Par Arezki Metref [email protected] Pour ne rien te cacher, je ne me sens rien à dire sur cette histoire de lièvre et de tortue... pardon, de 4e mandat, d'élection présidentielle, etc. A quoi bon, franchement, répéter les savantes fadaises de politologues qui lisent dans le marc de café, de politiques d'opérette et de chroniqueurs obnubilés par la position géostratégique du nombril. A contrario, j'ai lu avec délectation la charge cathartique, et combien lucide, de l'ami Abdelkrim Djaad paru dans ce même journal. Il nous rappelle les vertus thérapeutiques d'un journalisme cognitif et extraverti, qui s'intéresse à autre chose qu'à l'état du tout à l'ego. Rien à ajouter ? Il est tellement évident que, conformément à sa nature, un lièvre ne peut être qu'un lièvre, qu'il en devient superflu de vouloir le lever. Qu'est-ce qui motive un lièvre à se lancer dans la course ? C'est l'angoissante et risible interrogation que l'on se pose immanquablement, occultant de ce fait l'autre question, baroque et pourtant essentielle. A savoir, comment Dieu, peut-on oser comme ça, froidement, sans ciller, faire avaler à tout un peuple et au monde qui se gausse, qu'un homme âgé, HS, malade au point de ne pouvoir assumer le minimum de sa charge depuis des années, soit candidat – gagnant d'avance, évidemment — à un 4e mandat ? Du coup, ma foi, c'est nous qu'on prend pour des malades ! Des sortes de demeurés mentaux ! S'il se présentait même sur un grabat, il serait élu, ça ne fait pas un pli. Alors, le lièvre ? Sans doute cela vient-il de l'ambition légèrement mégalomaniaque d'individus pour qui la politique n'est pas une question de rapports de force, de conflits d'intérêts et de constructions de consensus entre êtres et forces rationnels, comme l'analysait déjà Aristote, mais quelque chose de métaphysique, où une forme de messianisme désigne les impétrants. J'y suis parce que c'est écrit, voilà tout ! Mon destin, qui me dépasse, me commande de... On connaît la chanson. Elle était déjà démodée il y a quelques millénaires ! Et encore, c'est la part noble de l'explication. L'autre ne l'est pas forcément. L'ambition, parfois puérile, complète souvent la nécessité du système de combler des vides par des candidatures adventices qui n'ont pas un iota de chance de passer. L'éphémère gloriole d'inscrire sur sa carte de visite la mention, «ancien candidat à l'élection présidentielle», vaut-elle l'humiliation d'accepter le pâle rôle de figurant sommé de chanter la gloire du vainqueur désigné d'avance ? Ce faisant, il faut une sacrée dose de résistance – d'anesthésie de l'amour-propre — ou une conscience aiguë de ses intérêts pour composer, en perdant programmé, avec un système qui allie en une parfaite harmonie, perversité, médiocrité et toutes formes de connivences. Pour ceux qui croient être autre chose que des lièvres, quelle outrecuidance de penser qu'ils feraient mieux que Bouteflika, un homme qui a biberonné au système, qui en connaît tous les plis, les replis, les pièges, les chausse-trappes et qui, bonne ou mauvaise, a une longue expérience de la politique ! Cet aplomb venant de candidats sans expérience des affaires politiques provient sans doute, au mieux d'une conception religieuse de la fonction de président de la République, au pire d'une dangereuse dépréciation qui fait croire que même un néophyte ferait mieux qu'un vieux roublard aguerri. Tout vaut tout, c'est la renverse ! N'allez pas en déduire que je suis pour Bouteflika ! Seulement, les nécessités du raisonnement me font apparaître cette évidence dans toute son absurdité. Nous en étions au système. Celui-ci a connu une terrible régression depuis 1999, lorsqu'on avait voulu donner pour lièvres à Abdelaziz Bouteflika des pointures comme Aït Ahmed, Hamrouche, Ahmed Taleb-Ibrahimi, etc. Pas dupes, ces derniers s'étaient retirés pour laisser l'aspirant roi, nu. S'ils étaient restés en lice, il serait de toute façon passé. Sans eux, il est quand même passé. La régression s'observe en comparant le pédigrée des candidats qu'on a voulu réduire à l'état de lièvres en 1999, et qui se sont rebiffés, à celui des