Ce pays a un grave probl�me � r�gler avec la morale. Nous ne pouvons pas parler de d�veloppement durable, de mutations socio�conomiques patentes, de d�mocratie et de libert� tant que tra�nerons, comme de lourds boulets rattach�s � notre conscience collective, ces graves affaires de corruption qui d�frayent la chronique et d�couragent tout effort honn�te. Le ph�nom�ne est certes r�pandu dans les pays du Tiers-Monde et m�me dans les nations d�velopp�es. La corruption est devenue une op�ration normalis�e et un secteur d'activit� florissant de la libre entreprise, structur� et institutionnalis�. Le marketing a ses r�gles que la morale ne conna�t pas. Les fameux dix pour cent et les transferts vers des comptes bloqu�s en Suisse sont des affaires ordinaires. Quant � la lutte contre de telles pratiques, elle requiert la participation active du syst�me bancaire helv�tique qui, on s'en doute, n'est pas tr�s press� de le faire. En attendant, cette corruption se r�pand comme une �pid�mie de grippe virale, car l'impunit� encourage son extension et sa g�n�ralisation � tous les niveaux. Il serait peut-�tre temps que les services secrets s'occupent de ces nouveaux millionnaires en euros qui n'ont ni gagn� au loto fran�ais, ni h�rit� une parente en Ecosse. L'anciennenouvelle mode chez ces gensl� est d'acheter des biens immobiliers dans les quartiers hupp�s des capitales europ�ennes. Il serait temps de leur demander de s'expliquer sur l'origine de telles fortunes, car ces messieurs ont piqu� tellement de dinars que cela �ne remplit plus leurs yeux�, comme on dit en langage populaire. Passe encore sur les �tudes de leur prog�niture, pay�es sur les caisses de l'Etat et les soins � l'�tranger, dans les cliniques r�put�es, pour de petits bobos qui peuvent �tre trait�s ici, par des m�decins alg�riens qui n'ont rien � envier � leurs homologues �trangers. A ce propos, je reste toujours perplexe devant l'hypocrisie de beaucoup de nos hauts fonctionnaires qui expriment en public leur satisfaction � propos des �acquis du secteur de la sant� alg�rien�, mais qui pr�f�rent se confier � des toubibs �trangers ! Dr�le de logique d'une partie de la direction du pays et m�me de l'opposition qui trahit la confiance plac�e en elle par le peuple. Cette digression m'am�ne � parler du faste dans lequel vivent ces gens-l�, souvent issus de milieux populaires jadis �cras�s par la mis�re et le d�nuement. Arrivistes � souhait, ils font tout pour effacer de leurs m�moires les privations du pass�. Cet argent qu'ils tirent de la corruption leur sert � construire de v�ritables ch�teaux qui co�tent des milliards. Or, un simple calcul sur la base de leur fiche de paie indique clairement qu'ils ne pourront jamais amasser le dixi�me de ces sommes pharamineuses au cours de toute une vie de labeur. Enfin, labeur, voil� un terme inappropri� pour ces blagueurs en costume cravate qui nous racontent des histoires pour nous endormir. Boumediene vivait dans un trois pi�ces et n'avait pas plus de 600 dinars en banque � sa mort. Son ultime voyage � Moscou, impos� par ses m�decins, aura �t� de courte dur�e et il est revenu pour �tre trait� � l'h�pital Mustapha-Pacha o� il est mort d'ailleurs. Et m�me si des sommit�s mondiales sont venues � Alger pour �tudier son cas, m�me si des �quipements ont �t� command�s en derni�re minute pour traiter sa maladie, l'homme a su donner � son ultime bataille, celle qu'il a men�e courageusement contre la maladie, l'image d'un Alg�rien soign� en Alg�rie dans un �tablissement hospitalier populaire qui est aussi le symbole de ce que la sant� publique alg�rienne a de meilleur ! Sa mort � l'�tranger aurait donn� au peuple le sentiment qu'il y a une m�decine � deux niveaux, l'une pour la caste au pouvoir et les riches et l'autre pour Monsieur tout le monde. Quelle confiance accorder � des gens qui n'ont pas… confiance dans les h�pitaux de leur pays ? Quel cr�dit donner � leur discours sur l'am�lioration des conditions de vie, de l'�cole et de la s�curit� quand ils pr�f�rent les produits occidentaux pour se nourrir et s'habiller, envoient leurs gosses �tudier � l'�tranger et prennent une arm�e de barbouzes pour se