Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Disserter sur l'école à la veille d'une rentrée des classes cela s'appelle, dans le jargon journalistique, commettre un «marronnier». Celui qui consiste à revisiter saisonnièrement un thème en essayant, tout de même, d'en actualiser les données. Exercice imposé par le déroulement normal de l'activité sociale il n'aurait, a priori, qu'un intérêt relatif à moins que derrière une tradition établie ne se profilent quelques signaux originaux. Ainsi celle qui, ce dimanche 8 septembre, invitera les potaches à reprendre leurs pupitres ne différera certainement pas des précédentes, quand bien même elle fut précédée d'un conclave des recteurs d'académies, placé sous les auspices d'un Premier ministre prolixe en promesses. «Ce sera l'année de la réforme», a-t-on décrété solennellement. Mais laquelle sinon celle de réformer la précédente en la soldant ou simplement de jouer sur le registre des correctifs ? Les experts dans la science de la pédagogie seront très vite sollicités pour donner leur avis et diagnostiquer la feuille de route d'un nouveau ministère qui, hélas, n'a que rarement convaincu les enseignants et les parents d'élèves. C'est que l'école algérienne n'a eu de cesse de reconduire les mêmes tares à l'origine de la dégradation de sa qualité. En moins de 20 années, elle est passée, effectivement, du statut du savoir à celui de machine à endoctriner. Aux ravages occasionnés par ce genre de conditionnement se sont greffées progressivement les revendications corporatistes qui ont achevé son délitement, même moral comme ce fut le cas du brigandage et de la triche lors du baccalauréat de juin dernier. D'une année à l'autre et de reconduction en reconduction des fausses thérapies, sa crise n'avait fait que s'amplifier au lieu de se résorber. La désagrégation de ses contenus pédagogiques, en se combinant avec la clochardisation matérielle et sociale des enseignants, achèveront le processus de son effondrement. L'empilement de ces dérives ayant connu deux pics significatifs en 2010 avec 14 semaines de grève et en 2013 à travers la gangrène de la fraude au baccalauréat ne semblent pourtant pas indigner outre mesure le pouvoir politique enclin, comme à son habitude, à choisir les solutions médianes au lieu d'aller vers la grande chirurgie de cette école. Celle qu'appellent de leurs vœux les parents et qui ne sera certainement pas au rendez-vous cette année-ci. Car, contrairement à ce qui s'est dit récemment en guise d'apaisement, les soins promis pour le système éducatif ne devraient pas se limiter au poids des cartables. Il est, en priorité, ailleurs. Là où il fallait forger de nouveaux concepts, donner du sens à la vocation de l'école puis lui fixer des objectifs afin de préparer l'avenir des générations et anticiper sur celui de la nation globalement. D'ailleurs, les universités algériennes, derniers bassins du cycle de formation, illustrent parfaitement l'étendue de ce désastre. Car tous les bidouillages successifs des pouvoirs politiques laxistes ont détruit la notoriété de celles-là et démonétisé, comme jamais, nos diplômes. En effet, le recours permanent aux demi-mesures infligées à l'enseignement de base n'a-t-il pas fini par altérer les critères de sélection sans lesquels nulle université ne peut se passer. Même ce qu'ils appellent «pragmatisme» avec beaucoup d'hypocrisie n'a-t-il pas transformé la relation ambiguë avec les marchands d'alphabet en chaudron de la contestation ? Incohérente sur le chantier pédagogique et manquant de clairvoyance dans le formalisme administratif, ce ministère résume à lui seul la mauvaise qualité de la gouvernance, tant il est vrai que l'iceberg scolaire est le baromètre le plus précis du progrès d'un pays. Incapable de mener une société à travers l'émergence d'une élite ou plus modestement d'impacter la formation professionnelle en fonction des besoins de son développement futur, l'Etat est condamné, comme on le sait, à la régression inéluctable. Or, le système éducatif, tributaire des enjeux politiques encore de nos jours, décline qualitativement à mesure que la pression démographique augmente, en termes de demande. En passe de devenir une école sans «lettres de noblesse», au sens imagé de la formule, elle demeure étonnamment une préoccupation secondaire pour le pouvoir. L'indétermination des centres de décision vis-à- vis de ce problème majeur du pays s'explique évidemment par le trou noir dans lequel se trouve actuellement le régime. Sellal, Premier ministre d'un chef d'Etat inexistant, obnubilé par son rôle de pompier de même que son ministre de l'Education qui, pour le cas, n'est qu'un fondé de pouvoir administratif, ne sont effectivement pas en mesure d'aborder en profondeur la grande refondation du système éducatif. Un chantier national pour lequel ils n'auraient aucune «qualification » dans l'immédiat. Au mieux, ils iront donc ce dimanche inaugurer, avec de grands sourires de l'humour déplacé et de gentilles accolades aux mioches en tablier, une rentrée semblable à celle qui l'a précédée. Un rite leur permettant de gagner du temps à leur profit mais de le perdre, par contre, pour cette école de plus en plus buissonnière.