[email protected] «Ya qatel errouh win trouh», cette sentence en forme de mise en garde, assortie d'une menace implicite, fait partie du b.a.-ba de notre culture. Elle interdit théoriquement la reproduction du geste de Caïn tuant son frère Abel, et ne sachant plus où cacher sa culpabilité et son remords. «Toi qui as tué une âme, où iras-tu ?» : combien de ces musulmans furieux, de ces «Attila»(1) qui ne ramènent que la paix des cimetières, s'en souviennent encore, comme d'un code divin intransgressible ? Aujourd'hui, une partie des musulmans, et ils ne sont pas majoritaires selon moi, regardent effarés, et apparemment impuissants, des crimes qui se commettent en leur nom et au nom de leur religion. Une autre partie, sans doute minoritaire celle-là mais jouissant de la complicité volontaire ou involontaire de la majorité, se livre au meurtre et à la destruction sans état d'âme apparent, mais en invoquant «des ordres venus d'en haut», du plus haut. La majorité qui ne dit rien, mais qui consent, quand elle n'approuve pas en catimini, proteste de son innocence, mais elle s'empressera de prénommer Oussama le futur nouveau-né. Les musulmans d'aujourd'hui réprouvent la violence, mais seulement lorsqu'elle s'exerce à leur encontre, ils détestent l'injustice, mais uniquement lorsqu'ils s'en sentent les victimes. Enfin, ils haïssent beaucoup plus ceux qui les tuent, directement en les bombardant, ou virtuellement par l'étalage de leur prospérité, que ceux qui les égorgent au petit matin, à la sortie de leur immeuble. Ce sont ces musulmans qui crient à l'islamophobie lorsqu'on les empêche, quelque part, d'arborer de façon ostentatoire, voire provocante, leur appartenance religieuse. Il ne leur est jamais venu à l'idée de regarder ce qui se passe (rait) sur le sol, si un quidam, ou deux ou dix, se promenait dans leurs rues, en arborant une kippa sur la tête, ou une grosse croix sur la poitrine. Ce sont ces musulmans-là qui chantent, à en devenir aphones, l'amour de l'humanité et leur désir de paix (voir tous les clips de ce genre en circulation) qui s'entretuent pour un penalty non sifflé ou un match perdu à cause de l'arbitre. L'arbitre qui peut incarner, pour un instant, les personnages les plus détestés de l'heure et qui peut être Obama, Assad, ou Sissi, selon les pistes marquées par les imams du vendredi. Ce sont ces musulmans qui prônent le bien et proscrivent le mal, en théorie, qui se laissent submerger par la haine et emporter par la violence, jusqu'à ne plus se souvenir du contenu réel du message coranique. Les exemples et les illustrations fourmillent et nous interpellent d'Irak, de Syrie, d'Arabie saoudite et, plus récemment encore, de Nairobi, avec cette attaque terroriste de soi-disant Shebabs, mot qui désigne les écervelés qui guerroient en Somalie et hors de la Somalie. C'est paradoxalement l'Arabie saoudite, là où toute cette violence a commencé, qui a connu une de ces manifestations, désormais récurrentes, de l'opposition des religieux à la ligne de Riyadh, concernant l'Egypte. Officiellement, le royaume wahhabite s'est démarqué de la mouvance des Frères musulmans, en appuyant le nouveau pouvoir, installé après la destitution de Morsi. L'Arabie saoudite, ainsi que les émirats du Golfe ont ainsi tourné le dos au Qatar, principal soutien de la confrérie égyptienne, qui continue néanmoins à avoir des soutiens au cœur du royaume wahhabite. C'est ainsi que le mois dernier, dans la banlieue de Riyadh, une mosquée, affublée du doux nom d'Al-Firdaous, a été le théâtre d'une bagarre entre les fidèles. Suite aux invocations de l'imam appelant le feu du ciel sur les cibles favorites du moment, Assad et Sissi, des prieurs égyptiens, sympathisants de Sissi, et il y en a, se sont levés pour arrêter les anathèmes provenant du minbar. Comme les Saoudiens présents dans la mosquée étaient eux en accord avec l'imam imprécateur, l'incident a dégénéré. Les faits auraient pu passer inaperçus, si les autorités n'avaient pas eu la bonne idée de suspendre(2) Hamed Al-Haqil, c'est le nom de cet imam va-t-en-guerre. Ce qui est évident aujourd'hui, c'est que la majorité des théologiens et imams arabes sont en phase avec le cheikh d'Al-Firdaous. Il y en a même qui mobilisent les ouailles islamistes autour de leurs rêves nocturnes ou des visions qu'ils auraient eues durant leur sommeil. Le plus exalté ou le plus fou de ces rêves est celui qui s'est propagé sur la toile et dont le cheikh «frère musulman» Djamal Abdelhadi aurait été l'auteur. Il a raconté qu'il y avait là un groupe de musulmans, parmi lesquels le Prophète en personne ainsi que l'ex-président Morsi. Au moment de la prière, le groupe s'est mis en rangs et a demandé au Prophète de diriger la prière. Ce dernier s'est récusé et a demandé à ses compagnons que ce soit Morsi qui dirige la prière à sa place (!!!!). Mieux encore, une autre prédicatrice des «Frères», Oum-Aymen, ou Aza Al-Badr, de son vrai nom, a raconté qu'elle avait vu Morsi chevauchant un cheval blanc et brandissant une large et grande épée, tout en criant : «Je vais revenir au palais, Aza, et je vais couper les têtes des traîtres.» Avec de telles sornettes, on en viendrait presque à regretter de ne pas être tombés sur l'Egypte, en match de barrage pour la Coupe du monde de football. Vous vous imaginez ce qu'on a perdu ! A. H. (1) Il y a des jours où l'on devrait réévaluer des termes comme «Fléau de Dieu», ou «Là où il passe, l'herbe ne repousse plus», et les apprécier à l'aune des dégâts innombrables commis par les «Fléaux» se réclamant de Dieu, qui ont sévi et sévissent après Attila. (2) Les imams de nos quartiers doivent participer activement à la dénonciation de la mesure administrative prise par les autorités saoudiennes contre l'imam anti-Sissi. Je suis sûr qu'ils auraient aimé que notre équipe de football tombe contre l'Egypte et qu'elle se fasse éliminer par elle, pour justifier une nouvelle campagne de haine.