Par Leïla Aslaoui-Hemmadi Il n'est pas dans mes habitudes et mon éducation familiale de prendre pour cibles les malades, surtout lorsqu'ils sont handicapés. Cependant, je me considère aujourd'hui déliée par cette obligation suite à l'annonce de la candidature de Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle prévue le 17 avril 2014. Une déclaration, faut-il le rappeler, faite par procuration puisque c'est Abdelmalek Sellal, Premier ministre, mais surtout directeur de la commission électorale, qui a informé l'opinion à partir d'Oran. Vive la neutralité ! Bien entendu, je suis consciente que mon opposition au quatrième mandat ne saurait arrêter le train infernal puisque «l'élection est en pilotage automatique» (Quotidien d'Oran 23/02/2014). Mais je refuse de me taire car ce n'est pas pour l'Algérie du quatrième mandat que sont morts à la fleur de l'âge nos chouhada. Ce n'est pas pour l'Algérie du quatrième mandat que se sont battus ceux qui ont survécu à la torture, l'emprisonnement et les balles de l'ennemi. Je refuse de me taire parce qu'il me serait pénible demain de croiser le regard réprobateur de mes petits-enfants qui me reprocheraient de n'avoir rien dit. Tandis que leur avenir et celui de tous les enfants de leur âge et de leur génération sont d'ores et déjà hypothéqués. Tragiquement hypothéqués. Je ne me tairai pas enfin, parce que face au clan présidentiel provocateur et irresponsable détenant le pouvoir, — plutôt tous les pouvoirs — l'unique réponse qui me vient à l'esprit est : «Basta» ! Oui «Basta» de nous humilier en nous couvrant du sceau de la «débilité». Une fois de plus mais surtout une fois de trop. La maturité du peuple algérien, son courage et sa patience inégalée ne signifient aucunement qu'on peut le tromper à l'infini. Ou qu'on puisse lui faire avaler des couleuvres sans cesse. Précisément, cette fois-ci, l'on a poussé le bouchon trop loin. Qu'on en juge : L'annonce de la candidature de Abdelaziz Bouteflika a été accompagnée de cette précision faite par Abdelmalek Sellal : A. Bouteflika ne fera pas lui-même la déclaration officielle de sa candidature. Celle-ci consistera «en un écrit qui sera lu par un haut responsable». (Sellal). Les «débiles» que nous sommes devons alors comprendre que c'est le choix de Abdelaziz Bouteflika. Une coquetterie présidentielle, ou un caprice, optant pour l'écrit plutôt que l'oral. Dieu Tout-Puissant serions-nous aussi stupides et aussi méprisables pour accepter et croire de telles balivernes et de telles salades ? Comment imaginer, comment admettre que Abdelaziz Bouteflika qui adorait, durant son premier mandat, haranguer les foules d'une manière souvent théâtrale en parlant durant de longues heures, se priverait soudainement de ce plaisir ? Pourquoi le tribun qu'il fut s'adresserait-il à son peuple par «communiqué» ? La réponse est simple et nous la connaissons : il ne peut plus parler à son peuple. Et s'il n'est pas atteint d'aphasie et qu'il peut parler, qu'il le fasse donc ! «Puisqu'il serait en parfaite santé» (Premier ministre). Mais il ne le pourra pas. Depuis combien de temps ne s'est-il pas adressé à la nation ? Depuis combien de temps ne l'avons-nous pas vu ? Que d'occasions où il aurait dû s'exprimer ont été manquées par lui ! La plus récente étant son message de condoléances écrit, adressé aux familles des victimes du crash d'Oum-El-Bouaghi. Alors même qu'il aurait pu, puisque «en parfaite santé» s'adresser à elles (les familles) à la télévision. Mieux encore, il aurait pu se déplacer sur les lieux du drame. Il aurait dû et non aurait pu. Mais il ne l'a pas fait parce que des images télévisées nous ont fait comprendre qu'il ne pouvait plus se déplacer ni parler d'une voix audible. Celle dont il faisait ce qu'il voulait en 1999. Voici donc comment débutent les préparatifs de la candidature de Abdelaziz Bouteflika : 1) une annonce par procuration, 2) une déclaration écrite lue par un autre. Candidature par procuration ou candidature fantomatique ? Aussi, préalablement à l'annonce de la candidature, il nous faut avoir à l'esprit que contrairement aux déclarations tonitruantes sur la santé de Abdelaziz Bouteflika, qualifiée de «parfaite», celui-ci devra d'abord répondre à cette question aussi simple que claire : quelles sont ses capacités physiques et intellectuelles ? C'est notre droit de le savoir, c'est son devoir d'y répondre. L'Algérie n'est pas la propriété d'un clan ou d'une fratrie. C'est notre pays à tous et nous sommes nombreux —contrairement à d'autres — à ne posséder aucune autre patrie de rechange. Puisque Abdelaziz Bouteflika est en «possession de tous ses moyens physiques et intellectuels» (A. Sellal) peut-on nous dire comment aphasique, il prêtera demain serment s'il ne venait qu'à être élu ? Face à un parterre d'invités nationaux et internationaux, comment reprendra-t-il les termes de l'article 76 de la Constitution lu par le président de la Cour suprême ? Est-ce un «haut responsable» qui prêtera serment à sa place ? Il est vrai qu'une violation de plus ne gênera guère le clan présidentiel. Mais nous, citoyens, ne méritons-nous