Entretien réalisé par Arezki Metref Le Soir d'Algérie : Après l'interdiction de l'émission en arabe en faveur de l'indépendance de l'Algérie que vous animiez à Budapest, vous rentrez en Algérie. En 1956, vous revoilà dans votre ville natale, Constantine, à coordonner l'action de soutien des communistes à l'ALN. Quels étaient les rapports, à Constantine, entre les communautés, d'une part, et entre communistes et nationalistes, d'autre part ? William Sportisse : J'apporte une précision, on ne peut parler d'interdiction de l'émission des trois partis communistes d'Afrique du Nord, en langue arabe, par les autorités hongroises qui avaient accepté de mettre à notre disposition pendant environ deux années leurs moyens techniques. J'ai donné des explications dans le Camp des oliviers sur les motivations de la décision du gouvernement de la République populaire de Hongrie de nous demander sa cessation. Ce pays, en raison de ses orientations socialistes, subissait le blocus de tous les pays capitalistes européens et américains en vue de le détacher de la communauté socialiste qui s'est formée avec d'autres Etats de l'Est européen et l'Union soviétique. Il avait un besoin économique de sortir de ce blocus, au même moment où des efforts étaient entrepris par l'Union soviétique et d'autres forces pour éviter la guerre mondiale en prônant la coexistence pacifique entre les Etats à systèmes sociaux différents. Ce sont les pressions de la France coloniale sur la Hongrie qui furent à l'origine de sa décision discutable nous demandant de cesser notre émission. Dans l'ouvrage le Camp des oliviers sont relatées dans le détail toutes les actions de soutien apportées par nos organisations communistes de Constantine à l'ALN et au FLN. Ces actions de soutien se résument dans notre contribution pour ravitailler des groupes armés de l'ALN en armes, en médicaments, en vêtements, en leur apportant notre aide financière et politique, en leur transmettant régulièrement notre propagande écrite (journaux, tracts, revues). Il nous est arrivé également, grâce à nos liens avec des militants du FLN, de reproduire avec notre matériel leurs documents de propagande. Mais notre parti qui s'est maintenu en tant qu'organisation, tout en reconnaissant comme dirigeants de la lutte libératrice le FLN et l'ALN, conformément aux accords FLN-PCA, a utilisé à Constantine tous les moyens en sa possession pour rédiger et diffuser régulièrement durant toute la guerre ses publications (journaux et tracts). Un nombre non négligeable de journaux, de tracts et de revues qui apportaient des informations sur le déroulement de la lutte armée et des explications sur l'évolution de la situation politique circulaient parmi la population. Quant aux rapports entre les communautés, tous ceux qui ont vécu cette période savent que les colonialistes avaient réussi à les diviser. Le racisme, cette arme de division, et toute l'idéologie du colonialisme qui dominait parmi la majorité de la population européenne et même juive la peur de ne plus pouvoir vivre dans le pays si l'indépendance était arrachée par les Algériens, les difficultés des organisations du mouvement de libération d'entrer en contact avec la minorité européenne en raison de la répression coloniale et les difficultés de la lutte clandestine ont été des obstacles empêchant le rapprochement des communautés. Peut-on parler d'une position dominante commune à la communauté juive, travaillée à la fois par le sionisme et par la tentation Algérie française, par rapport à l'Algérie française, par rapport à l'indépendance de l'Algérie ? Faut-il nuancer et dans quel sens ? La population juive dont les traditions culturelles se nourrissaient de la culture arabo-berbère et la proximité de ses lieux d'habitation proches de celles des musulmans a continué à maintenir avec eux plus ou moins des relations. Cependant, la population juive de Constantine craignait, comme les Européens, les lendemains de l'indépendance. Même dans la minorité juive ou européenne qui n'était pas hostile aux aspirations à l'indépendance, il y avait un sentiment de méfiance sur la capacité de notre peuple à dépasser tout sentiment de haine après tous