Par Kader Bakou C'est un ancien étudiant en URSS, mais ses amis l'ont surnommé le «Touriste», parce que, en cette année de 1994, il est retourné en Russie en voyage touristique. Tout a changé dans le pays. Lui, il a la nostalgie de l'Union soviétique. Il n'y a plus d'étudiants algériens dans cette ville du nord de la Russie, mais il a fait connaissance avec une dizaine d'anciens étudiants algériens restés en Russie après leurs études. Cinq de ces Algériens se sont associés avec un Marocain pour ouvrir un restaurant. La nuit, à partir de 22h 30, le resto devient pratiquement une discothèque. Le «Touriste» a pris l'habitude d'aller veiller jusqu'aux environs de minuit au restaurant de ses nouveaux amis, l'étudiant marocain et les anciens étudiants algériens. Au sud de la Russie, en Tchétchénie, la guerre fait rage. Près de cette ville du nord de la Russie se trouve un aéroport militaire. Par une soirée glaciale, des soldats russes font leur entrée dans le restaurant. La plupart sont mal rasés. L'officier qui commande le groupe de soldats va discuter avec le Marocain. «L'officier m'a expliqué qu'ils sont venus par hasard dans notre restaurant. Il m'a aussi expliqué que c'est leur dernier jour ici. Demain, ils vont prendre l'avion pour la Tchétchénie. J'espère que tout va bien se passer ce soir», confie le Marocain au «Touriste». Une heure plus tard, tout le monde, civils et militaires, hommes et femmes sont plus ou moins ivres. Le «touriste» est certainement le seul qui n'a rien bu ce soir. Lui aussi est un peu inquiet. Il imagine un soldat ivre qui se met à crier : «Vous, vous dansez avec nos filles chez nous ici. Alors que nous, dès demain, nous serons en Tchétchénie où vos coreligionnaires vont nous tirer dessus.» Vers minuit, les soldats sont partis et il ne s'est rien passé. Un jeune civil russe s'approche du «Touriste». Il avait un peu trop bu. «Je vous félicite. Vous avez bien accueilli ces soldats, tout en sachant qu'ils vont partir en Tchétchénie», dit le jeune Russe à l'Algérien. «Mais nous ne sommes pas des Tchétchènes, nous sommes des Algériens», répond le «Touriste». «Je sais, mais vous êtes musulmans comme les Tchétchènes. Moi, par exemple, je suis chrétien orthodoxe et je suis solidaire avec la Serbie», lui dit encore le jeune civil russe. Ce soir-là, l'Algérien musulman est resté silencieux ne sachant pas quoi dire ni quoi penser. Mais aujourd'hui, il aurait ainsi répondu au jeune «provoslave» (chrétien orthodoxe) : «Cher frère chrétien orthodoxe, que soient maudites ces forces du mal qui ont poussé des musulmans et des chrétiens à s'entretuer en Tchétchénie, en Yougoslavie et ailleurs dans le monde !» K. B.