donc qu'un président-fantôme ? Exposer notre pays à tous les dangers aussi bien internes qu'externes est-ce responsable ? Est-ce sage de la part d'un homme, qui, aujourd'hui fatigué et usé par la maladie, aurait dû choisir une sortie honorable par la grande porte ? Une sortie à la mesure des fonctions qu'il a assumées durant quinze ans. Une sortie digne de l'Algérie de Larbi Ben M'hidi et Djamila Boupacha, une sortie à la mesure des propos tenus une fois par A. Bouteflika à Sétif : «Nous sommes une génération révolue.» (tab djnanou). Bien entendu, j'entends déjà ceux qui me diront que la machine est huilée et que les urnes seront bourrées comme en 1999, 2004 et 2009. Comment ignorer ce paramètre ? Pour autant si nous unissons nos voix pour crier haut et fort qu'il est exclu que nous acceptions un président-fantôme qui se cachera cinq autres années parce que malade et diminué la tâche de Abdelaziz Bouteflika ne sera pas aisée. De la même manière qu'il ne maîtrise plus rien, pour quelles raisons cela changerait-il ? Nous ne savons même plus aujourd'hui qui parmi le clan présidentiel concocte, ordonne, décide, paraphe ? Est-ce véritablement l'homme fatigué dont le regard est totalement absent et que l'on a vu à la télévision maintes fois assis et seulement assis ? Est-ce un de ses proches ? Et c'est cet homme, nous dit-on, que la société civile aurait réclamé pour un quatrième mandat. Quelle société civile ? Celle de ses proches ? de sa fratrie ? de ses courtisans ? Ceux-là, nous comprenons fort bien que, nantis de leurs privilèges, de leurs passe-droits, de leurs scandales, de leurs postes, de leur rente, ils ne veulent surtout pas voir se tarir la source qui les abreuve. Mais les autres, tous les autres Algériens, plus nombreux que les rentiers, Abdelaziz Bouteflika, sait-il au moins qu'ils veulent être dirigés par un homme qui leur parle, et non par un Président coupé de son peuple, voire du monde parce que malade ? Très malade. Dès lors, pour quelles raisons s'accroche-t-il ainsi au pouvoir ? (ou veut-on qu'il s'accroche) Pourquoi un quatrième mandat ? — Pour permettre à ceux qui ont déjà saigné l'Algérie de la mettre définitivement à genoux. — Pour leur permettre de semer le chaos là où ils seront. Le chaos et la division. A moins que ce quatrième mandat soit le prétexte rêvé de réviser la Constitution et de créer la vice-présidence. Qui alors A. Bouteflika choisira-t-il pour assouvir totalement sa profonde frustration de n'avoir pas été coopté en 1979 ? Mais enfin ne s'est-il pas suffisamment vengé durant quinze ans ? Pourquoi donc un quatrième mandat ? Est-ce pour ouvrir le champ politique ? Non. Est-ce pour permettre à l'Ecole de devenir performante ? Non. Est-ce pour œuvrer en faveur de l'indépendance de la justice ? Non. Est-ce pour prendre en charge sérieusement le dossier santé ? Non. Est-ce pour relancer l'économie qui stagne ? Non. Non et non... chimères que tout cela ! Avec une embellie financière inespérée, Abdelaziz Bouteflika aurait amplement eu le temps de faire ce qu'il aurait dû faire et qu'il n'a pas fait. Durant son premier mandat, il a beaucoup parlé et beaucoup voyagé à l'étranger. Durant ses second et troisième mandats, il s'est enfermé dans un mutisme total et nous sommes sans président et sans gouvernail depuis 2006, c'est-à-dire bien avant son accident vasculaire cérébral. Alors puisqu'il n'a pas fait ce qu'il se devait de faire, que fera-t-il avec un quatrième mandat ? Rien, absolument rien. Si ce n'est avantager et privilégier sa fratrie et ses larbins. Avec des scandales financiers à répétition. Et qu' l'on ne nous rebatte plus les oreilles avec «A. Bouteflika, l'homme qui a ramené la paix». Faux et archi-faux. L'Armée nationale populaire fut l'unique artisane de la reddition des groupes armés islamistes. A. Bouteflika en a tiré les dividendes. Par contre, les familles des victimes du terrorisme islamiste ont eu à subir sa paix à lui. Avec sa charte qui a amnistié et glorifié les terroristes islamistes. Alors pourquoi ce quatrième mandat alors même que le candidat-président ne sera pas capable de mener sa campagne électorale et de s'adresser aux foules ? Pas même de débattre avec un autre candidat à la télévision. Ce sera une campagne par procuration. (encore une !). Ce quatrième mandat a été décidé dans l'unique but de brouiller, comme en 1999 (lorsque tous les candidats s'étaient retirés) comme en 2004 et 2009, l'élection de 2014, par ailleurs, décisive pour le pays. Un quatrième mandat pour empêcher les citoyens de porter leur choix sur un autre candidat. Un quatrième mandat par lequel Abdelaziz Bouteflika nous transmet ce message : «Je ne suis plus capable de jouer mais mes frères et mes courtisans joueront pour moi.» Un quatrième mandat ? Comme l'a fort bien exprimé le colonel Chafik Mesbah (Soir du 23/02/2014) «le clan est capable de mettre le pays à feu et à sang». Un quatrième mandat ? Le pouvoir de la rente, le chaos et des jours sombres pour l'Algérie. Quatrième mandat ? Sitôt après l'annonce, la terre a tremblé dans quelques localités algériennes. Quel présage !