les crimes qu'il avait subis de la part du colonialisme. Par ailleurs, la minorité juive avait souffert des discriminations raciales manifestées à son égard par des Européens gagnés aux idées fascistes avant la Seconde Guerre mondiale. Elle avait souffert de discriminations à la suite des mesures prises sous le régime de Pétain qui avaient abrogé le décret Crémieux. Aussi, quand en mai 1958, les menaces des forces réactionnaires et fascistes soutenues et dirigées par les dirigeants factieux de l'armée française ont organisé des comités de salut public pour s'opposer aux institutions de la République française, la crainte du fascisme a conduit cette minorité juive à la réflexion. Selon un rapport de la police française cité dans le Camp des oliviers, elle a «répugné» à prendre position pour ces «comités de salut public» et «donné l'impression d'un certain neutralisme». Quant aux sionistes, ils voyaient d'un mauvais œil l'avènement d'une Algérie indépendante qui apporterait toute son aide au peuple palestinien. Leur objectif était avant tout, en se mettant au service des partisans de l'«Algérie française», de creuser davantage le fossé entre juifs et musulmans, de sorte que si l'Algérie gagnait son indépendance, les conditions seraient créées pour entraîner la minorité juive à immigrer en Israël pour implanter dans les territoires palestiniens de nouvelles colonies de peuplement et étendre ainsi le territoire israélien. Les sionistes ont, partout où ils agissent, un seul objectif : contribuer au renforcement de leur ordre colonial en Palestine pour empêcher la naissance de tout Etat palestinien dans les frontières reconnues par les Nations unies et encore moins dans un seul Etat palestinien où Juifs et Arabes vivraient en paix. Des sionistes appartenant au service d'espionnage israélien ont même été envoyés à Constantine pour accomplir la sale besogne destinée à organiser, dans la population juive, la réplique des organisations paramilitaires fascistes européennes qui se sont impliquées dans les assassinats de civils algériens. Je signale cela dans le Camp des oliviers. Etiez-vous à Constantine lors de l'assassinat de Raymond Leyris ? Pourquoi, par cet acte, la presque totalité de la communauté juive de Constantine, implantée dans cette ville depuis des siècles et peut-être des millénaires, a-t-elle quitté la ville en quelques heures ? Ma précédente réponse apporte des éclairages sur ce départ rapide de Constantine des Juifs après la mort de Raymond Leyris. Oui, je me trouvais encore à Constantine à ce moment-là. J'ai déploré cet assassinat, ayant connu ce cheikh de la musique andalouse et du malouf constantinois, qui fut un lecteur assidu d'Alger républicain. Il participait régulièrement avant 1954 à toutes les fêtes organisées à Constantine par notre parti pour le financement de nos organes centraux Liberté et El-Djazaïr Al-Djadida. Cheikh Raymond était connu parmi les musulmans de Constantine qui appréciaient et apprécient encore son talent. Sa mort n'a fait qu'augmenter les préjugés et la méfiance dans les milieux juifs. Cette méfiance a été encore attisée par la propagande des médias colonialistes qui ont aussitôt attribué cet acte au mouvement de Libération nationale alors qu'il pouvait être celui d'un individu isolé échappant à tout contrôle, révolté contre la bestialité du régime colonial à l'égard des Algériens. Ce qui n'est pas une certitude, car on ne peut pas exclure, non plus, une manipulation provenant du colonialisme qui est maître en la matière. La perte de Raymond Leyris a jeté le désarroi parmi la population juive de Constantine. Le responsable de ce désarroi, c'est le système colonial qui a toujours favorisé la division entre les communautés pour mieux régner sur le pays. A l'indépendance de l'Algérie, vous avez naturellement décidé de rester. Vous rejoignez l'équipe d'Alger républicain et vous militez au PCA. Pourtant, une loi vous oblige, vous, le vieil Algérien qui a tout sacrifié pour l'indépendance de son pays, à demander la nationalité algérienne. Pourquoi n'avez-vous pas davantage protesté contre cette loi incompréhensible ? Il convient tout d'abord de préciser que mon combat, comme