Grand explorateur des espaces infinis de l'art pictural, voyageur au long cours en art plastique, Nadir Remita fait aujourd'hui escale à Alger. Il y présente «L'écho des périples», une passionnante exposition qu'abrite la galerie Art 4 You jusqu'au 15 mars. L'intitulé de l'exposition résonne discrètement, comme les pas de l'artiste. Car lui est déjà reparti à Annaba (ou alors dans sa ville de Constantine ?) sur la pointe des pieds. Mais peut-être aussi l'énigmatique personnage n'est-il jamais venu ? Aucune importance, il laisse derrière lui ces toiles troublantes qui interpellent le visiteur. Il ne reste qu'à suivre les traces de ses pas, bien visibles dans cette suite de scènes témoignant de ses pérégrinations. En tout, une trentaine d'œuvres (dont sept en grand format) qui se distinguent par leur raffinement artistique et leur richesse chromatique. Nadir Remita a, cette fois encore, composé une chorégraphie harmonieusement rythmée. La découpe en scènes est traversée par une action présente et continue, ce qui rend chaque tableau un épisode vivant. Ici les toiles chantent la vie en mouvement, elles répercutent les mouvements de la vie et les propagent au-delà d'un espace temps ouvert à l'infini. Et d'abord, quelle magnifique chorégraphie que les ballets exécutés élégamment par tous ces corps d'arabesques ! Au premier plan, en particulier, les entrelacs de l'art arabe alternent et multiplent les figures de danse. Comme au théâtre, la perspective dévoile ensuite les décors et la toile de fond. Par le miracle de la calligraphie arabe et de l'art de la sémiotique (il y a là d'autres motifs, des signes berbères...), tout ce qui tisse et peuple l'arrière-fond des tableaux participe, à son tour, de la vivacité renouvelée. Cela forme un mouvement d'ensemble, lequel, transposé dans l'univers de l'artiste, c'est-à-dire dans une sorte d'espace temps onirique, invite à partager une expérience émotionnelle rare. Le visiteur succombe volontiers à la tentation. Il pressent beaucoup de choses à découvrir, de nouvelles sensations, des mystères à déchiffrer. Pareil télescopage des signes, des couleurs et du sens (des sens), au demeurant fort bien ordonné et architecturé par une subtile mise en forme, engendre le trouble auquel le même visiteur se retrouve exposé. C'est ainsi que les échos des traversées de Nadir Remita, dans et hors du temps, rendent audible ce que l'œil peut enfin écouter. Un face-à-face qui donne à voir l'invisible, au-delà des frontières du réel... L'art de Nadir Remita pétille dans ces calligraphies contemporaines. Il éclate dans ces lettres tourbillonnantes, sortes de derviches tourneurs virevoltant et psalmodiant la parole sacrée. Elles expriment une quête métaphorique renouvelée, un cheminement poétique intérieur que le peintre s'ingénie à réinventer. Ombres gardiennes de la grande maison dont elles ont la clé, elles ponctuent un itinéraire dont certaines haltes — intermèdes salutaires à l'interminable errance du caravanier — favorisent le repos de l'âme. C'est dans l'atmosphère bienfaitrice de l'oasis, quelque part dans un coin paisible de la médina, faite d'un dédale inextricable de ruelles et de culs-de-sac, que le voyageur se laisse aller à la méditation. Mysticisme et questionnement existentiel. La mémoire s'aventure loin dans le passé, aussitôt rattrapée au présent. Les couleurs parcheminées qui teintent délicatement les toiles prolongent le songe en devenir. Ce palimpseste de la mémoire est à la fois évocation et invocation d'un monde pas totalement disparu. En témoignent toutes ces cicatrices qui ravivent les blessures et les douleurs des lointains exils. Est-ce pourquoi l'artiste persiste à rouler son rocher de Sisyphe ? A chercher encore et toujours l'explication, ce que Hugo appelle «la grande énigme humaine et le secret du monde» ? La réponse est peut-être dans ce grand tableau qui semble égaré parmi toutes ces acryliques et ces huiles sur toiles aux couleurs passées. Il y a ici toutes les nuances du rouge, dont celle du feu ardent. Le big-bang à l'origine de nos univers ? Dans son célèbre sonnet Le rêve d'un curieux, Charles Baudelaire s'interrogeait lui aussi sur le mystère de la vie après la mort : «La toile était levée et j'attendais encore.» Mais au-delà de l'énigme, il y a la pérennité de l'art et le fait de se placer à hauteur d'homme pour voir l'invisible dans les œuvres de Nadir Remita. C'est dans cette liberté retrouvée que le visiteur peut, à son tour, faire le rêve d'un monde nouveau. Les maisons, les pierres, les traces, les ruines, la mémoire et la parole (reconquise) composent, dans ces toiles, l'unité de temps et de lieu rendue nécessaire pour donner écho à l'Algérie contemporaine. Passé immémorial et dimension humaine peuvent ainsi se conjuguer pour redonner sa dignité et sa totale liberté à l'individu, cet être particulier, différent de tous les autres. Résolument tournée vers l'art moderne, la peinture de Nadir Remita a la capacité de créer cette magie suggestive qui facilite les voyages (dont celui intérieur). La richesse graphique de cette peinture, les subtiles procédés de construction-déconstruction, les effets d'ombres et de lumière, la brillante palette de couleurs témoignent d'un art parfaitement maîtrisé et en évolution. «L'écho des périples» n'est évidemment qu'un modeste échantillon des ressources créatives encore inexploitées de ce graphiste designer. Dans l'une des œuvres (un tableau à quatre mains réalisé avec Feriel Kouadria), il explore par exemple la perspective qu'offre la rencontre avec une artiste qui se projette dans une autre galaxie... Toutes ces toiles sont sans titre, une façon comme une autre d'inciter à toujours chercher le mot de l'énigme.