L'élection présidentielle 2014 s'est caractérisée par une intense activité télévisuelle. En absence de l'autorité de régulation prévue par la loi sur l'audiovisuel, les chaînes algériennes privées de droit étranger n'étaient pas tenues d'assurer de mission de service public. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - 2014, année cathodique. La scène politique algérienne a vécu une véritable révolution médiatique grâce aux chaînes de télévision privées. Des chaines certes algériennes, mais qui sont en réalité de droit étranger. Mais il est aujourd'hui évident que ces médias ont dessiné les contours d'un paysage audiovisuel naissant. Belkacem Ahcene-Djaballah, professeur associé à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information d'Alger, estime que les chaînes privées ont profité de l'élection présidentielle pour instaurer une influence prédominante. «Je pense que les trois ou quatre chaînes qui dominent actuellement le marché ont joué un grand rôle, peut-être même un rôle bien plus grand que la chaîne nationale publique. Leur contenu était résolument politique au service d'un ou de plusieurs candidats. Ensuite parce qu'elles ont eu des langages politiques populistes et offensifs, donc compréhensibles par la masse des téléspectateurs». Abderezak Dourari, professeur en sciences du langage et en traductologie à Alger II, juge bénéfique cette ouverture audiovisuelle car elle a permis au public algérien de découvrir une élite qui n'avait pas accès à la chaîne publique. «Les Algériens ont découvert une élite politique, intellectuelle et même militaire qu'ils ne soupçonnaient même pas. Je cite des généraux à la retraite Yala, Medjahed et Benhadid qui sont intervenus dans des débats télévisés. Il y a également l'intervention de jeunes journalistes dont la plupart ont démontré leur haute maîtrise des questions d'ordre politique. Il faut aussi reconnaître que c'est grâce à ces télévisions privées que les téléspectateurs ont pu voir les représentants de Barakat, du Rassemblement algérien des femmes démocrates ainsi que les sympathisants de tous les candidats», souligne le professeur Dourari. Mais au-delà du cadre offert par ces médias, le linguiste dénonce les dépassements de certains d'entre eux. «Nous avons assisté à des comportements d'une médiocrité affligeante. Certaines chaînes, pour des raisons électoralistes, ont bafoué les règles fondamentales pour influer sur le débat politique», note le professeur Dourari qui n'hésite pas à qualifier de «chaînes pitbull» certaines télévisions privées. Le professeur Belkacem Ahcene-Djaballah partage le même avis et fait le lien entre les responsables de ces chaînes et les milieux politiques et d'affaires. «Il n'est nul besoin de recherches scientifiques pour montrer et démontrer que l'insulte, l'invective et, parfois, la diffamation ont pris le pas sur le discours méthodique et objectif. Il vrai qu'une bonne partie des chaînes algéro-étrangères est intimement liée à des partis politiques par le biais d'individus dont on parle beaucoup dans les salons, mais dont on ne cite que rarement les noms et les entreprises. Ce que l'on peut tirer comme conclusion, c'est que les milieux d'affaires et d'affairistes sont de plus en plus présents dans le secteur de toute la communication ». L'absence de cadres légal et réglementaire a participé activement à instaurer cette situation. La loi sur l'audiovisuel a été adoptée depuis plusieurs mois par le Parlement, mais sa publication au Journal Officiel a eu lieu le 23 mars, jour du lancement de la campagne électorale... Impossible donc d'installer l'autorité de régulation prévue dans cette loi. «Comme toujours, le pouvoir politique, pris dans ses calculs et ses manœuvres, a laissé faire, n'intervenant que tardivement. L'Etat se devait d'agir il y a très longtemps par l'adoption de la loi sur l'audiovisuel et mettre sur pied très rapidement l'Autorité de régulation. D'ailleurs, certains pays l'ont compris en instaurant d'abord l'Autorité avant l'adoption d'une loi générale», explique le professeur Belkacem Ahcene- Djaballah. Aujourd'hui, la page de la couverture audiovisuelle de l'élection présidentielle est définitivement tournée. Pour les patrons de ces chaînes, l'enjeu consistera à décrocher, auprès des autorités, l'autorisation d'émettre à partir du territoire national. La guerre des chaînes ne fait que débuter.