celui d'autres camarades de toutes origines, pour l'indépendance correspondait à notre idéal. Les plus gros sacrifices supportés pour l'obtenir l'ont été par les couches laborieuses du pays et tous ceux qui ont perdu leur vie au cours de ce combat. Nous ne pouvons et nous ne devons jamais oublier cela. Ensuite, des tâches d'édification importantes nous attendaient. Elles nécessitaient la préservation et le renforcement de l'union des forces patriotiques. Cette divergence, à propos des conditions arrêtées pour être de nationalité algérienne, il fallait la résoudre sans aboutir à une cassure, voulue peut-être par certains, mus par une étroitesse nationaliste et désireux de diviser les forces progressistes du mouvement national. Aujourd'hui, il est vrai, notre protestation, qui s'est exprimée dans le calme auprès des dirigeants du FLN sous diverses formes, peut paraître timide et insuffisante. C'est possible. Mais à mes yeux, ce qui était plus important, c'était de ne pas avoir suffisamment combattu l'instauration du parti unique et l'interdiction de l'activité du Parti communiste algérien. Mais malgré cette interdiction, le PCA a eu raison de travailler de toutes ses forces à l'application du contenu économique et social progressiste du programme de Tripoli (juin 1962) puis de celui de la charte d'Alger (avril 1964). Il pensait que les aspirations démocratiques des masses populaires pouvaient trouver le meilleur cadre de leur expression dans l'édification d'un front uni. Le PCA se battait en même temps pour le renforcement d'un parti socialiste d'avant-garde. Malheureusement, en surestimant le poids réel des partisans du socialisme dans le FLN, après l'adoption de la Charte d'Alger, il avait tenté de se diluer dans un ensemble plus large, exprimant de cette manière erronée le rejet d'un sectarisme qui aurait été inattentif aux possibilités de rapprochement avec l'aile révolutionnaire du FLN. D'autres explications, en réponse à votre question à propos de cette opposition sur les conditions exigées par la Constitution pour jouir de la nationalité algérienne, sont exprimées dans le Camp des oliviers. En 1965, vous êtes arrêté et torturé par la sécurité militaire pour appartenance à l'Organisation de la résistance populaire (ORP). Aujourd'hui encore, on sait très peu de choses sur cette organisation créée pour s'opposer au coup d'Etat de Boumediène de juin. Comment vous êtes-vous retrouvé dans l'ORP et quelles sont les circonstances de votre arrestation ? Tout d'abord, il faut préciser que ce coup d'Etat n'est pas l'œuvre d'un homme. Ses auteurs appartiennent aux courants hétérogènes de la petite bourgeoisie organisés dans le FLN qu'ils soient civils ou militaires. C'est en sa qualité de membre du bureau politique du FLN que Boumediène a dirigé cette coalition qui a destitué le président de la République, Ben Bella, alors secrétaire général du FLN, parce qu'elle «désapprouvait ses méthodes de direction», selon ses propres termes. Entre ces différents courants hétérogènes de cette petite bourgeoisie arrivés au pouvoir, après le coup d'Etat, des divergences subsistaient sur les options à adopter dans les orientations politiques, économiques, sociales et culturelles, même s'ils se référaient encore, pour ne pas se couper du peuple, à l'option socialiste. Chacun de ces courants espérait avoir le dessus sur l'autre. Et d'autres tentatives de coups d'Etat se sont produites plus tard et ont échoué. Les communistes se sont dressés contre le coup d'Etat du 19 juin 1965, non pas pour soutenir tel ou tel courant de cette petite bourgeoisie qui s'était placée derrière Boumediène ou du côté de Ben Bella, mais parce qu'ils étaient attachés à des méthodes démocratiques de gouvernement qui s'appuiaient sur la volonté populaire. Ils considéraient qu'un coup d'Etat pouvait en appeler un autre comme ce fut le cas en Amérique latine, qu'il ouvrait la porte à l'instabilité politique et à l'étouffement des libertés démocratiques et syndicales élémentaires, et qu'il favorisait les tentatives des puissances impérialistes de s'ingérer dans nos affaires afin de reprendre pied chez nous. L'ORP (Organisation de la résistance