Les Algériens qui sont venus se recueillir hier, sur la tombe de Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, ont été surpris de voir le carré des martyrs où repose le défunt fermé à clé. Madjid, le fils de Slimane Amirat, qui voulait coûte que coûte y accéder, a failli être embarqué par la police. Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir) Dimanche, 29 juin 2014. Cimetière El Alia. Il est 9h30. Les fidèles à la mémoire de feu Mohamed Boudiaf commencent à affluer. Pour la plupart, ils ne l'ont pas connu personnellement. Mais comme le souligne Lila Oussadit, une citoyenne présente sur les lieux : «Le fait de l'avoir eu comme président pendant six mois, nous avons eu un brin d'espoir.» Des membres du mouvement Barakat, et des militants du MDS, ne tarderont pas à arriver. Les agents des renseignements généraux de la police aussi. Leur nombre avec ceux déjà présents sur place en uniforme dépasse de loin ceux venus commémorer le 22e anniversaire de l'assassinat de Mohamed Boudiaf. Un des commémorateurs ironise : «J'espère qu'ils ne nous ont pas pris pour des émeutiers !» Il est 10h, soit l'heure convenue pour le recueillement, mais il se trouve que le carré des martyrs où repose le défunt est fermé à clé. Un grand cadenas verrouille le portail qui enferme la mémoire des martyrs de la Révolution populaire algérienne. «Ça doit être soumis à une autorisation administrative», ironise un autre commémorateur. Selon les agents de sécurité du cimetière, un de leurs collègues, chargé de l'entretien du carré des martyrs est rentré chez-lui, en prenant la clé dans sa poche. Les fidèles à la mémoire de Mohamed Boudiaf ne sont pas là pour croire à ce «genre de sottises». Lakhdar Bensaïd, secrétaire général de la Coordination nationale des enfants de Chouhada, est le premier à se révolter : «Faites-nous sortir la clé, sans quoi je force le portail ». Ebahi, Cheikh Tayeb Taâlibi, dit Si Allal, compagnon de lutte de Mohamed Boudiaf, d'avant et après l'indépendance, assiste sans voix à cette scène inattendue. Lui qui en a pourtant vu dans sa vie, pour avoir été mis en 1963, entre les mains du «tortionnaire Hamadache, directeur de la police spéciale de Ben Bella», témoigne-t-il, n'a rien compris à ce geste. Finalement, les commémorateurs dont on compte parmi eux, Brahim Ould Mohamed, membre fondateur du FFS, et ancien condamné à mort par contumace par le tribunal révolutionnaire d'Oran, en 1963, se résignent à réciter la Fatiha, à l'extérieur du carré des martyrs. Madjid, le fils de feu Slimane Amirat, qui s'est éteint trois jours après l'assassinat de Mohamed Boudiaf, les stoppe d'un geste brusque et se dirige vers le portail du carré des martyrs pour le forcer. «Pas question, depuis quand on emprisonne les morts, je me recueillerai sur sa tombe coûte que coûte», lâche-t-il. Un commissaire de police fonce droit sur lui et appelle ses collègues pour l'embarquer. C'est alors que la situation dégénère. Presque tout le monde se met devant le portail et autour de Madjid et l'officier de police. Le fils de Amirat ne se laisse pas faire : «Elle est où la clé ? Aujourd'hui, vous nous avez empêchés de nous recueillir sur sa tombe, demain vous nous demanderez de l'effacer carrément de nos mémoires... là, vous avez vraiment franchi les limites.» Sous la pression, la clé se pointe comme par enchantement. Un policier en civil, lance à haute voix, à un des organisateurs de l'évènement, avant d'ouvrir la porte : «Faites seulement rentrer ceux que vous connaissez.» Visiblement, la police ne voulait pas des membres du mouvement Barakat et des militants du MDS à l'intérieur du carré des martyrs. Ce à quoi Kader Affak, militant du Mouvement démocratique et social, rétorque : «Voici ma carte nationale et je crois que tous ceux qui ont ici ce document ont le droit d'y accéder. Cette carte d'identité représente ce monsieur que nous allons nous recueillir sur sa tombe et ce monsieur est notre père à tous...». Les fidèles à la mémoire de Mohamed Boudiaf obtiennent gain de cause. La Fatiha sera récitée à l'intérieur du carré des martyrs et Si Allal aura pour fin mot de l'histoire, en se recueillant sur la tombe de son ami de toujours : «Depuis que la France est partie, nous avons eu pour seul droit la nationalité algérienne.»