Ils sont environ 3 000 enfants à être abandonnés dès leurs naissances annuellement en Algérie. L'accouchement sous X, une procédure légale qui reconnaît à l'enfant sa filiation biologique et lui refuse sa filiation parentale. Une association «Enfants innocents» vient de recevoir son récépissé d'agrément. Permettre aux enfants nés de relations hors mariage ou d'accouchements anonymes de se structurer. Va-t-il aussi leur donner droit d'accéder à une reconnaissance parentale ? Atteint l'âge de 18 ans, l'enfant né sous X a le droit d'accéder à son dossier et ses coordonnées de naissance auprès de la DAS, Direction de l'action sociale. Cependant, l'accès aux origines personnelles et l'identité des parents biologiques ne donnent pas le droit à ces enfants de réclamer la reconnaissance parentale. Maître Fatima Benbraham explique qu'un enfant né sous X est un enfant dont les parents sont inconnus. «La mère donne la vie à l'enfant mais ne lui donne pas de nom et rien ne l'oblige à laisser ses coordonnées. C'est d'ailleurs le but de l'accouchement sous X, la femme a le droit de ne pas donner son identité. Dans les cas d'enfants nés sous X, quand la mère ne connaît pas ou ne veut pas révéler l'identité du père, elle à deux solutions, soit elle lui donne son nom, à elle, soit elle refuse et l'enfant est enregistré sous X», explique cette avocate qui précise que cette procédure est basée sur une loi de droit français. Le problème de ces enfants, dit-elle, c'est que l'enfant a droit à la filiation, une fois qu'il retrouve ses parents, mais il n'a pas droit à l'identité. «L'enfant peut établir qu'il est l'enfant de X ou de Y mais il ne peut pas avoir cette identité et ceci même si les parents le veulent». Maître Benbraham explique qu'il y a une différence entre la filiation dont le concept est de prouver que vous portez le sang de votre géniteur et la paternité qui, pour porter le nom de ses géniteurs, la loi exige que ces derniers soient mariés. La filiation parentale, estime l'avocate, est un droit qu'on continue de refuser à l'enfant. Pourtant avec la méthode scientifique qui est l'ADN, on peut facilement prouver sa filiation, or, explique maître Benbraham, cette demande est laissée à l'appréciation du juge. L'article 40 du code de la famille donne le droit au juge de recourir aux méthodes scientifiques mais uniquement si ce dernier le désire. L'avocate estime qu'il est temps de faire de ce concept scientifique une obligation pour permettre aux enfants ou aux parents qui le veulent de reconnaître et donner leur filiation parentale. Sur ce sujet, une association «Enfants innocents» vient d'être créée. Son objectif : la prise en charge des préoccupations de l'enfance abandonnée mais surtout donner une aide légale à cette catégorie. La présidente de cette association, Tamer Ouahiba, née elle aussi, sous X, explique qu'elle veut lutter pour la suppression de la mention «X». «Nous avons tous des parents quelque part, même s'ils sont inconnus pour nous. Pourquoi nous nommer d'enfants X, alors que même un arbre à ses racines», dénonce-t-elle. Pour elle, ces enfants payent le crime dont ils ne sont pas responsables. Tamer Ouahiba, née sous X, témoigne Née en 1967 dans la wilaya de Blida, Ouahiba, âgée aujourd'hui de 46 ans, a été accueillie par la DAS de la wilaya d'Alger. Ouahiba n'a pas tardé à trouver une famille adoptive. Une nourrice du centre l'a prise chez elle alors qu'elle avait encore quelques mois. Jusqu'à l'âge de 14 ans, Ouahiba surnommée Nadira, par la femme qui l'a accueillie chez elle, pensait avoir été élevée avec ses cinq frères et sœurs au sein de sa propre famille biologique. Son drame, raconta-t-elle, commença lorsque, pour pouvoir passer son BEM, son école lui demanda un extrait de naissance. Ce formulaire lui ouvre alors les yeux sur une vérité «amère» qu'elle ignorait et dont sa mère adoptive a essayé de la préserver jusque-là. Ouahiba ne réussit pas à présenter son extrait de naissance, cette fois-ci, et a dû abandonner ses études. «Mes professeurs ont tenu un conseil de classe et c'est là que l'un d'eux qui était mon voisin les informa que j'étais une enfant adoptive et mon professeur de français m'informa que je ne pourrais pas passer mon examen n'ayant pas un extrait de naissance». Ouahiba dit avoir été voir sa mère pour lui demander des explications. Mais cette dernière continuait de dire que cet enfant était le sien. «J'ai appris par la suite que durant toute ma scolarité, ma mère achetait des extraits de naissance et les remplissait pour me cacher que je n'étais pas sa fille. Or, moi depuis ce jour j'ai refusé de reprendre les cours», raconta cette jeune femme. La vérité éclata, cependant, le jour de la mort de la mère adoptive. «J'ai entendu ma tante dire en pleurant que ma mère est morte sans avoir eu un enfant pour la pleurer, mais je n'ai eu la preuve de cette vérité amère que lorsque mon père, perturbé, et sans se rendre compte, m'a remis le livret de famille et me demanda de le cacher. Ma curiosité a pris le dessus et j'ai feuilleté le livret et c'est là que je me suis rendu compte que le livret familial ne contenait aucun nom d'enfant». Ouahiba continua sa vie routinière en s'occupant de ses frères et sœurs jusqu'à l'âge de 18 ans. «Mon frère aîné a décidé de se marier et quelque temps après, sa femme ne voulait plus de moi à la maison, je me retrouve alors dans la rue». Ouahiba dit avoir eu de la chance. Deux familles du voisinage l'ont accueillie et lui évitèrent de passer ses nuits dehors. L'une d'elle finit par l'adopter. «Ma nouvelle famille adoptive ma acceptée chez elle mais à condition que je réussisse à avoir mes papiers. Finalement, j'ai pu avoir mon extrait de naissance auprès de la DAS». Ouahiba a, certes, eu de la chance d'avoir trouvé des familles qui lui ont permis d'avoir une éducation et des gens qui l'ont aidée à chercher son identité sans jamais la trouver, mais ils sont des milliers à ne pas avoir accès à ce privilège. «Nous vivons avec des points d'interrogation durant toute notre vie, nous demandons nos droits en tant que citoyens algériens. Barakat des enfants abandonnés», dit la jeune femme qui espère réussir à changer le regard de la société envers cette frange. Loin de désespérer du fait qu'elle n'a pas réussi à retrouver ses origines identitaires, Ouahiba se reconnaît en ses deux mères adoptives. «Ce sont elles mes mères biologiques», clame-t- elle.