La salle Ibn Khaldoun à Alger avait rendez- vous avec l'Histoire jeudi à l'occasion d'un émouvant hommage à Annie Steiner. La moudjahida a été accueillie, au hall, par des youyous et les sons d'une fanfare juvénile de Hadjout, sa ville natale, interprétant des chants patriotiques. Avant d'entrer dans la salle, elle avait tenu à saluer le drapeau algérien et les jeunes musiciennes et musiciens de la fanfare. Au cours de cette rencontre organisée par l'Etablissement Arts et Culture, en commémoration des massacres du 8 Mai 1945, le moudjahid Mohamed Ghafir dit Moh Clichy a animé une conférence sur ce sujet. Le conférencier a qualifié les événements du 8 Mai d'«étape importante» dans le mouvement national, entre la création de l'Etoile Nord-Africaine en 1926 en France et le déclenchement de la lutte armée le 1er Novembre 1954. Dans son intervention, Annie Steiner qui vit aujourd'hui à Alger, a surtout parlé de son émotion après l'accueil chaleureux que lui avaient réservé les «Hadjoutiyines», et leur présence en masse jeudi à la salle Ibn Khaldoun. «Je voudrais remercier des sœurs, comme Djamila Boupacha, qui sont venues aujourd'hui. C'est magnifique ya khouatet ! (sœurs). Je remercie aussi les "Hadjoutiyines" qui m'ont reçue avec gentillesse. Je remercie aussi Monsieur Serri qui a consacré sa vie à sauver la musique andalouse, ce patrimoine algérien». Elle a ensuite parlé de son récent retour à Hadjout, à Boufarik et Blida où elle a visité les écoles et lycées où elle avait fait ses études. «Voilà, mes enfants !», dira la grande dame et moudjahida à la fin de son intervention. Les présents, moudjahidate, moudjahidine, jeunes et moins jeunes ont ensuite assisté à la projection d'un film documentaire sur Annie Steiner. A un certain moment, cette question a été posée à Annie Steiner : «Vous ne regrettez pas ce que vous avez fait ?». «Jamais ! C'est impossible !», répond la moudjahida. Les dernières images du documentaire montrent Annie Steiner en train de chanter en arabe la chanson patriotique algérienne qui dit «Mes frères n'oubliez pas le serment des chouhada...». Annie Fiorio Steiner est née le 7 février 1928 à Marengo (Hadjout). Elle est mère de deux filles : Edith et Ida. Son père, Marcel Fiorio, né à Tipasa, est issu d'une famille originaire de Florence en Italie. Lors de l'épidémie de typhus, il a été dépêché à Sidi Bel Abbès comme directeur de l'hôpital. «Mon père est mort à 41 ans, emporté par une crise cardiaque. Quant à ma mère, elle était enseignante, institutrice comme sa sœur et leur mère. Ma grand-mère, Virginie Malavial-Truel, était institutrice à Borely Lasapie (El Omaria) village au-dessus de Médéa, où elle exerçait selon le système de la classe unique. J'ai rompu la tradition. Mon grand-père, né à Theniet El Had en 1870, est enterré à Palestro.» Au gré des affectations de son père, sa scolarisation passa par Marengo, Boufarik et Sidi Bel Abbès. «De là, je suis allée à Blida, une ville qui a beaucoup compté pour moi. J'y ai fait mes études secondaires au lycée Duveyrier (Ibn Rochd), un excellent établissement qui a vu défiler des chouhada comme Ali Boumendjel, Abane Ramdane et des responsables comme Benyoucef Benkheda, M'hamed Yazid, Sadek Hadjeres... A l'origine, ce lycée était réservé aux garçons, mais après le débarquement des Américains, qui ont occupé le collège des filles, on a dû jumeler filles et garçons après la fermeture de l'internat pendant la Seconde Guerre mondiale», se souvient- elle. Elle a aussi parlé avec émotion de son professeur Hadj Sadok. En novembre 1954, Annie Steiner travaillait aux Centres sociaux d'Alger. «Le 1er Novembre 1954 a été comme un coup de tonnerre dans le ciel de l'Algérie (..). Ce jour-là, j'étais à la maison. Il y avait mon mari, deux amis et moi. Spontanément, j'ai applaudi. Mon mari et Roland Simounet, un architecte originaire de Aïn Benian, ont souri. Mais l'autre invité a mal réagi et m'a dit : "Tu applaudis à des assassins ?" Je lui ai répondu : "Oui". Je ne l'ai plus revu, mais nous sommes restés en bons termes avec Roland. (...) Donc, l'Histoire se mettait en marche ; c'était le moment d'agir en Algérie. C'est pour tout cela que j'ai applaudi et j'ai tout de suite cherché le contact avec le FLN», dit Annie Steiner dans le livre La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner. Une vie pour l'Algérie, de Hafida Ameyar, paru en 2011. «J'étais agent de liaison. (...) J'avais une voiture et je pouvais me déplacer facilement. Je portais des plis sans jamais les ouvrir, bien sûr. (...) J'ai eu d'autres activités, par exemple transporter des couffins... (...). J'ai travaillé pour un laboratoire de fabrication de bombes et c'était Daniel Timsit qui s'occupait de ce laboratoire. Personnellement, je ne suis jamais allée au laboratoire, mais Hassiba Ben Bouali et Boualem Oussedik y travaillaient.» Arrêtée, Annie Steiner a passé cinq années en prison à Maison Carrée (El Harrach) et à Barberousse (Serkadji). «À Barberousse, la première exécution que j'ai "entendue", parce qu'on ne voyait pas, mais on entendait, c'est celle de Fernand Iveton, avec Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhnèche. Ils étaient trois. Les deux étaient des jeunes et Iveton avait 30 ans. (...) Chaque année, nous commémorons l'exécution de Fernand Iveton. Nous sommes très nombreux au cimetière. C'est bien, mais nous oublions les deux autres, Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhnèche. Et je dis : "Non, ils étaient trois, ne séparons pas ceux que la mort a unis», dit aussi Annie Steiner, dans le livre de Hafida Ameyar. Ne séparons pas ceux que l'amour de l'Algérie, de la justice et de la liberté a unis !