populaire) était une alliance au sommet entre des dirigeants communistes et progressistes, membres du FLN, pour s'opposer au coup d'Etat et réclamer le respect de la Constitution adoptée par le peuple au lendemain de l'indépendance, la libération de Ben Bella, et la poursuite de l'option socialiste contenue dans la Charte d'Alger adoptée par le congrès du FLN. Cette organisation, qui s'était constituée quelques jours après le coup d'Etat, n'avait pas encore réussi à obtenir des assises populaires, au moment de l'arrestation d'une partie de sa direction et de plus d'une centaine de militants communistes et nationalistes qui l'avaient rejointe. Ces arrestations portèrent un coup dur à cette organisation. Les dirigeants et militants qui l'avaient rejointe et n'avaient pas été arrêtés poursuivirent le combat en s'organisant en 1966 dans le Parti de l'avant-garde socialiste. Vous êtes traîné pendant des années de prison en résidence surveillée. La dernière ville qui vous accueille est Tiaret. Vous allez réimplanter le PAGS, dans une ville où il n'y avait plus de communistes. Comment avez-vous réussi à mobiliser essentiellement les jeunes ? Tout d'abord, une précision : tout ce qui a été réalisé à Tiaret, pendant mon séjour dans cette ville, est l'œuvre d'un collectif de jeunes et de l'appui de nombreuses personnes qui sympathisaient avec nos idées. Ma contribution a été modeste, et il est erroné de m'attribuer les résultats de cette activité. On la doit beaucoup plus à d'autres personnes, notamment mon camarade Ichou Benamar, assigné également à résidence dans cette ville, et ensuite à Abdelkader Bouteldja qui, après avoir été au FLN et à la JFLN, a rejoint les rangs du PAGS. Il est vrai que mon expérience politique et organisationnelle communiquée à ces camarades les orientait dans leur activité. En outre, les conditions d'une mobilisation des jeunes existaient, car il y avait chez eux à la fois une soif de s'instruire, de se cultiver, de s'organiser et d'agir pour régler les problèmes auxquels ils étaient confrontés. Le noyau de jeunes avec lesquels Benamar Ichou avait tissé des liens d'amitié nous a permis d'organiser cette jeunesse et l'aider à satisfaire ses aspirations à travers le ciné-pop puis d'une université populaire où des cours étaient dispensés par des professeurs progressistes français qui enseignaient au titre de la coopération. Moi-même je dispensais des cours de comptabilité. Un noyau de jeunes a ainsi adhéré au PAGS. Parmi ce noyau, un camarade a pris en charge l'activité en direction des ouvriers et du mouvement syndical. Toute cette activité a permis de renforcer les rangs du PAGS à Tiaret. Elle a débouché aussi sur la jonction avec le mouvement paysan dans la région qui était engagé pour l'application des dispositions prises dans le cadre de la loi sur la «Révolution agraire». J'ajouterai que l'aile progressiste de la petite bourgeoisie au pouvoir dirigée et impulsée par le président Boumediène avait réussi à prendre le dessus sur l'aile conservatrice favorable au libéralisme économique et à l'étouffement des libertés démocratiques pour les travailleurs. La nationalisation des hydrocarbures et des autres richesses minières et l'utilisation des revenus de leur exploitation par des sociétés publiques ont contribué à l'industrialisation du pays. Cette industrialisation a pu se réaliser par sa prise en charge des sociétés publiques et des capitaux appartenant au jeune Etat algérien. Toutes ces mesures économiques puis sociales au service du peuple ont été accompagnées d'une vie démocratique associant de plus en plus le peuple à la gestion du pays. Le soutien accordé par les communistes à ces mesures a créé les conditions de leur libération des prisons où le pouvoir issu du coup d'Etat les avait jetés. A votre retour à Alger, vous êtes cadre dans une société nationale. Par contre, en ces années 1970, le PAGS ne vous confie pas de responsabilité en dépit de votre longue expérience dans le combat communiste. Pourquoi ? Je n'ai jamais questionné mes camarades du PAGS à ce propos pour la simple raison que je considérais que la présence d'un militant dans une direction relevait du choix de ses camarades. A