Beaucoup d'indices montrent que les débats publics lors de la prochaine campagne présidentielle seront marqués par les affaires de corruption qui ne cessent de marquer l'actualité de ces trois dernières années. De nombreux citoyens, excédés par ces scandales à répétition et l'inertie du pouvoir en place, vont certainement interpellés les candidats sur leurs intentions à ce sujet. Parmi ces derniers, y en aura-t-il qui oseront évoquer, ne serait-ce que dans leur programme, la nécessité d'engager effectivement la lutte contre la corruption? Nous abordons ci-dessous les «failles» et les «oublis autorisés» dans la loi de 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, loi qui nécessite une révision. Le contenu de la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption traduit l'absence de volonté politique à lutter réellement contre la corruption. Elle contient de nombreuses insuffisances et des «omissions» par rapport à la Convention des Nations unies, et est donc en très net recul par rapport à cette convention. Donnons quelques exemples. Au sujet de la déclaration de patrimoine — l'on se rappelle la décision scandaleuse des députés en janvier 2006 de supprimer l'ex-article 7 qui prévoyait la déchéance du mandat ou la fin de fonction pour ceux qui ne déclarent pas leur patrimoine dans les délais. L'article 6 de cette loi qui énumère les fonctions et mandats sujets à déclaration ne comprend pas les chefs de l'armée, contrairement à l'ordonnance de 1997 qui le prévoyait. Qui a voulu faire ce «cadeau empoisonné» aux militaires ? Concernant la participation de la société civile, des associations et des ONG à la lutte contre la corruption tel que le recommande abondamment la Convention des Nations unies, l'article 15 de la loi algérienne est très restrictif à ce sujet et n'évoque pas du tout les associations, article qui reflète d'ailleurs les positions négatives sur cette question de la délégation algérienne lors des négociations de la Convention des Nations unies à Vienne de 2001 à 2003. Pour ce qui est de l'Organe de prévention et de lutte contre la corruption – le titre III de la loi lui est réservé (articles 17 à 24), l'affirmation de son indépendance est contredite dans le même texte, d'une part, par sa mise sous tutelle du président de la République, et d'autre part, par la relation de dépendance vis-à-vis du ministère de la Justice : l'article 22 oblige cet organe à soumettre à ce ministère les dossiers de corruption éventuelle à soumettre aux tribunaux ! Alors que pour rappel, dans les textes de feu l'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption (ONSPC) créé par le président Liamine Zeroual en 1996, cette contrainte de passer par le ministère de la justice pour saisir les tribunaux n'existait pas. La notion de protection des dénonciateurs et des victimes de la corruption est évoquée très largement par la Convention des Nations unies, la loi du 20 février 2006 lui consacre uniquement l'intitulé d'un article (45), mais l'article en question, et la supercherie est de taille, n'évoque pas du tout cette notion ! Plus grave encore, l'article qui suit (46) traite très sévèrement de la notion de dénonciations calomnieuses. A croire que les auteurs de cette loi ont voulu sciemment dissuader tout dénonciateur de corruption ou donneur d'alerte ! Déclarez vos patrimoines ! Même le rapport annuel de cet organe qui est remis au président de la République n'est pas rendu public : la transparence et l'information du public ne sont pas des préoccupations pour les auteurs de cette loi. Par ailleurs, les Algériens ne pourront pas directement s'adresser aux responsables de cet organe, contrairement à une disposition de la Convention des Nations unies qui encourage fortement cette relation directe des citoyens avec l'agence de lutte contre la corruption. Et enfin, situation cocasse et gravissime à propos de cet «organe», les auteurs du décret présidentiel le créant ont oublié de lui donner un nom ! Ils se sont contentés de le dénommer «organe» (article 1er) avec un «o» minuscule. Plus grave, cet «organe», installé 6 longues années après sa création, demeure totalement absent sur le terrain. Autre omission de taille : la notion de «droit à l'accès à l'information» pour les citoyens, largement abordée dans la Convention des Nations unies, est totalement absente de la loi algérienne. Au vu de cette énumération des graves insuffisances et des restrictions contenues dans la loi du 20 février 2006, nous sommes en droit de nous interroger pourquoi a-t-on fait une très mauvaise loi et qui est derrière ? S'agissant des textes d'application de cette loi, en fait trois uniquement, signés le 22 novembre 2006 par le président de la République, ils s'inscrivent dans la même voie. Le décret présidentiel régissant l'Organe de lutte contre la corruption contient les mêmes aspects négatifs évoqués plus haut. Les deux autres textes sont relatifs à la déclaration de patrimoine : le modèle de formulaire et les modalités de déclaration pour les agents publics non prévus par l'article 6 de la loi du 20 février 2006. A noter que le processus de déclaration de patrimoine est complexe, insuffisamment détaillé, les catégories de déclarants sont multiples, et la multiplicité des niveaux de gestion des déclarations va encore davantage compliquer la situation. Il faut aussi relever que là aussi les auteurs du décret présidentiel ont rédigé des dispositions surprenantes, notamment en matière de dépôt des déclarations (article 2 du décret du 22 novembre 2006) : ils ont inventé la notion de «délais raisonnables» ! Extrait de l'article en question : «La déclaration est déposée par l'autorité de tutelle ou hiérarchique, contre récépissé, auprès de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, dans des délais raisonnables.» (JO n°74 du 22 novembre 2006). La crédibilité des candidats à inscrire la lutte contre la corruption dans leur programme se mesurera notamment à leur volonté de réviser la très mauvaise loi de 2006.