Ahmed Doum, un ancien militant de la cause nationale, vient de publier un ouvrage passionnant sur son parcours. Dans sa courte et belle préface, le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi relève que «ce qui frappe par dessus tout dans les propos de Doum, c'est la simplicité, c'est la sincérité...» Sincérité et simplicité sont, justement, deux parmi les ingrédients qui font un bon livre. Le lecteur est d'autant plus enclin à partager l'empathie du préfacier que celui-ci connaît parfaitement Ahmed Doum, son «ami depuis plus d'un demi-siècle». Selon le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi, le personnage possède trois principales qualités portées à un haut degré : le sens de la famille, le sens du devoir et le sens de l'amitié. Ce sont de telles «vertus cardinales» qui ont, depuis toujours, guidé son action. Ahmed Dourn est un militant intègre, un pur. Par exemple, rappelle l'éminent auteur, «au lendemain de l'indépendance, il dépose le harnais du militantisme qu'il avait endossé dès son jeune âge pour gagner le pain de ses enfants dans le secteur privé». Une fois accompli son devoir, Ahmed Doum s'est mis en retrait. Par discrétion et honnêteté. De La Casbah d'Alger à la prison de Fresnes, 1945-1962 s'annonce, par conséquent, comme un témoignage vrai, émouvant et très instructif. Un récit précieux. En ce qui concerne la genèse du livre, le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi fournit d'autres indications utiles. «C'est (...) à l'instigation de certains de ses amis de la première heure qu'il s'est décidé à écrire ses ‘'souvenirs'' il y a un an : leur publication sera certainement utile à l'historien de la révolution algérienne pour l'éclairage nouveau qu'ils apportent sur la contribution de l'émigration algérienne en France au Mouvement national et la rivalité FLN-MNA pour son contrôle en 1955 sur les conditions de vie des militants algériens dans les prisons françaises durant notre guerre de libération, sur les débuts de la Fédération de France du FLN tiraillée entre la délégation extérieure au Caire et Abane à Alger, etc.», souligne-t-il. Cet effort de mémoire a enfanté un ouvrage de 200 pages où le parcours individuel du militant se trouve en étroite relation avec la dynamique du mouvement national. C'est Voltaire qui disait que «ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire». Pour Ahmed Doum, les «souvenirs» ont aussi pour corollaire une prise de conscience bien précoce. Le natif de La Casbah d'Alger avait alors quinze ans lorsqu'il s'éveilla au nationalisme un certain 1er mai 1945 (il a vu le jour le 12 mai 1930). En février de la même année, il avait rejoint les Scouts musulmans algériens (SMA). Le scoutisme est déjà une école de nationalisme pour les jeunes Algériens, notamment ceux qui, comme lui, ont été exclus de l'école publique pour avoir dépassé l'âge de la scolarité obligatoire. Pour échapper à l'oisiveté, Ahmed Doum est apprenti-imprimeur. Le 1er mai 1945, à Alger, il assiste à une manifestation violemment réprimée. Une semaine après, il y eut les massacres de Sétif et du Nord constantinois. «Le 8 mai 1945 dessila les yeux et rendit l'espoir», note-t-il. L'adolescent adhère au PPA-MTLD. Au lendemain du congrès du MTLD de 1947, il est désigné responsable de la section Casbah et Basse-Casbah du parti. Dans ce premier chapitre consacré à son engagement politique en Algérie, le lecteur découvrira avec beaucoup d'intérêt le contexte de l'époque, la vie à La Casbah, l'épidémie de typhus en 1941-1942, les bombardements allemands, le débarquement des Américains et l'essor du marché noir, etc. Une multitude de détails, de noms, de lieux, d'événements, d'anecdotes ponctuent les vertes années du narrateur. Mis en appétit, le lecteur découvre avec un réel plaisir le chapitre deux. Ahmed Doum a vingt ans lorsqu'il part pour la France en août 1950. A partir de là et jusqu'au huitième et dernier chapitre, le livre retrace l'itinéraire et le combat du militant nationaliste depuis ses activités au sein de la kasma MTLD à Sochaux jusqu'à son incarcération à la prison de Fresnes en novembre 1956, puis sa libération en avril 1962, en passant par son adhésion au FLN en décembre 1954 et ses rencontres avec les cinq (Boudiaf, Aït Ahmed, Khider, Ben Bella et Lacheraf) à la prison de la Santé. Dans ce témoignage à vocation mémorielle et pédagogique, le narrateur apporte surtout un éclairage inédit sur le Mouvement national en France, la scission du MTLD, la première fédération du FLN (comité fédéral du FLN en France), la crise «berbériste», les Français qui ont aidé la révolution, le congrès de la Soummam, les étudiants algériens en France, la vie en prison, les histoires d'évasion, la Fédération de France du FLN, la libération, etc. Ahmed Doum ne cache rien, lui qui, pour paraphraser Baudelaire, a plus de souvenirs que s'il avait mille ans. Juste avant la fin du chapitre huit, Ahmed Doum rappelle un fait indéniable. Il écrit : «L'histoire retiendra quel a été l'apport de la Fédération de France du FLN à la révolution. Indépendamment de son énorme contribution financière, elle a payé le prix fort par les dizaines de milliers de ses militants interpellés, arrêtés, internés, emprisonnés ou condamnés à mort, dont les nombreux guillotinés ont transmis à la postérité le message pathétique de leur sacrifice.» Malgré cela, ajoute-t-il, «nombreux sont ceux qui n'ont pas obtenu la reconnaissance de leur participation au combat ni les honneurs et les droit qui s'y rattachent». C'est seulement en 1989, avec l'avènement du multipartisme et la loi sur les associations, que la Fédération de France est enfin réhabilitée. Le témoignage d'Ahmed Doum (cette tranche de vie caractéristique d'une période qui ne se reproduira plus, comme il le résume si bien) est, à cet égard, une précieuse contribution à l'écriture de l'histoire. Le lecteur est d'autant plus séduit que l'auteur, dans l'épilogue, juge bon de préciser que «l'ouvrage rapporte modestement ‘'l'histoire d'en bas'' avec le vocabulaire commun et les mots de tous les jours, sans autre prétention». Avec beaucoup d'humilité, Ahmed Doum rappelle qu'il voulait seulement informer, loin de toute «autoglorification». L'ouvrage, enrichi de documents photographiques et de coupures de presse de l'époque, est à lire absolument. Au moins pour se réconcilier avec son histoire et mieux connaître ceux qui l'ont réellement faite. Hocine Tamou Ahmed Doum, De La Casbah d'Alger à la prison de Fresnes, 1945-1962, Casbah Editions, Alger 2013, 210 pags.