mon retour à Alger, sans doute, la direction du parti a-t-elle pu juger, qu'en raison de mon arrestation, il était préférable pour la sécurité de l'activité clandestine du PAGS de ne pas me confier une responsabilité même si mon expérience pouvait lui être utile. Et sans doute, à cette époque, la direction du PAGS pouvait hésiter à confier des responsabilités à des camarades qui, comme moi, avaient subi la répression et qui étaient plus ou moins fatigués, afin de les laisser souffler un peu, ou encore parce qu'elle n'avait pas suffisamment d'informations sur mon comportement face à la répression. Ce n'est pas parce que j'ai eu des responsabilités dans le Parti communiste algérien que je dois les conserver toujours. Mon expérience peut être également transmise même si je milite comme on dit à la base. Cela ne peut faire que du bien de militer seulement à la base. Et d'ailleurs, entre la base et la direction, il y a toujours des relations étroites dans un parti où le centralisme démocratique révolutionnaire est respecté. Mais je n'exclus pas non plus que les pressions exercées de l'extérieur du parti ont pu conduire à des positions d'étroitesse nationaliste pour éviter dans les directions la présence de militants de mon origine. Je ne suis pas certain de cela. Mais la réponse à cette question et à d'autres plus importantes fait partie du besoin impératif de l'étude collective de l'histoire de notre Parti communiste algérien et du PAGS. Cela dit, je vous rassure, dans le PCA comme dans le PAGS, les relations entre camarades de toutes origines ethniques étaient empreintes d'une fraternité qui a fait notre force. Cette fraternité reposait sur nos convictions idéologiques et politiques. Comment analysez-vous, près de 25 ans après, la sortie de la clandestinité du PAGS et son implosion ? Avant de répondre à cette question, je tiens à souligner le grand mérite de ce parti, de sa direction et de ses militants, de ses sympathisants qui, pendant près de 24 années de clandestinité, ont réussi, dans des conditions difficiles, à poursuivre le combat au service des couches laborieuses de notre pays. Comme je l'ai déjà souligné, l'histoire du PCA et du PAGS reste à faire. Elle mérite d'être connue, non seulement pour dissiper les mensonges de ceux qui dénigrent ces deux partis, mais aussi pour instruire et inspirer les jeunes générations dans leur combat actuel. Il appartient aux militants de ces deux partis restés encore attachés à notre idéal et à ceux du Parti algérien pour la démocratie et le socialisme de réaliser cette tâche si vitale. Cela dit, à la sortie de la clandestinité, les hésitations de la direction du PAGS pour mener son activité au grand jour, en raison de la situation résultant de la répression, qui s'était abattue sur les jeunes et les militants du PAGS lors de la révolte de 1988, et aussi de la montée de l'intégrisme religieux, ont été un frein pour son développement et sa liaison nécessaire avec les masses laborieuses. Le soutien, dans les années 1980, qu'elle avait accordé au président Chadli alors que celui-ci remettait en cause progressivement tous les acquis progressistes obtenus auparavant préfigurait déjà des reculs ultérieurs de cette direction. Elle n'a donné aucun mot d'ordre clair pour combattre les projets de restitution des terres nationalisées, la mise en place d'un ensemble de textes qui préparaient la privatisation des entreprises publiques et la libéralisation du commerce extérieur. Elle n'a pas procédé à une analyse sérieuse de l'accentuation de la nature de classe du régime, notamment de son option pour la défense du capitalisme après les événements d'Octobre 1988. Cette direction s'est alors désintéressée des initiatives prises à la base par ses militants pour aller aux masses, avec son absence dans le choix des candidats du parti et de leur programme pour les élections municipales ou encore dans la préparation de la manifestation paysanne qui s'est déroulée à Alger pour s'opposer aux objectifs de la loi d'orientation foncière de novembre 1990 visant clairement à la restitution des terres nationalisées. Dans ces conditions, les dirigeants du courant islamiste moyenâgeux du FIS