'organisation pénitentiaire et de la réinsertion sociale des détenus. Dénommé «régime intégral», le dispositif repose sur la volonté du détenu de préparer sa réinsertion sociale. Le régime intégral consiste notamment en la participation à la réalisation d'un projet économique et d'aménagement du territoire. Il offre ainsi plusieurs avantages : au condamné, «en lui offrant, à la fin de la peine, la possibilité, de reconstruire sa vie sur une terre qu'il aura contribué à mettre en valeur», et à la collectivité nationale, en participant au développement des régions du Sud par l'accroissement des superficies des terres arables, l'allègement des coûts de la prise en charge des détenus et la création de nouvelles opportunités d'emploi et l'exploitation de l'énergie solaire», selon M. Charfi. Le même régime prévoit aussi qu'une part des revenus du détenu soit réservée au paiement des réparations civiles. Au terme de l'opération de mise en valeur, «l'Etat peut soit permettre à la personne réinsérée de continuer l'exploitation d'une parcelle de terre au sein du périmètre mis en valeur, soit la faire bénéficier d'une quote-part d'usufruit, calculée au prorata du travail accompli ; ce qui est, par ailleurs, compatible avec les textes en vigueur régissant la mise en valeur des terres et l'exploitation des terres agricoles. La finalité de tout ce dispositif est d'enrichir les mécanismes existant depuis longtemps et visant à prévenir la récidive et à sécuriser la société». L'effort envisagé est, là aussi, de construire «une justice efficace et humaine, pertinente et répondant aux besoins de tous». A. B. (*) Jean-Jacques Urvoas - Jean-Pierre Sueur, Réforme pénale, une opportunité à ne pas manquer, note n°1 - Fondation Jean-Jaurès / Observatoire droit, justice, institutions- 22 août 2013.