Par Kader Bakou Beaucoup de ressortissants d'Afrique subsaharienne travaillent comme cordonniers à Alger. Ces jeunes «Africains» (nous sommes tous des Africains), qui exercent ce métier souvent dans la rue, ont, paraît-il, beaucoup de «succès» auprès de la gent féminine. On les voit souvent «bien entourés» de femmes qui, assises sur des petites chaises ou des tabourets, discutent en français avec eux. Les hommes qui passent ont, parfois, des réactions désobligeantes du genre : «Khobz eddar yaklou el berrani» (le pain domestique est mangé par l'étranger). Ces femmes d'Alger se sentent à l'aise parce que, enfin, elles se trouvent en face d'un homme éduqué et poli qui les respecte et qui n'essaye pas de les baratiner ou de les draguer. Cette femme est décontractée parce que son interlocuteur n'est pas du genre à proférer des calomnies à son sujet dès qu'elle a le dos tourné. Ces jeunes cordonniers d'Afrique noire considèrent les femmes comme un être humain, tout simplement. L'écrivaine Djemila Benhabib a bien résumé le calvaire de la femme chez nous. «Lors d'une interview télévisée, une journaliste québécoise m'interrogeait sur mon cheminement pour essayer de cerner le sens qu'avait pris pour moi le mot liberté alors que je venais de quitter l'Algérie pour la France en août 1994, puis pour le Québec trois ans plus tard. Alors, la liberté, comment se décline-t-elle ? ‘'Marcher librement dans la rue'', ai-je répondu spontanément. ‘'Mais encore ?'' me demandait la jeune et ravissante blonde tout en me scrutant de ses petits yeux verts.» «Face à la banalité de mon propos, je sentais le désarroi gagner la voix de mon interlocutrice», a écrit, dernièrement, l'auteure de l'Automne des femmes arabes. C'est si difficile que ça pour une femme de marcher librement dans la rue en Algérie ? «Bien que j'aie étudié la physique quantique à l'université d'Oran et que j'aie jonglé avec les équations différentielles, je ne rêvais ni de danser entre les étoiles ni même de valser dans la soupe atmosphérique. Rien ne m'aurait rendu aussi heureuse que la possibilité d'humer une bouffée d'air sur une terrasse, seule. Seule, sans tutelle, sans un homme. Ce bouclier que j'avais taillé sur mesure pour repousser les regards inquisiteurs des autres hommes qui me ramenaient constamment à ma condition de boule glandulaire», écrit encore Djemila Benhabib. Que risque la femme qui «ose» sortir dans la rue sans un «bouclier protecteur» ? «Par moments, il m'arrivait de délaisser mon ‘'protecteur'' et de n'en faire qu'à ma tête, me glissant entre les tables d'une terrasse, seule. Les remarques désobligeantes de quelques badauds, leurs regards insistants, leurs crachats, les petits cailloux qu'ils me lançaient à la sauvette à quelques rares occasions me donnaient une frousse terrible et les mains baladeuses de quelques salopards me faisaient regretter la légèreté de mon geste. À chaque fois, je me promettais de ne plus tenter le diable et à chaque fois je recommençais (...) Clouée à ma chaise, j'étais tel un chat sauvage, en alerte permanente d'un éventuel assaut, somme toute, prête à parer à n'importe quelle éventualité.» Voilà le calvaire de la femme chez nous, dans notre «société conservatrice». K. B.