ont réussi à asseoir davantage leur emprise sur les masses populaires mécontentes qui voulaient se débarrasser du système en place qui s'était éloigné de leurs aspirations. Ajoutons que cette direction était divisée sur le texte d'orientation présenté au congrès qui s'est tenu dans les conditions de la légalité. Le texte adopté par le congrès était loin de régler les problèmes d'orientation politique du parti. Il était empreint de l'idéologie social-démocrate qui avait gagné les esprits de la majorité de la direction, surtout au lendemain de la disparition de l'Union soviétique et des autres pays socialistes de l'Europe de l'Est. Dans ces conditions, l'implosion du PAGS n'a pas tardé. La majorité de sa direction refusant de définir une stratégie d'un parti communiste fidèle aux principes marxistes-léninistes pour épouser celle de la «modernité», «ce masque élégant de la défense «moderne du capitalisme», comme l'indique si bien le Parti algérien pour la démocratie et le socialisme (PADS) dans son carnet n°8 (1996) consacré au 60e anniversaire du PCA et au 30e du PAGS. Vous avez contribué à la naissance du PADS ? C'est quoi, dans l'Algérie et le monde actuels, être communiste ? Je n'ai pas contribué à la naissance du PADS. Au moment de sa création, j'étais absorbé par la responsabilité que j'avais à Alger républicain et j'hésitais. C'était une erreur de ma part de m'engager dans cette initiative lancée par des camarades du PAGS dont certains n'étaient pas suffisamment connus de mon côté. J'ai adhéré au PADS en 1994. Etre communiste de nos jours, c'est demeurer fidèle à notre idéologie marxiste-léniniste toujours vivante et actuelle même si l'Union soviétique a disparu. Etre communiste dans le monde actuel, c'est résister aux mensonges des médias capitalistes sur l'expérience de l'URSS et des autres pays socialistes, c'est la faire connaître dans sa réalité avec tout ce qu'elle a apporté pour le progrès de toute l'humanité, pour la paix du monde, pour la liberté des peuples dominés par le colonialisme, et dans ses faiblesses favorisées par les courants opportunistes pour la détruire. C'est continuer à éveiller la conscience des couches laborieuses qui souffrent des méfaits du capitalisme. C'est déclarer et expliquer que ce système a fait son temps et qu'il faut le détruire pour construire une autre Algérie, un autre monde où la fraternité et la paix régneront entre les hommes quand seront supprimées l'exploitation de l'homme par l'homme et la domination d'un peuple sur un autre. Etre communiste aujourd'hui en Algérie et dans le monde, c'est adopter une stratégie pour la destruction du capitalisme et la construction du socialisme. Certes, cette stratégie ne négligera pas du tout, au contraire, l'organisation des luttes quotidiennes pour des revendications immédiates (droit au travail, à des conditions humaines de travail, au logement, à la santé, à la paix, etc.). Ce combat doit passer par l'organisation des masses populaires et leur intervention dans le choix des solutions qui doivent être constamment rattachées à cet objectif stratégique du socialisme. Ce combat doit aussi passer par la construction d'un Parti communiste enraciné dans la classe ouvrière et d'une large alliance populaire des ouvriers avec les autres couches laborieuses du pays qui sont les outils de la réalisation de cet objectif stratégique. C'est cela le plus important de nos jours pour être communiste. Certains peuvent nous traiter d'utopistes, mais ce qui peut paraître une utopie aujourd'hui deviendra une réalité dans l'avenir. Dans la société esclavagiste, les révoltes ont été souvent étouffées par la force, mais, en définitive, ce système a été détruit. On peut citer d'autres exemples comme celui de la défaite de la Commune de Paris qui était anticapitaliste mais qui a été ensuite vengée par la Révolution socialiste d'octobre. On peut aussi penser à l'expérience de l'Algérie : aux révoltes défaites après l'occupation coloniale de 1832, mais toutes les luttes menées ensuite ont abouti en 1962 à l'indépendance. Etre communiste, c'est apprendre à refuser le défaitisme, les solutions illusoires qui nous détournent de l'objectif stratégique.