lièvres d'aujourd'hui qui rêvent, eux, d'être de vrais candidats. A défaut de faire rêver, ils peuvent toujours rêver... ça ne mange pas de pain. Un mot sur Yasmina Khadra puisque tout le monde a dit le sien, et que visiblement le but est de faire le buzz. Objectivement, il faut reconnaître que ce ne serait pas le pire des candidats. Lui, président de la République, nous aurions au moins le plaisir d'entendre des discours bien écrits. Il a le droit bien sûr de se présenter. Peut-être même devrions-nous nous sentir honorés qu'un Algérien plus célèbre que l'Algérie condescende à présider aux destinées de ce pays. Yasmina Khadra a adopté une stratégie de communication pour gérer son image d'écrivain qui consiste à neutraliser toute critique en la mettant au compte soit d'un complot lorsqu'il y a convergence de plusieurs voix, soit de la jalousie. Il faut bien reconnaître qu'il est l'écrivain algérien le plus vendu de tous les temps. Il a dû vendre plus d'exemplaires d'un seul livre que tous nos monuments littéraires réunis – Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mammeri, Feraoun, etc.—. Pour autant, un auteur de best-sellers peut-il prétendre posséder le savoir-faire politique indispensable à la candidature à la gouvernance ? Dans un système démocratique où l'alternance au pouvoir se fait réellement par les urnes et par le débat public, nul ne peut prétendre à un mandat électif s'il n'a pas essuyé les plâtres de la cave au grenier. Pour se présenter à la présidence de la République, il faut aussi un jour avoir distribué des tracts, déployé l'activité ingrate au quotidien d'un militant, avoir mouillé le maillot dans le don aux autres. Dans les pays démocratiques, les candidatures d'artistes et d'hommes du spectacle surviennent souvent comme une note ironique. La formule de l'humoriste Coluche lorsqu'il a voulu se présenter à l'élection présidentielle de 1981, en résume bien la dérision : «Jusqu'à présent la France était coupée en deux, avec moi elle sera pliée en quatre.» Parmi ceux qui souhaitent la candidature de Yasmina Khadra, certains vont jusqu'à évoquer des écrivains qui, comme lui, ont brigué et parfois obtenu la fonction présidentielle. Peut-on le comparer à Vaclav Havel, militant aguerri dès l'âge de 16 ans, figure de l'opposition en Tchécoslovaquie, qui a passé une bonne partie de sa vie en taule ? Vaclav Havel était aussi l'un des principaux acteurs de la «révolution de velours» de 1989 qui a mis un terme au régime communiste. Il a incarné aux yeux de l'opinion mondiale l'idéal de liberté, et de résistance à un système d'airain. Quant à Mario Vargas Llosa, la seule chose que Yasmina Khadra pourrait avoir en commun avec l'écrivain péruvien, c'est qu'à l'âge de 14 ans le père de ce dernier l'a envoyé étudier à l'Académie militaire. Il en a d'ailleurs tiré la matière pour l'un de ses plus célèbres romans, La Ville et les chiens . Très vite, il quitte l'uniforme d'apprenti soldat pour étudier à l'université la littérature et le droit. A cette époque, donc très jeune, lui aussi, il milite au Parti communiste, inaugurant un engagement en politique qui a duré toute sa vie. Lorsqu'en 1990, il est battu par Alberto Fujimori à l'élection présidentielle à laquelle il s'était présenté à la tête de la coalition Frente democratico (Fredemo), ce n'était pas l'écrivain qui entendait compléter son palmarès. C'était le militant politique de longue date qui avait divorcé d'avec le communisme pour se tourner vers le libéralisme dont il défendait les valeurs à la direction du mouvement de droite Libertad. Je fais partie des gens qui prennent au sérieux la candidature de Khadra. A mon sens, on peut en décoder la raison, celle de donner une visibilité aux yeux de la presse internationale à un événement politique qui, sans lui, serait plutôt un non-événement. Pour autant, je crois qu'il n'est pas bon de considérer la politique, ce lieu où se joue le destin collectif, comme un terrain d'édification des narcissismes. Le bien commun et le respect des électeurs exigent des candidats un minimum de pudeur. Et de l'humilité. Beaucoup d'humilité.