Par Kader Bakou Le navire pris dans un violent courant marin dériva durant trois jours avant de se fracasser sur un cap rocheux. Les survivants se retrouvèrent sur une grande île apparemment inhabitée, sans possibilité de communiquer avec le monde. Par un étonnant hasard, les survivants sur cette «Arche de Noé» sont vingt femmes et vingt hommes. Le lendemain, ils organisent une réunion. Le capitaine du navire fait le point de la situation : «Avant la tempête, le bateau était à un millier de kilomètres au sud de l'Australie. Nous avons dérivé durant trois jours et trois nuits. Je pense que nous n'avons pas dérivé vers le Sud, c'est-à-dire vers l'Antarctique, car il ne fait pas froid sur cette île qui, à ma connaissance, ne figure sur aucune carte. Le navire est hors d'usage, et tous les canots de sauvetage sont perdus. Maintenant, nous devons nous organiser en attendant les éventuels secours. Ceci sans écarter la possibilité que nous allons terminer nos jours sur cette île», dit le capitaine. Un communiste russe proposa de déclarer bien commun toute l'île. Un capitaliste américain lui rétorqua qu'il vaut mieux diviser l'île en parcelles égales et à chacun de s'occuper de son territoire. «Ni Est ni Ouest, l'Islam c'est la solution», intervient un musulman qui voudrait appliquer la chariaâ. Parmi les survivants, il y avait un juif orthodoxe, des chrétiens dont un catholique qui plaide pour un nouveau Vatican, un bouddhiste, des laïcs, des athées, etc. Chacun avait sa propre idée de la «cité idéale». Les esprits s'échauffent. Les insultes et les accusations mutuelles fusent. C'est une cacophonie indescriptible. Certains allaient en venir aux mains. Le capitaine, sûr qu'il allait être l'homme du consensus, proposa d'élire d'abord un «chef» pour la nouvelle communauté. Cette proposition calma les esprits mais relança les débats (certains étaient pour une monarchie, d'autres pour une République...). «C'est à l'élu de choisir le type d'Etat», trancha le capitaine, qui bénéficie toujours d'une certaine autorité morale. Les premières élections sont organisées sur l'île. Tous les naufragés sont candidats. A l'ouverture des urnes (une caisse récupérée des débris du bateau), le résultat est sans surprise. C'est la démocratie absolue : chaque candidat et candidate a eu une voix, la sienne évidemment. Ceci donna l'occasion au communiste de revenir à la charge avec une proposition de «société sans classes», proposition rejetée une seconde fois. Un compromis fut proposé : les 20 femmes présenteront une candidate unique, et les vingt hommes un candidat unique. Beaucoup considèrent ce partage sexiste. «On peut trouver des hommes et des femmes qui ont les mêmes idées, les mêmes convictions et les mêmes religions, etc.», font-ils remarquer. Faute de mieux, la proposition «sexiste» d'un candidat et d'une candidate uniques fut adoptée. Le résultat (petite surprise) donna 19 voix pour la femme et 19 voix pour l'homme. Le capitaine proposa de rester provisoirement «chef» et de désigner ses «ministres» tout en promettant d'autres «élections présidentielles» dans les plus brefs délais. C'est la goutte qui fait déborder le vase. Une dizaine de gaillards se ruent sur lui, déterminés à le punir de cette «audace». L'île n'est pas déserte. Occupés à se chamailler, les naufragés n'avaient pas vu que des dizaines de guerriers les encerclaient. La première salve faucha le capitaine et une dizaine de naufragés, hommes et femmes. Les survivants sont pris comme esclaves. Les seuls rescapés sont un jeune, un homme et une jeune femme qui, maintenant, sont loin dans un canot de sauvetage qu'ils avaient secrètement réparé la veille. S'orientant sur l'étoile du Nord et faisant cap vers l'Ouest, ils atteignent les côtés sud-est de la Nouvelle-Zelande, trois jours et trois nuits plus tard. C'était eux les deux voix qui manquaient... K.B.