prot�ger dans leurs d�placements ? Elle est belle l'Alg�rie. Hier, � l'heure du socialisme, ils nous menaient en bateau en faisant de belles phrases sur l'engagement r�volutionnaire, la justice sociale et l'�galit� des chances. D�s qu'ils achevaient leurs discours, ils montaient dans des limousines et s'en allaient vers leur vie de nabab. Nous �tions les dindons de la farce. Nous les avons tellement crus que nous avons �t� nombreux � faire don de nos terres � la r�volution agraire. Mais, nous ne regrettons rien ! Nous avons men� avec courage, �nergie et d�vouement la grande bataille pour le socialisme et quand ils sont venus nous dire que ce syst�me n'arrange plus les affaires de l'Alg�rie, nous les avons encore crus. En fait, ils avaient tellement amass� d'argent qu'il leur fallait l'investir dans des cr�neaux porteurs ici m�me. Ils d�cident le matin et investissent le soir. Pr�tenoms, filles et fils g�t�s ramen�s d'Am�rique ou d'Europe : vite, vite, il faut faire le max d'affaires avant qu'un semblant de transparence ne vienne tout g�cher ! Le peuple n'a rien vu venir de cette �reconversion�. Les apparatchiks, si ! D�brouillards inv�t�r�s, ils se retrouvent toujours aux meilleures loges ! Dans le socialisme ou le capitalisme ! Et m�me dans le trabendisme, syst�me qu'ils ont cr�� sur mesure pour leurs vastes ambitions mercantiles. Et puis, il y eut l'affaire Khalifa, la goutte qui a fait d�border le vase, l'�norme scandale qui a �clabouss� presque tout le monde. Aujourd'hui que la justice semble s'int�resser � l'affaire, il faut que les femmes et les hommes qui ont en charge ce lourd dossier mesurent son importance pour l'avenir du pays. La justice a une occasion unique de prouver qu'elle est, � d�faut d'�tre totalement ind�pendante, digne de la confiance du peuple. Nous sommes � un moment charni�re dans la vie de notre pays et le proc�s Khalifa doit �tre cet instant crucial o� la v�rit�, enfin lib�r�e de la politique, marquera le point de rupture avec le pass�. Les pilleurs du patrimoine national ont trop pris, trop jou� avec la justice, trop menti. Il est temps que cela cesse ! Aucune confiance ne sera accord�e � la classe politique si elle intervient pour d�naturer ce proc�s ou le fourvoyer dans les r�glements de compte. La justice alg�rienne est en face d'un choix capital pour l'avenir. Il y a va de la cr�dibilit� du pouvoir judiciaire, mais aussi de toutes les institutions de la R�publique. Il faut crever l'abc�s et ne reculer devant aucun moyen pour faire toute la lumi�re sur cette affaire. La corruption peut demain prosp�rer et atteindre des niveaux insoup�onnables si la v�rit� est occult�e dans cette affaire. Ce serait la meilleure mani�re d'encourager les voleurs et les corrompus. Mais si le proc�s est men� jusqu'� son bout, si chaque responsable, cadre ou simple journaliste qui a touch� de l'argent de Khalifa paie pour ces manquements �l�mentaires aux r�gles de la morale et de la bonne conduite en soci�t�, tous les braves de ce pays, tous ceux qui b�tissent, par le travail honn�te et la probit�, leur avenir et celui de leurs enfants, tous les cadres int�gres, les profs d'universit� qui connaissent des fins de mois difficiles, les magistrats propres et les hommes des m�dias qui ont su �chapper au complot du dinar, tous ceux-l� seront r�compens�s pour leur r�sistance h�ro�que face aux tentations de l'argent facile. Et l'Alg�rie ne sera plus comme avant ! Faites-le pour que le smicard puisse dormir en paix et que le jeune ch�meur r�apprenne enfin � sourire et � esp�rer. Sinon, la morale saura qu'elle n'a plus rien � faire en nos terres. Elle demandera un visa pour aller loin, tr�s loin de ce qui ressemblera au territoire des affaires sales. M.F. P.S : Benchicou est en prison depuis bient�t 6 mois. La moiti� d'une ann�e sous les verrous. Son journal est arr�t�. Son entreprise d�mantel�e. L'immeuble de sa soci�t� vendu aux ench�res. Mais l'Alg�rie ne l'oublie pas. Et si cela peut le r�conforter, je le lui dis du pays profond, l� o� l'on ne fait pas de politique dans les salons dor�s, l� o� les engagements de la nuit ne fondent pas comme du beurre aux premiers rayons du soleil.